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ON FAIT CE QU'ON PEUT, PAS CE QU'ON VEUT

La majorité des sujets est parfaitement réfractaire à toute hypnotisation sans le vouloir expressément. Restent ceux qui, pour des raisons du type SOS, font appel à l'hypnotiseur en dernier recours. Pour illustrer cette dernière remarque, je souhaite vous conter une expérience, parmi des dizaines d'autres. Celle-ci est

restée vivace dans mes souvenirs professionnels et tend à prouver que nul n'est justiciable de l'hypnose, s'il n'en a pas effectivement besoin ici et maintenant.

La vie d'un individu ne doit pas être mise en danger avec pour seul objectif que celui-ci soit immédiatement réceptif, comme nous le verrons au fil de l'histoire du cas relaté ci-dessous. Mis à part la vie, nous possédons d'autres biens tout aussi précieux dont la perte entraînera toujours un degré de réceptivité spontanée à la transe hypnotique. Une réceptivité parfaitement limitée dans le temps, comme vous allez le voir.

Le récit qui va suivre a trait à un phénomène d'autoscopie (ou diagnostic établi par le sujet induit en hypnose somnambulique) qui est une expression remarquable de l'utilité de l'hypnose en situation d'urgence psycho-médicale.

Une IRM mentale, en somme !

La sœur de Marie C. suivait depuis plusieurs semaines des séances d'hypnose. Marie C. se moquait d'elle, l'accusant de jeter son argent par les fenêtres. Jusqu'au jour où...

On ne dit pas « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau ! »

Marie C. débarqua un jeudi en compagnie de sa sœur, la lèvre moqueuse.

Pressée par la sollicitude de son aînée, elle me déclara d'emblée qu'elle avait un problème urgent et se demandait à tout hasard si l'hypnose ne pouvait pas l'éclairer sur la décision à prendre.

En quelques mots, Marie C. était à la veille d'une hystérectomie, une ablation totale des ovaires, fixée par son gynécologue pour le mardi suivant. Une ablation totale à l'âge de 33 ans, je précise. Raison invoquée par le médecin : sa patiente perdait du sang depuis plus d'un mois et tous les examens pratiqués confirmaient la pertinence de son diagnostic. Ses ovaires étaient condamnés pour sauver Marie C. de ses saignements continuels.

Elle me demanda s'il n'existait pas, grâce à l'hypnose somnambulique , un moyen de savoir ce qui se tramait dans son appareil génital. Je lui proposai de tenter une autoscopie. Il s'agit d'un auto-examen du sujet hypnotisé en transe somnambulique. Je la mis en garde contre les tendances à l'affabulation du somnambule. S'il y a bien un état de conscience dans lequel on peut prendre des vessies pour des lanternes,

c'est l'état somnambulique. Elle voulait prendre le risque. Nous n'avions pas encore commencé l'induction et nous avions peu de temps devant nous.

Je ne pouvais la recevoir qu'une heure ce jeudi et lui ménager une matinée exceptionnelle le samedi suivant, en cas de besoin. Je la mis donc en situation d'induction préparatoire pour tester ses défenses psychiques.

Après quelques dizaines de secondes d'induction hypnotique, Marie C.

ferma les yeux et le rythme de sa respiration ralentit, tandis que son corps se détendait imperceptiblement. Victoire trop facile ? Je testai ses réactions à la douleur. Elles étaient négatives !

Marie C. avait plongé, sans état d'âme, dans l'inconnu. Je commençai à l'interroger. Elle me répondait par monosyllabes, après plusieurs répétitions, le temps que ma première question trouve son chemin dans les méandres de son cerveau. Son état somnambulique était on ne peut plus exemplaire. Je lui demandai s'il lui était possible de me donner la raison de ses saignements. Elle ne réagit pas immédiatement, comme contrariée par ma question.

« Oui ! », dit-elle d'une voix presque imperceptible.

Je repris la même interrogation. Elle répondit à nouveau de la même manière, sans autre précision. Et puis, je me souvins de l'attitude d'autres sujets en état somnambulique (j'étais encore un néophyte à l'époque), leurs réponses étaient logiques et non interprétatives. Oui, elle pouvait m'éclairer sur la raison de ses saignements. Pourquoi ? Et elle me confia en quelques mots d'une voix monocorde l'origine de son problème gynécologique. Je n'en revenais pas.

« Vous en êtes sûre ? », insistai-je, incrédule.

Elle me répondit par l'affirmative. Je la ramenai à son état de veille en l'espace de quelques dizaines de secondes. Elle ouvrit de grands yeux étonnés et me sourit.

« Vous vous souvenez de quelque chose ? », lui demandai-je.

Elle ne se souvenait de rien mais réalisait parfaitement qu'elle avait échappé à la vigilance de sa conscience, en quelque sorte. Je l'informai de

ce qu'elle m'avait avoué sous hypnose. Elle confirma que c'était possible, bien qu'elle en doutât. Son médecin était-il au courant de cette particularité ? Elle fit « oui » de la tête. Pourquoi n'avait-il pas pensé à le contrôler ? Elle l'ignorait. Je lui conseillai de l'appeler au téléphone pour lui expliquer ce que nous avions découvert ensemble. Ce qu'elle fit après m'avoir quitté. Son gynécologue l'abreuva d'injonctions autoritaires et refusa de changer ses plans. Il lui conseilla même de se faire rembourser sa séance d'hypnose inutile. Elle me téléphona le lendemain pour me rapporter leur conversation.

« Je n'irai pas me faire opérer », dit-elle, butée.

J'essayai de la calmer et lui conseillai de rendre visite à un confrère du premier. Il fallait absolument vérifier la réalité de ce qu'elle m'avait confié lors de son autoscopie avant de prendre une décision. Peut-être avait-elle tout simplement menti sous hypnose ? Ce sont des choses qui arrivent souvent. La fabulation n'est pas seulement le propre de la conscience, l'inconscient s'y entend parfaitement quand il s'agit de réinventer le sens de la vie... (ou celui de la vie après la mort). Il protège l'intégrité corporelle contre toute agression venant de l'extérieur.

N'avez-vous jamais entendu parler du membre fantôme de l'amputé ? Il souffre d' une jambe inexistante, coupée plusieurs années auparavant. Elle n'existe plus que dans son souvenir, et pourtant, la douleur qu'il endure n'a rien d'imaginaire. L'inconscient est capable de tous les mensonges, car il ne vit qu'en fonction de l'instant, hors du temps ou de l'espace. Son rôle est d'assurer l'équilibre du Moi conscient en phagocytant tous les stimuli susceptibles de briser l'unité de l'esprit, au détriment de la vérité, si nécessaire. Mais l'inconscient est le gardien du soma avant d'être l'allié de l'esprit. Si l'esprit décide unilatéralement de mutiler l'organisme pour des raisons non fondées, l'inconscient se révoltera pour l'empêcher d'arriver à ses fins, fût-ce au risque d'un acte manqué, sans calcul des conséquences sur l'ensemble corps esprit.

... Face à une mutilation irrémédiable de sa féminité, l'inconscient de Marie C. était parfaitement capable d'inventer n'importe quelle fable pour lui éviter de passer sur le billard. Je ne savais pas, alors, que ma patiente

était une ancienne demi-mondaine. Un passé qu'elle cachait même à sa propre sœur. Son initiation au plus vieux métier du monde n'avait pas duré longtemps, mais le souvenir de cet épisode de son existence l'avait profondément marquée. Et je supposai par la suite qu'il devait y avoir un rapport de cause à effet entre les saignements et ce passé oblitéré.

Elle se rendit au rendez-vous que je lui avais ménagé, le lundi suivant, chez un autre gynécologue. Il ne put que constater l'évidence énoncée par ma patiente en état de somnambulisme. Elle n'avait pas affabulé. J'étais soulagé. J'appelai moi-même son médecin pour lui demander de refaire un examen préalable avant d'opérer. Il refusa, du haut de son permis d'exercer, de surseoir à l'opération, me traitant de charlatan et autres noms d'oiseaux tout aussi exotiques, avant de me claquer le téléphone au nez, sans autre forme de procès. Pour la plupart des médecins de l'époque, les hypnotiseurs faisaient partie de la caste des Intouchables.

Marie C. se fit ôter l'objet du délit : un stérilet déplacé. La plaie cicatrisa après quelques jours.

Elle revint me voir par la suite. Le cynisme de Marie C. avait repris le dessus. Je ne parvins plus à la mettre sous hypnose. Elle n'en avait plus besoin puisqu'elle avait réussi, malgré elle, à sauver son appareil génital de la mutilation. Nous eûmes quelques entretiens en tête à tête durant lesquels elle me raconta sa vie. Et c'est ainsi que j'en déduisis la raison pour laquelle elle avait inconsciemment voulu punir son corps afin d'exorciser un passé qui la poursuivait.

Il faut croire que, quelque part dans son inconscient, subsistait un mécanisme de refus qui s'opposait à la fatalité. Le petit ange avait eu raison du petit diable.

LE MARIAGE DE LA PEUR ET DU DÉSIR, UN

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