• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 LE SLAM : ENTRE ÉCRITURE CRÉATIVE & PRATIQUE DE L’ORAL

1. Le slam, tentative de définition

1.1 La naissance d’un mouvement artistique

Le slam est un mouvement social, poétique et artistique. Et bien que ce terme ne renvoie, pour beaucoup, à rien de connu, il tire ses racines « des cultures poétiques européennes (l’art oratoire des Grecs, les troubadours du Moyen-Âge, les expériences poétiques des Dada…), américaines (les battles de Rap et de Hip-Hop) et africaines (les griots…) » (Lauriane, rubrique « Le slam, quézako ? » sur Slam4coinsdumonde).

Le slam, tel qu’on le connaît aujourd’hui, est né à Chicago en 1984. Le souhait de Marc Kelly Smith, son créateur, était de démocratiser la poésie. Il raconte, lors d’un entretien en visioconférence5 rendu public par Vorger (2015) que « les lectures traditionnelles de poésie à Chicago à cette époque […] Ça se passait toujours dans une librairie ou une bibliothèque. […] C’était surtout des poètes récitant de la poésie à des poètes, et c’était très ennuyeux et très égocentrique » (2015 : 21). Désireux d’abolir le caractère élitiste de la poésie, le « papy du slam » comme on le surnomme, a tout d’abord créé le Chicago Poetry Ensemble avec lequel il « montait des événements et des spectacles réunissant plusieurs poètes sur scène, avec costumes, musique et pitreries » (2015 : 21). Il offre donc à la poésie une autre dimension que celle uniquement graphique. Les mots jaillissent du papier pour venir percuter les auditeurs. Les poètes montent sur les planches et déclament leur création : ils deviennent performeurs. Marc Smith, en définissant sa création, explique : « la forme originale que j’ai créée résultait du mariage entre art de la performance et écriture poétique. […] nous nous accordons pour dire que la poésie slam est une poésie performative. Chaque fois que quelqu’un met en scène son travail plutôt que de se contenter de le lire, c’est du slam » (2015 : 19-20).

La poésie est donc devenue objet de spectacle, dans le sens littéraire du terme avant tout car, comme le définit le TLFi, elle était présentée au public dans le but d’attirer l’attention et ainsi peut-être d’éveiller un sentiment. Ainsi, les premières « scènes slam » ou ))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))

5)Entretien)en)visioconférence)avec)Marc)Smith,)père)fondateur)du)slam.)Propos)recueillis)par)

Sean)Reynolds,)traduit)par)Tanja)Weber.)Dans)Slam.#Des#origines#aux#horizons)de)Camille)Vorger) (2015).)

« slam sessions » ont vu le jour dans un club de jazz de Chicago, le Green Mill, en juillet 1986. Les poètes s’affrontaient en duel et présentaient donc leur performance au centre d’un ring de box.

1.2 Les règles du slam

Le public américain, séduit, affluait en grand nombre. Selon, le « papy du slam », le public restait trop poli, il ne donnait pas son avis, il n’y avait aucune interaction entre le poète et le public, chose contraire à ses principes. Il eu donc l’extravagante idée de doter certains spectateurs de hochets pour bébé en leur chuchotant : « Si vous n’aimez pas l’artiste, secouez votre hochet ! » (2015 : 22). Et « ça a plutôt bien pris », pour garder les mots du poète américain. Ensuite, les hochets ont été remplacés par le claquement de doigt (le beat), puis le public s’est mis à taper du pied, et plus tard, la notation a fait son apparition ; quelques personnes du public, au hasard, étaient pourvues d’une ardoise sur laquelle elles notaient le poète : le résultat était rendu public à la fin de chaque performance et les participants étaient ainsi départagés. Il a donc fallu établir des règles afin de favoriser l’égalité des chances face à la notation.

Voici celles des plus importantes, détaillées par la Fédération Française de Slam Poésie (FFDSP) :

•! « Les poètes peuvent traiter n’importe quel sujet, dans n’importe quel style » ; •! « Les poètes doivent utiliser leurs propres textes » ;

•! « Aucun poème ne doit durer plus de trois minutes » ;

•! « L’utilisation d’instrument de musique ou de musique préenregistrée est interdite » ; •! « L’utilisation d’accessoires, de costumes et de déguisements est interdite » ;

•! « Les participants doivent au préalable s’être inscrits, souvent sous un nom de scène appelé « blase », et se doivent de respecter l’ordre de passage » ;

•! « Les juges attribuent une note après chaque poème sur une échelle de 0,1 à 10,0. […] Sur les cinq notes, la note la plus haute et la plus basse sont retirées ».

Marc Smith explique que, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ces règles n’ont pas été dictées par un choix artistique mais bien par un soucis pratique, par un choix de production comme il l’éclaircit

Les règles ont été motivées par la production du premier concours de slam national. Nous avions un temps limité, nous avions donc besoin de contrôler un tant soit peu ce premier Slam national, organisé à Chicago. […] Donc une idée s’est imposée : « Eh bien, trois minutes, c’est un temps raisonnable pour laisser un poète s’exprimer ». […] Nous ne voulions pas non plus que les gens apportent leurs instruments, parce qu’il aurait fallu les installer, les régler, puis les démonter. C’est trop contraignant. […] Même chose pour les accessoires et les costumes (2015 : 25).

Mais, la règle la plus essentielle d’un tournoi de slam, ou plutôt son principe le plus fondamental est la tolérance : tout le monde peut faire du slam, sans distinction d’âge, de sexe, d’origines, de religion, etc. car, comme le rappelle son créateur, « le slam a, par tradition, toujours été ouvert, que l’un de ses principes est l’ouverture à tous, à toutes les formes de poésie, à tous les styles d’interprétation » (2015 : 24). Ainsi, Marc Smith souligne le caractère accueillant et indulgent du slam. On peut en effet selon lui, tous être poète, slameur et chaque texte, chaque poème peut être slamé car « il n’y a pas de poème qu’on ne puisse slamer. […] N’importe quel auteur peut apprendre à faire une performance. Il n’est peut-être pas le meilleur des interprètes, mais le spectacle est un métier, et tout un chacun peut en acquérir les rudiments » (2015 : 23). Vorger, dans cette même conception, définit le slam comme étant « une maison de mots aussi vaste qu’hospitalière, un lieu sans murs ni frontières, une cabane habitée et animée par le souffle de ces poètes nomades qui peuplent la modernité » (2015 : Quatrième de couverture).

Après son énorme succès aux États-Unis, le slam a traversé les océans et s’est propagé comme une traînée de poudre dans le monde entier. On l’a accueilli dans l’Hexagone au début des années 90’. Et si nous n’avons pas forcément gardé sa dimension de révolte, nous en avons conservé ses principes et ses règles, en en ajoutant toutefois une : « Un texte dit = un verre offert ! » afin de motiver les participants. Il n’a, bien heureusement, pas encore pris la grosse tête et est resté populaire, donc encore authentique et accessible à tous.

1.3 Pourquoi appeler le slam « slam » ?

La question que nous nous posons tous est la suivante : pourquoi nommer cette performance artistique, « slam » ? Vorger, déplore que « l’origine précise sera toujours hors de portée, comme le reconnaît le créateur du concept lui-même » (2015 : 33). On peut toutefois émettre quelques idées.

Le lexème « slam », en argot américain possède un champ sémantique relativement large. Dans son Précis de Lexicologie Anglaise (1988 : 88), Tournier associe le mot « slam » à un claquement sonore. Le verbe quant à lui, signifie « claquer », et insiste tout particulièrement sur l’action résultant de l’expression d’un sentiment : par exemple lorsqu’on claque la porte suite à une forte contrariété ou lorsque l’on est en colère, c’est un slam. Selon Vorger, « tel était précisément le but du fondateur Marc Smith : il voulait fermer la porte à la poésie inerte de son époque, mais avec une expression de mépris et de colère » (2015 : 35).

Le lexème slam est également employé en argot américain pour nommer n’importe quel bruit émis dans le but de gagner l’attention. Cet aspect-là est d’autant plus vrai que bien souvent, les slameurs doivent faire preuve d’ingéniosité pour que leur slam soit entendu dans des environnements de représentations pas toujours très calmes. Et à Vorger d’ajouter, « en d’autres termes, [le slam] c’est le claquement tonitruant pour éveiller un monde de poésie qui était réduit à un chuchotement poli. [C’est] une poésie qui vise le mouvement et l’émotion, l’impact » (2015 : 36).

Enfin, le lexème slam est également utilisé en argot américain pour définir une « insulte » : « c’est un coup violent traduit au niveau de la parole, une frappe par un mot. Insulter quelqu’un directement en sa présence, sans ambiguïté ni dissimulation » (Vorger, 2015 : 37). Cet aspect-là se retrouve matérialisé lors des tournois lorsque les deux slameurs se combattent sur le ring, littéralement bien entendu, car se sont leurs mots et leurs phrases qui percutent l’adversaire.

Pourquoi alors faire entrer les apprenants dans cet univers ? En quoi cette poésie déclamée et scandée serait bénéfique pour l’enseignement et apprentissage du FLE ?