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Chapitre IV. Être graffiteur à Montréal A Portrait de Montréal 1

Figure 12 : Under Pressure, Montréal, août 2004

D. Situation des graffiteurs lors du terrain 

La description ethnographique de la pratique du graffiti se base principalement sur les  propos  recueillis  auprès  des  quatre  graffiteurs  préalablement  présentés.  Afin  que  le  lecteur  puisse saisir plus facilement la perspective propre à chacun, je donnerai quelques détails de la  situation respective de chacun d’entre eux au moment des entrevues en 200341

 

1.

Naes (25 ans) 

Parmi les graffiteurs interviewés, deux d’entre eux semblent insinuer  que leur carrière  de  graffiteur  tire  à  sa  fin.  Naes  est  un  de  ceux‐là.  Le  graffiti  l’enthousiasme  beaucoup  moins  qu’avant. Depuis 3 ans, Naes est moins actif et sa production se résume à environ 10 pieces par  année  en  plus  de  sa  participation  aux  événements  organisés.  Sa  priorité  n’est  plus  le  graffiti,  mais la musique. Il joue un rôle central en tant que dee‐jay dans le collectif de musique hip‐hop  « Atach  Tatuq »  fondé  en  1998  et  qui,  à  l’été  2003,  venait  de  sortir  son  premier  album « La  guerre des tuqs ». À part la musique, un autre élément qui l’a amené à diminuer ses activités de  graffiteur sont les ennuis, notamment financiers, que Naes a dû affronter après avoir été arrêté  par la police à l’été 1998 alors qu’il graffitait illégalement. Finalement, Naes n’est pas insensible  à  l’exemple  de  certains  individus  qui  ont  été  physiquement  diminués  par  leurs  années  de  graffitis, en raison soit d’un accident ou des effets nocifs de la vapeur des bombes aérosol.   Même si aujourd’hui le graffiti n’est plus son activité principale, Naes demeure encore  très attentif – peut‐être même davantage, ajoute‐t‐il, que certains graffiteurs plus actifs que lui  – aux productions de graffitis qui l’entourent. Lors du terrain, Naes travaillait comme animateur  au Café Graffiti, organisme communautaire fondé en 1997 qui encadre les jeunes du quartier  Hochelaga‐Maisonneuve en offrant des activités de hip‐hop, notamment le graffiti.    41 Les entrevues de Naes, Cheeb et Monk.e ont été faites à l’été 2003. Celle de Stare a eu lieu à l’automne 2003. 

106

2.

 Cheeb (26 ans) 

Comme pour Naes, ce n’est plus le graffiti qui est au centre des intérêts de Cheeb. Dans  le cas de celui‐ci, c’est son devenir de cinéaste qui se trouve à présent au premier plan. Après 4  ans  de  tournage  et  postproduction,  Cheeb  vient  de  terminer  son  premier  long‐métrage,  « Mécanix », un film « d’art et gore », tel que le décrit Cheeb, qui mélange animation et acteurs  et dépeint l’univers cauchemardesque d’humains contrôlés par des machines.  

Cheeb  participe  occasionnellement  à  des  événements  de  graffitis,  tel  le  « Jam »  de  Lachine, avec le graffiteur C‐Lock, en 2004.    

3.

Stare (25 ans) 

Stare est très actif dans le milieu du graffiti montréalais et est central dans les rapports  entre la ville de Montréal et les graffiteurs puisqu’au moment de l’entrevue, à titre d’employé  municipal, il est responsable des murales subventionnées par la ville.   

4.

Monk.e (21 ans) 

Monk.e est également un graffiteur prolifique. En plus de sa production personnelle, il  fait des contrats de graffitis pour des particuliers et travaille à l’occasion comme animateur dans  les projets de graffitis de la ville de Montréal. Cependant, contrairement à Stare qui ne dévie  pas  de  la  trajectoire  du  graffiti,  Monk.e  cherche  à  sortir  de  ce  cadre  de  référence.  Monk.e  s’investit également dans l’écriture et la performance de musique hip‐hop.   

E.

Les graffiteurs en bref 

Évaluer le nombre de graffiteurs à Montréal n’est pas aisé. En 2004, des responsables du  « Projet municipal sur les graffiti » estimaient à 400 les graffiteurs présents dans l’ensemble des  6 arrondissements suivants : Lachine; Mercier/Hochelaga‐Maisonneuve; le Plateau Mont‐Royal; 

Rosemont/La  Petite‐Patrie;  Sud‐Ouest  et  Ville‐Marie.  Comme  ces  arrondissements  font  partie  des  régions  de  la  ville  à  la  plus  forte  concentration  en  graffitis,  cette  estimation  ne  permet  cependant  pas  de  trouver,  par  simple  calcul  mathématique,  le  nombre  de  graffiteurs  dans  l’ensemble  des  19  arrondissements  montréalais.  Selon  les  graffiteurs  interrogés  à  ce  sujet,  l’estimation moyenne proposée oscillait entre 500 et 800 graffiteurs sur l’ensemble du territoire  montréalais. Cependant, en mai 2007, le graffiteur Seaz, suggérait dans un article publié dans le  journal La Presse, qu’«il y aurait des milliers de graffiteurs à Montréal » (Girard 2007 : A3). Est‐ ce une surestimation? Peut‐être. En tenant compte de ces diverses évaluations, je fixe entre 500  et 1000 le nombre de graffiteurs montréalais.   

F.

Les graffitis 

1.

Les formes de graffitis 

a. Le tag   Le tag est la forme la plus élémentaire de graffitis. Pour Cheeb, Stare et Naes, l’objectif  visé  lors  de  leurs  premiers  essais  est  l’écriture  d’un  mot  ou  d’un  pseudonyme.  Cheeb  écrit  « poteau »  ou  autres  noms  « absurdes »,  Naes  reprend  d’abord  le  nom  de  groupes  musicaux  puis  opte  pour  l’écriture  de  « Nish »  et  Stare  signe  un  surnom.  Monk.e  est  le  seul  à  ne  pas  commencer par le tag mais plutôt par des productions. 

Dans  la  littérature  sur  le  graffiti,  on  propose  souvent  l’ordre  ascendant  de  complexité  suivant  :  le  tag,  le  throw‐up,  le  piece  et  en  dernier  lieu,  comme  œuvre  graphique  la  plus  élaborée, la production.  

Dans  les  faits,  un  graffiteur  n’expérimente  pas  forcément  avec  ces  formes  de  graffitis  dans un tel ordre et n’attend pas nécessairement d’en maîtriser une pour passer à la suivante.  Un  graffiteur  touche  plutôt  rapidement  à  l’ensemble  de  ces  différentes  formes  de  graffitis  et  apprend à les maîtriser parallèlement. 

108 Bien  que  le  tag  soit  considéré  la  forme  la  moins  complexe  de  graffiti,  ce  n’est  pas  nécessairement celle qu’un graffiteur maîtrise le mieux. Par exemple, Cheeb avoue qu’il n’était  pas bon en tag et qu’il a donc rapidement essayé de faire des pieces, forme dans laquelle il a eu  plus de succès. 

De tous les graffiteurs interviewés, c’est Naes qui semble avoir accordé le plus d’énergie  à  taguer.  C’est  par  ses  tags  qu’il  se  fait  connaître.  Son  activité  s’intensifie  après  être  devenu  membre du crew BAT et passe alors tant de temps à taguer la zone des voies ferrées avec son 

crew que celle‐ci devient « leur spot 42».  

 

b. Choix du nom de tag 

Un graffiteur peut être influencé par différents facteurs pour le choix d’un pseudonyme.  Un nom de graffiteur est un ensemble de  lettres, une sonorité,  un sens (propre  ou figuré) et  finalement un écho aux noms des autres graffiteurs. 

Du fait qu’il s’agit d’un exercice calligraphique, le graffiteur doit aimer écrire les lettres  de son nom. Par exemple, si Naes change son pseudonyme de Nabe à l’actuel (Naes), ce n’est  pas seulement pour souligner son statut de dee‐jay (D.J. Naes) mais également pour écrire de  nouvelles lettres : « J’étais tanné de mon b pis  mon i. J’ai gardé  le « Na » et j’ai rajouté deux  autres lettres que j’avais le goût de gosser avec. J’ai repris mon s ».  

Pour  Cheeb  et  Monk.e,  c’est  le  sens  qui  prime.  Cheeb  choisit  son  nom  pour  rendre  hommage à une pièce musicale. Dans le cas de Monk.e, tel qu’évoqué antérieurement, c’est un  ensemble de circonstances et de réflexions qui l’amène à choisir ce nom. 

La  prononciation  du  nom  de  ces  quatre  graffiteurs  se  fait  à  l’anglaise.  Rares  sont  les  graffiteurs montréalais rencontrés qui avaient choisi un nom de plume en français43. Alors qu’ils 

42 Le terme « endroit » peut traduire le terme anglais « spot ». 

43  Sur  les  305  graffiteurs  montréalais  répertoriés  sur  le  site  « Bombing  Science »,  seule  une  dizaine  ont  des 

pseudonymes  qui  pourraient  être  considérés  francophones :  Asteur,  Axe,  Sacre,  Fief,  Ether,  Clos,  Chrome,  Caos.  Colère, Antimatière. Il existe également une partie des noms qui bien que de consonance anglophone, n’ont pas  nécessairement  de  sens  en  anglais :  Kas,  Cemz,  Acek,  Hoek,  Saer.  Consulté  sur  Internet  (http://www.bombingscience.com/index.php/gallery/viewArtistList/city/121/style/1), 20 février 2008 

sont  tous  réunis  un  soir  pendant  le  voyage  à  Santo  André,  les  graffiteurs  québécois  m’expliquent  ceci  par  la  prépondérance  de  l’influence  américaine  sur  la  culture  locale.  Stare  trouve  ce  fort  penchant  des  graffiteurs  francophones  montréalais  pour  des  surnoms  « anglophones » regrettable et avoue que si c’était à refaire, il choisirait un nom de graffiteur en  français. 

Le  tag  se  fait  en  général  de  façon  illégale,  c’est‐à‐dire  sur  des  surfaces  non  permises.  Deux raisons ont été évoquées pour justifier le tag dans l’espace public : (1) la laideur du béton  que  le  tag  dénonce  par  sa  présence  incongrue,  (2)  l’idée  qu’un  beau  tag,  lorsqu’il  est  bien  exécuté, peut ajouter à la beauté d’un lieu public au lieu de le déprécier. C’est une question de  perspective suggère Naes.    c. Le bombing  Taguer illégalement peut se combiner à la production de throw‐ups ou flops44 forme de  graffitis intermédiaire entre le tag et le piece. Les graffiteurs font référence à la pratique illégale  de la combinaison de ces deux formes de graffitis comme étant le bombing.     d. Le piece 

Cheeb  est  un  spécialiste  du  style  3D  (3  dimensions)  axé  sur  les  volumes  et  non  sur  le  lettrage. Il  a  commencé  en s’inspirant  de  ce  qu’il  voyait  dans  les  magazines  puis  a  exploré  le  genre. S’il se compare aux autres graffiteurs reconnus pour leur style 3D, sa force personnelle  est  qu’il  occupe  les  trois  axes.  Cheeb  explique  que,  pour  lui,  occuper  l’espace  et  mettre  en  valeur les points de fuite est essentiel. 

 

44  À  Montréal,  au  lieu  d’employer  le  terme  « throw‐up »,  les  graffiteurs  reprennent  parfois  le  terme  équivalent 

« flop », employé par les graffiteurs français. L’origine de « flop » viendrait de la prononciation par les Français de  « throw‐up ».  

110   Figure 18 : Piece 3D de Cheeb, 1998.    La réussite de pieces de qualité passe, du moins au début, par l’élaboration préalable de  croquis. Naes ajoute que si le croquis du piece n’est pas beau, il y a très peu de chance que le  piece soit réussi lorsque le graffiteur le reproduira à l’échelle du mur.      Figure 19 : Piece wildstyle de Naes.   

Cheeb se rappelle combien d’heures il passait à étudier ses croquis avant d’en faire des  pieces peints :     « Quand j’ai commencé à peindre c’était tellement dur, c’était tellement exigeant  à faire, ça pouvait me prendre 8 heures à faire une pièce 3D, des fois ça pouvait  me prendre 2 jours juste comprendre comment  les faire. Il fallait que j’analyse  mon  croquis  avant  de  le  faire  le  soir  avant  de  me  coucher  (…).  Je  regardais  le  croquis :  ‐ Ah ok ça il faut que je mette ça comme ça, telle couleur, tel dégradé qui va là.   C’était vraiment compliqué pis aujourd’hui je n’ai plus besoin de croquis ».    Ce qui comptait le plus pour Cheeb au départ était la réussite des effets. Le lettrage était  secondaire. À présent, ses intérêts se sont inversés. Selon lui, le fait qu’il ait longtemps négligé  le  lettrage  fait  en  sorte  que  des  graffiteurs  d’un  niveau  d’expérience  équivalent  au  sien  le  dépassent  en  calligraphie.  Cheeb  remarque  que  contrairement  à  son  parcours,  les  graffiteurs  commencent, en général, par apprendre à maîtriser le lettrage, notamment dans les pieces de  type « wildstyle », avant de se lancer dans la production de pieces d’autres styles, comme c’est  le cas de Naes. 

Au départ les pieces de Naes sont composés de lettres carrées découpées en morceaux.  Puis, inspiré par le style wildstyle de Stack, qui a quatre ans de plus d’expérience que lui, Naes  apprend,  à  son  tour,  à  maîtriser  ce  style  et  devient  capable  de  faire  des  « wildstyle  très  compliqués ». 

L’hiver  rigoureux  du  Québec  fait  en  sorte  qu’à  part  le  bombing  qui  n’oblige  pas  une  immobilisation de longue durée, les pieces et productions se font surtout entre le printemps et  l’automne. Naes se rappelle cependant qu’il lui est arrivé de faire un piece sur le mur légal « A1  Transmission » alors qu’il ne faisait que quelques degrés au dessus de zéro Celsius. 

112

e. Les productions 

Se  lancer  dans  la  création  et  l’exécution  d’une  production  démontre  beaucoup  de  volonté de la part des graffiteurs, car il s’agit d’un projet ambitieux et exigeant. Les graffiteurs  s’y investissent souvent intensément et, lorsque je les interroge à ce sujet, ils en parlent avec  verve. 

Les productions sont la plupart du temps basées sur un travail d’équipe autant au niveau  de  leur  conception  que  de  leur  réalisation.  En  général,  elles  ne  sont  pas  improvisées  mais  reposent sur  l’élaboration  préalable d’une esquisse où l’imaginaire et les goûts de plus  d’une  personne s’entrecroisent.  

Bien que les productions soient une œuvre collective, il arrive souvent que les idées de  certains aient préséance sur celles des autres. Des membres du groupe peuvent se sentir peu  écoutés  par  leurs  collègues  et  avoir  l’impression  que  les  productions  ne  représentent  pas  nécessairement  leurs  aspirations.  C’est,  du  moins,  ce  que  j’ai  observé  et  ce  que  semblent  confirmer les commentaires recueillis à ce sujet. Par exemple, Cheeb et Monk.e n’ont pas été  satisfaits de la murale produite avec les autres graffiteurs québécois à la « Mostra internacional 

de  graffiti »  à  Santo  André  au  mois  d’août  2002.  Cheeb  explique  que  la  conception  de  la 

production n’a pas émergé d’une collaboration entièrement équitable, car certaines têtes fortes  dans le groupe, qui avaient une vision du graffiti plus graphique qu’artistique, se sont imposées.  Cela  a  provoqué  des  tensions  dans  le  groupe  et  a  influencé  le  résultat  final.  Monk.e,  notamment, qui était le plus jeune du groupe, était déçu que les autres graffiteurs n’aient pas  été ouverts à ses idées et n’aient pas donné à la production l’attention qu’il jugeait nécessaire  (cf. Annexe 2 : lv) 

Si  les  productions  à  Montréal  sont  aujourd’hui  d’un  niveau  équivalent  à  celui  des  productions américaines et françaises, selon Naes, ce ne fut pas toujours le cas : 

 

« (…) parce que ça [le graffiti à Montréal] a commencé 20 ans après les États‐Unis  et  10  ans  après  la  France.  En  96,  (…)  on  se  faisait  pas  mal  ramasser.  Il  y  avait  personne ici qui faisait des grosses productions. Ç’a été un peu long avant qu’on  reprenne le retard ». 

 

Cheeb  et  ses  partenaires,  C‐Lock  et  Zen,  font  partie  des  pionniers  à  Montréal  dans  la  composition de murales. Au départ, explique Cheeb, les graffiteurs ne concevaient les murales  que comme des bandes horizontales de pieces (Cheeb emploie le terme anglais « strips ») :    

«(…) les  gens  utilisaient  l’espace  encore  en  strips,  ils  faisaient  une  ligne  et  écrivaient les noms un à côté de l’autre; même à Toronto ce n’était pas encore  commencé  les  vraies  murales.  Mais  nous  autres  on  savait  qu’il  fallait  qu’on  apprenne comment prendre possession d’un mur au complet pis rentrer dans la  composition du mur. Pour nous, c’était important de pousser ça ». 

 

Cheeb  et  son  crew  ont  donc  cherché  à  faire  autrement  et  à  tenir  compte  de  la  composition, notamment à placer les pieces dans l’espace avec les personnages et ainsi occuper  la surface en entier. Selon Cheeb, C‐Lock,  Zen et lui‐même ont été les premiers à Montréal  à  faire  des  murales  où  il  y  avait  une  « compréhension  du  mur ».  Les  pieces  étaient  moins  importants que l’ensemble du mur. Ceux‐ci se retrouvaient donc parfois au second  plan pour  avantager la composition générale de la murale.       Figure 20 : Production de Cheeb, C‐Lock et Zen, 1998.   

114 Cheeb  définit  le  style  de  leur  crew  comme  se  situant  entre  l’expérimental  et  un  style  graphique. Des productions réalisées avec son crew, ses deux préférées sont celles où il a su  imposer à ses collaborateurs son goût pour une composition plus abstraite. 

Cheeb sourit en se rappelant combien à cette époque le défi de peindre une murale était  devenu  l’objectif  principal  de  nombreux  crews.  Cela  a  engendré  une  telle  rivalité  entre  les  groupes  de  graffiteurs  que,  selon  Cheeb,  tous  ne  pensaient  plus  au  graffiti  qu’en  terme  de  murales.  Cheeb,  C‐Lock  et  Zen  se  sont  ensuite  investis  dans  des  murales  où  les  thématiques  étaient, selon Cheeb, « hardcore » et « satanique » :  

 

« En  99  nous  autres  on  était  tanné  des  trucs  hip‐hop  pis  des  conventions  fait  qu’on  a  viré  plus  métal,  plus  hardcore  dans  les  murales,  des  trucs  vraiment  sataniques, les 666 jusqu’à ce que ça devienne aussi une tendance dans le graf  mais nous autres on avait trouvé ça fait qu’on est pas vraiment sorti de ça, mais la  meilleure qu’on aurait pu faire c’était faire des trucs super gais avec des arcs‐en‐ ciel pis des Câlinoursons mais on ne s’est pas rendu là ».      Figure 21 : Production de Cheeb et C‐Lock. 

 

Pourquoi  Cheeb,  Zen  et  C‐Lock  privilégient‐ils  dans  leurs  murales  des  thématiques  lugubres? Cheeb explique ce choix ainsi : 

 

« Pour  ma  part,  tout  ce  que  je  fais,  c’est  macabre.  Je  ne  sais  pas  pourquoi.  L’agressivité refoulée. Je dirais que c’est parce que mon groupe avec qui je fais  des films on essaie de travailler une thèse sur l’esthétique de la violence partout.  (…)  Ce  que  nous  autres  on  veut  faire  c’est  un  peu  comme la  violence  gratuite,  mais  on  veut  la  rendre  belle  (…).  C’est  de  travailler  esthétiquement  peut‐être  sensuel.  (…).  Je  pense  que  mes  murales  ont  rapport  avec  ça.  (…)  Nous  on  va  travailler,  tout  dépend  des  murales,  mais  souvent  on  va  essayer,  il  n’y  a  pas  vraiment  de  violence  comme  telle.  C’est  la  composition  qui  donne  l’impression  que  c’est  plus  agressif,  mais  il  n’y  aura  pas  souvent  de  sang,  il  n’y  aura  pas  souvent de personnes décapitées… ». 

 

Après  l’an  2000,  Zen  s’est  dissocié  de  Cheeb  et  de  C‐Lock.  Ils  se  sont  tout  de  même  réunis quelques fois par la suite pour peindre des murales ensemble et, selon Cheeb, celles‐ci  furent leurs meilleures, car ils avaient atteint « une maturité de la canette ». 

Stare,  qui  appartient  à  la  génération  de  graffiteurs  qui  suit  celle  de  Cheeb,  entame  la  réalisation de sa première murale en 1998. Il voit grand dès le départ : le projet est d’une telle  envergure  qu’il  lui  faudra  un  an  et  demi  avant  d’y  mettre  la  touche  finale.  Son  collaborateur  dans  cette  aventure  est  Icer,  cofondateur  du  crew  NME.  Depuis,  Stare  et  son  crew  se  sont  démarqués à Montréal par la qualité et le grand nombre de productions.  

116   Figure 22 : Production NME, rue Ontario, Montréal, mars 2008    Si souvent celles‐ci sont composées principalement de leurs pieces, certaines abordent  des thèmes poétiques ou politiques. Ces œuvres urbaines qui interpellent les passants peuvent  laisser  des  traces  à  long  terme  dans  la  mémoire  de  certains.  Stare  raconte  comment  bien  longtemps  après  qu’une  murale  qui  traitait  de  la  lutte  des  classes45  ait  été  cachée  par  la  construction  d’un  édifice,  il  a  su  que  celle‐ci  elle  était  encore  vivante  dans  les  souvenirs  de  certains itinérants : 

 

« On a fait plusieurs murales politiques même des fois je vois des répercussions  assez  folles.  On  faisait  un  mur  (…)  la  semaine  passée  pis  il  y  a  une  gang  de  robineux qui sont venus pis qui ont commencé  à parler  de ce mur‐là [celui qui  illustrait la lutte des classes] :  ‐ Il y avait un mur, ils l’ont enlevé, ça, ça représentait ce qui se passe, c’est vrai  ça !» [les itinérants].   45 Stare décrit cette production ainsi : « Tu voyais les polices avec les politiciens pis le peuple de l’autre bord. C’était  vraiment la lutte des classes brute ».  

Là j’étais là :  

‐ C’est nous qui l’avons fait! » [Stare]. 

‐ Envoye, continuez! Faites‐en partout !» [les itinérants].  

C’est  fou  le  monde,  ça  fait  deux  ans  qui  n’est  plus  là,  ce  mur‐là,  pis  c’est  du  monde comme ça qui nous disent de continuer pis de pas lâcher !».    Figure 23 : Production sur la lutte des classes de NME.      Figure 24 : Piece de Stare dans cette production de NME.    Lorsque j’interroge Stare sur la proportion des murales à Montréal dont l’intention est  d’exprimer un message politique46 celui‐ci me répond :   

46  À  ce  sujet,  lors  d’un  débat  organisé  à  la  Mostra  de  Santo  André  en  2002,  un  graffiteur  brésilien  demande  à