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Les sociétés coopératives : une chute à tous les niveaux

Chapitre V : Une analyse sectorielle de l’économie sociale et solidaire roumaine

3. Les sociétés coopératives : une chute à tous les niveaux

Une société coopérative est « une association autonome de personnes physiques et/ou juridiques, constituée selon le consentement exprimé, dans l’objectif de promouvoir les intérêts économiques, sociaux, et culturels de ses membres coopérateurs. Ces structures sont détenues en commun par leurs membres et contrôlées démocratiquement par ces derniers, selon les principes coopératifs »301 les régissant.

En concordance avec notre définition concernant l’économie sociale et solidaire (voir partie I), les principes des coopératives comptent l’association bénévole et ouverte, le contrôle démocratique de membres coopérateurs sur la coopérative, la participation économique équitable pour construire la propriété de la coopérative, l’autonomie et l’indépendance de la société coopérative, la coopération et la préoccupation de la communauté, en agissant pour un développement durable de celle-ci302.

Une chute à tous les niveaux

Réglementé depuis 1887303, le secteur des sociétés coopératives arrive à avoir 2242 unités en 1922 et 2270 en 1937304. Son fonctionnement se modifie depuis le décret 133/1949, qui réglemente 3 types de coopératives (agricole, d’artisanat et de consommation) et qui marque l’empreinte communiste, selon un « modèle quasi-public de la coopération dans lequel ces organismes sont vus comme des entreprises publiques auxquelles des réglementations de gestion ont été établies par les autorités publiques »305. L’idéologie communiste considère que la propriété de la coopération est une forme de propriété collective dans une transition vers la propriété de l’État. C’est dans ce contexte que beaucoup de terrains et d’immeubles ont été nationalisés et donc passés dans le patrimoine des coopératives, en s’attirant la colère de la population. Organisé sous une forme pyramidale, le secteur coopératif représentera 27-30% de l’économie nationale en 1989306

.

301 L1/2005, Art. 7, al. 1. 302 L1/2005, Art 7, al. 3, l. a-g. 303

Condicele de comerciu.

304 Crișan, 2010, pp. 89-103

305 Galera, 2004, p. 21 in Rapport FDSC, 2011, Mişcarea cooperatistă în România 2011, p. 32. 306 Cruceru, 2010, en Rapport FDSC, 2011, p. 14.

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La chute du communisme va pourtant modifier le cours de l’histoire du secteur des sociétés coopératives, qui se matérialisera par une vaste palette de problèmes : la restitution du patrimoine aux anciens propriétaires, une perception publique et politique négative de ce secteur, une concurrence forte de la part du secteur privé, des divisions internes, etc. L’ensemble de ces problèmes explique la réduction du nombre de salariés de ce secteur, passant de 313 369 en 1992 à 49 865 en 2009307 (voir fig. 18).

Malgré toutes ces difficultés, dans les années ’90, le cadre législatif reste similaire à celui de la période communiste, excepté pour les coopératives d’artisanat qui fonctionnent selon la Loi 66/1990 et celles de consommation et crédit qui sont régies par la Loi 109/1996. Le premier changement majeur survenu dans ce secteur est induit par la Loi 1/2005. Cette réglementation suit les principes coopératifs de l’Alliance coopérative internationale308

, définissant des nouvelles formes de sociétés coopératives (voir tab. 8) et donnant plus d’indépendance aux coopératives car l’adhésion à la structure pyramidale (sociétés coopératives de niveau 2) est toujours fondée sur le bénévolat.

Fig. 18. L’évolution du nombre de salariés dans le secteur coopératif entre 1992 et 2012

Sources: Rapport FDSC, 2014, Mişcarea cooperatistă în România, 2012

307 idem. 308 Rapport FDSC, 2011. 0 50000 100000 150000 200000 250000 300000 350000 1992 1995 2000 2005 2007 2009 2012

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Deux filières principales : le commerce (en milieu rural) et l’artisanat (en milieu urbain)

Malgré les différentes formes de coopératives réglementées par la loi de 2005, deux types de structures persistent encore, qui ont un certain poids en Roumanie : les sociétés coopératives de consommation et les sociétés coopératives d’artisanat.

Les coopératives de consommation sont présentes dans le domaine du commerce et de la

production et 74% d’entre elles exercent leurs activités dans le milieu rural. En 2012, il y avait 940 coopératives de consommation en Roumanie regroupant 27 839 coopérateurs309. Malgré la forte baisse du nombre des coopératives et de coopérateurs par rapport à l’époque communiste, nous précisons que nous ne pouvons pas associer intégralement le concept de l’ESS à cette période. Ainsi, des principes de référence pour l’ESS (l’adhésion volontaire et ouverte, le contrôle démocratique par les membres, voir Partie I) n’ont été que partiellement respectés avant 1989. Au niveau territorial (voir fig. 19), nous constatons des décalages au sein du pays, la moitié nord et nord-ouest étant plus favorable à ces structures par rapport au sud du pays où, globalement, il y a moins de 16 coopératives / département. L’explication est complexe, car liée à la fois à la possibilité des membres de rester dans leur structure, aux politiques communistes d’investissement dans les départements les plus pauvres à cette époque (le sud et l’est du pays), mais aussi à des personnalités qui ont réussi à garder leur patrimoine ou à éviter l’émiettement.

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Fig. 19. Le nombre des coopératives de consommation, par département, en 2012

Les coopératives d’artisanat sont presque entièrement présentes sur le territoire urbain

(773 sur 778 en 2009). En effet, elles étaient considérées comme des outils permettant d’assurer presque tous les types de services nécessaires pendant la période communiste : cosmétique, réparations électriques et automobiles, production de vêtements, de chaussures, etc. Au niveau territorial, quelques départements (Iasi, Bacau et Constanța) se détachent avec plus de 50 unités (voir fig. 20). Il est difficile d’identifier des explications tangibles à ces spécificités locales. Dans certains cas, le faible développement de l’industrie locale a facilité le maintien des structures artisanales afin de satisfaire les besoins courants d’une population à bas revenus. Dans d’autres cas, la capacité de gestion de certains leaders a facilité la continuation de l’activité des structures coopératives.

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Fig. 20. Le nombre des coopératives d’artisanat, par département, en 2012

Une perte de la logique marchande

Nous allons brièvement faire une synthèse concernant la capacité marchande des coopératives. Ayant le monopole dans le domaine du commerce et de l’artisanat dans la Roumanie communiste, ces organisations ont connu une chute lorsque le système capitaliste est arrivé. Leur capacité à produire, promouvoir et vendre leurs produits est visuellement remarquable.

À Timișoara, un groupe de coopératives a hérité d’un bâtiment de grande surface sur la place centrale de Timișoara (voir groupe photo 3). Cet endroit est le plus visible de la ville, étant situé à côté de l’Opéra (à gauche, dans la première photo) et offre la possibilité de développer d’une manière profitable une diversité d’activités. Néanmoins, la chute des coopératives est frappante visuellement : malgré certaines activités commerciales dans les vitrines situées vers la place de l’Opéra, la restructuration des coopératives n’a pas permis de valoriser entièrement cet espace. La majorité des salles est louée à des entreprises privées. Beaucoup d’autres salles sont

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vides. La salle principale (en bas, dans le groupe photo 3) n’est pas exploitée afin de mettre en valeur une surface importante au fort potentiel, capable de générer un profit suffisant pour pouvoir développer l’activité des coopératives.

Groupe photo 3. La coopérative « Modex » de Timișoara

Cette situation a attiré l’attention des élus locaux. A ce sujet, le maire de Timișoara a déclaré que « le bâtiment est une honte pour la ville. […] Je respecte la propriété privée […],

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mais si les propriétaires ne présentent pas un plan de travaux de rénovation, ils vont payer des amendes »310. Nous sommes ici à la confluence de deux préoccupations distinctes : ménager la capacité de mettre en place une initiative entrepreneuriale et valoriser l’espace public.