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La Social-Démocratie Concurrentielle (SDC), un plan en dix points

Débutées dans les années soixante et soixante-dix, les politiques de l’État providence sont aujourd’hui menacées, car les programmes publics inhérents à ce modèle (programmes d’éducation, de santé, de retraite et de protection sociale en général) imposent de lourdes pressions sur le budget des gouvernements engagés dans un monde de concurrence fiscale élargie.

D’où un dilemme fondamental : tandis que la société est devenue plus riche et plus productive, les biens et les services publics et sociaux sont devenus plus coûteux (coût d’opportunité), engendrant d’importantes pressions visant à réduire leurs niveaux et leurs degrés de couverture. Pourquoi ne pas réduire plutôt leur coût en améliorant la productivité et en favorisant l’innovation par la concurrence ?

Les programmes « sociaux-démocrates traditionnels » sont aujourd’hui contestés. La critique repose sur la conviction largement répandue qu’une combinaison d’administrations efficaces et

109 Par exemple, « économiste » n’est pas un titre réservé ou certifié. Tout un chacun peut se dire économiste. Une entreprise ou une université peut vouloir recruter un économiste diplômé d’une université reconnue, mais rien ne devrait l’empêcher de recruter un économiste autodidacte si elle est satisfaite de son pedigree ou peut en observer la qualité.

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de marchés efficaces est nécessaire pour assurer une croissance maximale et un niveau optimal de bien-être pour tous.

Il convient de trouver autre chose, à savoir une nouvelle philosophie sociale, économique et politique, couplée à un ensemble efficace de politiques visant à produire, à distribuer et à fournir un ensemble approprié de biens et de services publics et sociaux. Un modèle dans lequel les fins et les objectifs sont adéquatement définis ; dans lequel les moyens et modalités pour atteindre ces fins et objectifs sont fonction de critères d’efficacité et d’efficience ; dans lequel les droits et les libertés politiques et économiques, y compris le droit de concurrencer, de contester et de remplacer les fournisseurs actuels de biens et de services publics et sociaux, sont réaffirmés ; et dans lequel les processus concurrentiels transparents, ultime incarnation de l’égalité des chances, de l’innovation et de l’engagement (motivation), sont encouragés.

Ce nouveau modèle est la social-démocratie concurrentielle.110

5.1 Les rôles redéfinis des secteurs gouvernemental et concurrentiel

La dichotomie entre secteur public et secteur privé et la dichotomie entre la gauche et la droite sont aujourd’hui au cœur de toutes les discussions sur la réforme du système socio-économique traditionnel, qu’il se réfère à l’État providence ou à l’État social-démocrate. Mais ces

dichotomies créent des conflits inutiles parce qu’elles relèvent d’une méprise ou confusion fondamentale entre d’une part les objectifs à poursuivre en termes de quantité et de qualité des biens et de services publics et sociaux (BSPS) à fournir à la population et d’autre part les processus et moyens par lesquels ces objectifs seront poursuivis. Il est grand temps de remplacer la dichotomie secteur public / secteur privé par la dichotomie secteur

gouvernemental / secteur concurrentiel. Et ce n’est pas là une simple affaire de terminologie. La dichotomie entre secteur gouvernemental et secteur concurrentiel, tous deux ayant des

responsabilités claires afin d’optimiser le bien-être des citoyens, devient cruciale. Elle est au cœur d’un véritable État providence et d’une véritable Social-démocratie.

La confusion entre les objectifs sociaux, économiques et politiques et les moyens a favorisé le développement de bureaucraties gouvernementales gargantuesques protégées de la

concurrence et sujettes voire ouvertes à la mainmise de pouvoirs parallèles partisans, syndicaux et technocratiques, qui se combattent souvent mais se cumulent toujours, au détriment des citoyens qui sont les éventuels bénéficiaires et financiers du système.

110 Marcel Boyer, Manifeste pour une Démocratie Concurrentielle v2.0 / Manifesto for a Competitive Social-Democracy v2.0, à paraitre en 2021, ≈275 pages. La version d’avril 2009 est disponible sur le site du CIRANO en français http://www.cirano.qc.ca/manifeste et en anglais http://www.cirano.qc.ca/manifesto ; également Marcel Boyer, « L’État providence et la Social-démocratie de l’avenir », L’ÉNA hors les murs, no 500 (octobre 2020), 72-74.

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Dans ce modèle social-démocrate de l’avenir, le secteur concurrentiel est défini au sens large pour inclure les secteurs des entreprises privées, des coopératives, des organisations non gouvernementales (ONG), des entreprises à but non lucratif (OSBL), aussi bien que des autres organisations dites de la société civile et de l’économie sociale.

Ces organisations du secteur concurrentiel sont appelées à répondre à des appels d’offre ouverts et transparents, lancés par le secteur gouvernemental, pour obtenir le droit et le devoir de produire, de distribuer et de fournir, pour une durée de temps donnée et généralement renouvelable, des BSPS bien définis. Les contrats conclus spécifient les droits, les

responsabilités, les engagements et les rémunérations des parties prenantes.

Dans le domaine des BSPS, la conception des paniers tient une place prépondérante vue la complexité du réseau des BSPS. Cette conception des paniers doit être gérée de manière centralisée, de façon à ce que la synchronisation, les complémentarités et externalités soient optimisées. Ainsi, la conception des BSPS est fondamentalement un domaine qui sied bien au secteur gouvernemental. Par le truchement du processus électoral, les différents partis et entités politiques proposent des paniers de BSPS, y compris les modalités de leur financement, aux citoyens à qui on demande de choisir parmi ces paniers en votant pour le parti qui propose le panier qu’ils préfèrent. L’agrégation des préférences se réalisent par un processus électoral démocratique, ouvert et transparent.

Les contrats liant le secteur gouvernemental et les organisations du secteur concurrentiel doivent être conçus de manière telle que l’entité du secteur concurrentiel retenue soit amenée à atteindre les objectifs et à respecter les engagements pris grâce à un système de garanties et de compensations incitatives. En calibrant la durée du contrat à la durée utile des équipements et des retombées des stratégies de gouvernance des projets, le secteur gouvernemental

s’assure que l’entité retenue verra à gérer de manière durable ses opérations et les risques inhérents à court, moyen et long terme.

Un élément crucial de la bonne gouvernance réside dans la structure financière des projets.

Alors que les bailleurs de fonds du gouvernement n’ont que peu d’intérêt à surveiller

l’utilisation des fonds111 et donc à s’assurer de l’efficacité et l’efficience de la réalisation et de la gestion des projets, ceux d’une entreprise du secteur concurrentiel surveillent attentivement la qualité de sa gouvernance et sont à ce titre des moniteurs privilégiés, informés et intéressés.

111 Marcel Boyer, « Erreurs méthodologiques dans l’évaluation des projets d’investissement », Revue Française d’Économie XXXIII (2018/4), avril 2019, 49-80. https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2018-4-page-49.htm ; Marcel Boyer, Éric Gravel et Sandy Mokbel, Évaluation de projets publics : risques, coût de financement et coût du capital, Commentaire #388, Institut C.D. Howe (2013).

https://www.cdhowe.org/sites/default/files/attachments/research_papers/mixed/Commentaire_388_0.pdf

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Des politiques concurrentielles appropriées peuvent et doivent garantir que les règles de concurrence équitable (level playing field) seront strictement respectées, en particulier les règles antitrust, anticartels et anti-monopoles, dans le cadre d’une politique explicitement favorable à la concurrence en amont (entre fournisseurs et entre organisations de

représentation syndicale, entre autres) et en aval (entre détaillants et entre assembleurs de produits et services, entre autres). Le processus d’appels d’offre lui-même devra être

adéquatement répété à intervalles réguliers allant de quelques mois à quelques années selon le bien ou le service considéré.

La concurrence entre les fournisseurs, producteurs et distributeurs, sous contrat avec le secteur gouvernemental, est essentielle pour permettre la mise en place d’un approvisionnement multisource, diversifié et favorable à l’évaluation objective, à l’étalonnage et à l’innovation et pour accroitre la puissance des incitations à la performance.

Cette caractérisation des rôles des secteurs gouvernemental et concurrentiel dans l’État providence et la Social-démocratie de l’avenir permet d’éviter les conflits d’intérêt qui minent l’efficacité des modèles traditionnels où les activités de conception, de financement, de

fourniture (production et distribution) et d’évaluation relèvent toutes typiquement d’une même organisation, à savoir le secteur public.

Ces conflits d’intérêt sont endémiques dans ces modèles traditionnels et favorisent la magouille, l’opacité, les retours d’ascenseur et l’octroi de privilèges indus, le tout aux dépens des citoyens, consommateurs et contribuables. Une séparation des rôles et responsabilités permet de mettre en place des mécanismes crédibles de reddition de compte et d’incitation à la performance qui sont au mieux flous et manipulables et au pire inexistants dans les modèles traditionnels.

Dans le domaine des infrastructures (routes, eau, parcs, aéroports, etc.), le secteur

gouvernemental définit les biens et services à offrir à la population, lance des appels d’offre auprès du secteur concurrentiel et gère les contrats et partenariats qui en résultent, de type PPP ou autres, adéquatement incitatifs à la performance et ce, dans le meilleur intérêt des citoyens, utilisateurs et contribuables.112

Dans le domaine de la santé, les processus sont similaires compte tenu des exigences

particulières que peuvent représenter les différentes activités en amont (investissements) et en aval (fournitures de services) : le secteur gouvernemental définit les biens et services de santé à

112 Marcel Boyer, “Défis et embûches dans l’évaluation des PPP : Pour un secteur public efficace et efficient”,

CIRANO 2020s-25, 45 pages. https://cirano.qc.ca/files/publications/2020s-25.pdf ; TSE WP 20-1104 https://www.tse-fr.eu/sites/default/files/TSE/documents/doc/wp/2020/wp_tse_1104.pdf

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offrir et les objectifs à atteindre, en termes de quantité et qualité, lance des appels d’offre auprès du secteur concurrentiel et gère les contrats et partenariats, de type PPP ou autre, adéquatement incitatifs à la performance et ce, dans le meilleur intérêt des citoyens,

utilisateurs-patients et contribuables. La quantité et la qualité des services effectivement rendus et observés doivent quant à elles être mesurées en toute indépendance, transparence et

objectivité selon des modalités prévues au contrat. Les compensations de l’entité partenaire du secteur concurrentiel seront dépendantes en partie des résultats de cette évaluation.

Dans le domaine de l’éducation, les processus sont similaires compte tenu des exigences

particulières que peuvent représenter les différentes activités en amont (investissements) et en aval (fournitures de services) : le secteur gouvernemental définit les biens et services à offrir et les objectifs à atteindre, en termes de quantité et qualité des services éducatifs et d’atteinte de réussite scolaire, lance des appels d’offre auprès du secteur concurrentiel et gère les contrats et partenariats, de type PPP ou autre, adéquatement incitatifs à la performance et ce, dans le meilleur intérêt des citoyens, élèves, étudiants et contribuables. La quantité et la qualité des services effectivement rendus et observés doivent quant à elles être mesurées en toute indépendance, transparence et objectivité selon des modalités prévues au contrat. Les

compensations de l’entité partenaire du secteur concurrentiel seront dépendantes en partie des résultats de cette évaluation.

La concurrence et l’obligation de performance (incitations) se retrouvent ainsi au cœur du système de production et de distribution des BSPS et ce, dans le respect des fournisseurs du secteur concurrentiel et dans le meilleur intérêt des citoyens, utilisateurs et contribuables.

5.2 Les dix politiques et programmes génériques

Le modèle de la social-démocratie concurrentielle se décline en dix politiques et programmes génériques, majeurs et ambitieux.