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L’allopolyploïdie entraîne une réponse immédiate et transitoire des populations de petits ARN non codants

3.2. Les petits ARN non codants : définition et classification

3.2.3. Les siRNAs hétérochromatiques

La plupart des siRNAs hétérochromatiques présentent une taille de 24 nucléotides, certains de 23-nt, ce qui les distingue facilement des miRNAs. Les siRNAs hétérochromatiques ont des exigences bien spécifiques en ce qui concerne les protéines des familles RDR, DCL, et AGO : la plupart dépendent spécifiquement de RDR2 et DCL3 pour leur biogenèse, et au niveau de leur fonction, ils interagissent avec les membres du clade AGO4 des protéines Argonaute. Selon un processus spécifique aux plantes, deux ARN polymérases (que l’on ne trouve que chez les végétaux) sont impliquées dans la régulation épigénétique dirigée par ces petits ARN : les ARN polymérases Pol IV et Pol V, qui ont évolué à partir de l’ARN polymérase Pol II (Haag & Pikaard, 2011).

87 3.2.3.a. Biogénèse des siRNAs hétérochromatiques

Dans la classification donnée en Figure 3.2., ces siRNAs hétérochromatiques sont endogènes, c’est-à-dire originaires directement du génome considéré. Le modèle établi pour la biogenèse des siRNAs hétérochromatiques (Wierzbicki et al. 2012, dont le schéma est donné en Figure 3.5.) commence par la transcription, à l’aide de l'ARN polymérase Pol IV, d’un ARN simple brin (ssRNA) à partir d’un site correspondant essentiellement à une séquence d’ADN répétée ou à un élément transposable (d’après Arabidopsis thaliana – Kasschau et al. 2007).

Figure 3.5. Représentation du modèle de méthylation de l’ADN guidée par ARN chez Arabidopsis thaliana, impliquant la biogénèse de petits ARN interférents de 24-nt dits hétérochromatiques. (1) La polymérase IV

initie la transcription d’un ARN (à partir d’un élément transposable, par exemple) qui (2) par action de la protéine RDR2, sera à l’origine d’un ARN double brin, (3) précurseur des duplex de petits ARN de 24-nt produits par la protéine Dicer DCL3. (4) Les petits ARN de 24-nt, après désappariement, sont chargés dans la protéine Argonaute AGO4 (ou également AGO6, AGO9) pour former le complexe RISC qui (5) ciblera un ARN en cours de transcription par la polymérase Pol V, dont l’activité aura été initiée par le complexe DDR (DRD1, DMS3, RDM1). AGO4 (/6/9) du complexe RISC contribue alors (6) au recrutement de la protéine RDM1 qui va interagir avec la méthyltransférase DRM2 à l’origine de la méthylation de novo des cytosines de l’ADN. Figure adaptée d’après Wierzbicki et al. 2012 et Zaratiegui & Martienssen, 2012.

Puis, il y a synthèse de l’ARN en double brin (dsRNA) médiée par l’ARN polymérase dépendente d’ARN, RDR2 (pour RNA-dependent RNA polymerase 2). L’ARN double brin qui en résulte est alors coupé par la protéine Dicer DCL3 en produits de 24-nt qui constituent la population de petits ARN interférents hétérochromatiques appariés en duplex. Après désappariement de ces duplex, un brin de 24-nt est chargé dans le complexe RISC sous contrôle d’une protéine Argonaute du clade AGO4 (soit AGO4, -6, et -9, d’après la nomenclature définie chez Arabidopsis). Notons que la régulation de l’activité de transcription de Pol IV (de même que Pol V, ci-dessous) demeure encore inconnue, et que les agents moléculaires à l’origine de l’initiation de la transcription de ces sites endogènes spécifiques restent à identifier.

88 3.2.3.b. Mode d’action des siRNAs hétérochromatiques

Les siRNAs hétérochromatiques dirigent des modifications épigénétiques de régions génomiques ciblées. La régulation épigénétique fait référence à des modifications dans le fonctionnement des gènes, qui sont héritées au moment de la mitose et/ou de la méiose, et qui n’impliquent pas de changements dans la séquence de l’ADN (Bird 2007). Cette régulation est réalisée par marques épigénétiques comprenant (1) la méthylation des cytosines de l’ADN (5-méthylcytosine) au niveau des sites en contexte CG, CHG et CHH (H  G) chez les plantes (alors que ce sont les sites en contexte CG qui sont majoritairement ciblés chez les mammifères), et (2) des modifications post-traductionnelles des histones (Matzke et al. 2009 ; Law & Jacobsen, 2010 ; Saze et al. 2012). Ce type de modification, mené par les siRNAs, consiste en l’hétérochromatinisation des loci ciblés par méthylation à l’aide d’une méthyltransférase (DRM2, Domains rearranged methyltransferase 2) dans un processus appelé méthylation de l’ADN guidée par ARN (RdDM – RNA-directed DNA methylation), s’accompagnant de la méthylation des histones au niveau de ces mêmes loci (avec notamment les phénomènes de méthylation en position H3K9 (lysine 9 de l’histone H3) responsables de la répression du locus concerné, pour revue Saze et al. 2012). L’action de ces siRNAs est donc essentiellement au niveau transcriptionnel (TGS).

De façon indépendante de la biogénèse des siRNAs hétérochromatiques, le complexe protéique DDR (constitué des protéines DRD1, DMS3 et RDM1) permet la transcription d’ARN par la polymérase Pol V (Figure 3.5.). On a pu observer que les sites préférentiels de Pol V correspondaient à des promoteurs proches d’éléments transposables relativement jeunes (du moins chez Arabidopsis, Zhong et al. 2012) – sans doute pour en contrôler l’activité transcriptionnelle et donc transpositionnelle. Les transcrits nouvellement synthétisés vont alors servir de base au recrutement du complexe RISC portant la protéine AGO4 (ou AGO6, AGO9) chargée du siRNA, qui est responsable de la reconnaissance du transcrit par complémentarité de séquence. A ce niveau, AGO4 interagit à la fois avec le domaine C-terminal de la grande sous-unité de Pol V et RDM1, cette dernière interagissant avec la méthyltransférase DRM2. DRM2 permet la méthylation de novo des cytosines de l’ADN, spécifiquement aux sites de recrutement du complexe protéique médié par le siRNA hétérochromatique associé à AGO4.

De façon intéressante, les loci qui ont ainsi été hétérochromatinisés par la voie impliquant les petits ARN interférents hétérochromatiques sont, dans une majorité des cas et de façon assez paradoxale, ceux qui ont tout d’abord été transcrits par Pol IV, et qui sont donc à l’origine des siRNAs impliqués, mais également au final de leur propre répression épigénétique par action

89 Cependant, diverses études ont montré que ces siRNAs hétérochromatiques pouvaient diriger des modifications épigénétiques sur d’autres régions génomiques (action trans), voire d’autres molécules d’ADN, que celles dont ils étaient originaires (pour revue, Mirouze 2012), du moment que le siRNA en question trouve un site d’interaction à séquence complémentaire. De par leur mobilité dans l’organisme (préférentiellement des parties végétatives de la plante vers les racines – pour revue, Melnyk et al. 2011), ils peuvent ainsi propager des modifications au niveau des marques épigénétiques entre cellules, tissus, ou même entre individus voire entre espèces (ou peut-être même entre règnes…). Tel est aussi le cas de leur rôle dans les phénomènes d’hybridation, intra- ou interspécifique, qui sera développé ci-dessous (3.4)