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Singularités de l’étude des hémosporidies et implications pour les études biogéographiques

4. Biogéographie et écologie des communautés : comment expliquer la diversité en espèces

4.5 Singularités de l’étude des hémosporidies et implications pour les études biogéographiques

type d’étude, tels la phylogénie, la datation moléculaire ou la reconstruction d’aires ancestrales.

Retracer l’histoire biogéographique et évolutive des parasites hémosporidies des Mascareignes pour comprendre comment et quand ils sont arrivés dans l’archipel, comprendre leurs distributions géographiques et d’hôte17 actuelles, expliquer les différences observées entre les différents types de

parasites, constituent l’un des objets de ce travail de thèse. Cependant, il m’est apparu très rapidement que la biogéographie des parasites en général, et des hémosporidies en particulier, était nettement plus compliquée que pour les organismes libres, pour de multiples raisons d’ordre technique, méthodologique et théorique (cf. prochain paragraphe).

4.5 Singularités de l’étude des hémosporidies et implications pour les études

biogéographiques

Les hémosporidies aviaires peuvent être échantillonnées facilement et par des méthodes relativement peu invasives (simple prise de sang). Cependant certaines difficultés expliquent un état peu avancé des méthodes moléculaires utilisées pour leur étude. La principale difficulté provient du fait que les érythrocytes des oiseaux sont nucléés et donc contiennent de l’ADN. Par conséquent, l’ADN des formes érythrocytaires des parasites dans un échantillon sanguin est « noyé » dans l’ADN de l’hôte, et nettement plus difficile à amplifier par PCR. Ceci explique pourquoi la grande majorité des études moléculaires ont utilisé des marqueurs mitochondriaux uniquement (présents en plus grand nombre de copies), et souvent uniquement le cytochrome-b (e.g. Belo et al. 2011; Marzal et al. 2011; Svensson- Coelho & Ricklefs 2011; Szöllősi et al. 2011). Ceci implique que les hypothèses phylogénétiques reconstruites pour les hémosporidies reflètent l’histoire évolutive du cytochrome-b plutôt que des organismes. Cependant les quelques études ayant utilisé des marqueurs de différents génomes (nucléaire, apicoplastidique et mitochondrial) suggèrent une forte congruence de l’histoire évolutive du cytochrome-b et de celle des organismes (Rathore et al. 2001; Beadell et al. 2006; Perkins et al. 2007).

17 Dans ce manuscrit je traduis l’anglais « host range » par « distribution d’hôtes ». Bien qu’en français l’on puisse utiliser le terme « spectre d’hôtes », je préfère garder l’analogie que présente la langue anglaise entre « geographic range » et « host range ». Cette analogie permet de définir la distribution d’un parasite comme la résultante de plusieurs dimensions que sont la géographie, les hôtes, les vecteurs…

INTRODUCTION

38 Un autre problème résultant en partie de la faible utilisation des marqueurs nucléaires est la difficulté de circonscrire les espèces18 d’hémosporidies. Les espèces sont classiquement décrites sur la

base de différences morphologiques, permettant d’établir des morphotypes et une taxonomie a priori (Mayr 1996). Ensuite la validité des morphotypes en tant qu’espèces biologiques peut être testée par des méthodes variées (Sites & Marshall 2004). Un certain nombre de ces méthodes font appel à des outils moléculaires, en cherchant notamment à vérifier la cessation du flux de gènes entre morphotypes. Des critères tels l’absence de preuve de recombinaison entre génomes nucléaire et mitochondrial ou la mesure du flux de gènes grâce à des données microsatellites peuvent être utilisés (Sites & Marshall 2003 ; Meyer & Paulay 2005). Toutes ces techniques nécessitent d’amplifier de l’ADN nucléaire, ce qui est compliqué chez les hémosporidies. Une étude de ce type a cependant été réalisée par Bensch et al. (2004), montrant une absence de recombinaison entre génomes nucléaire et mitochondrial chez Haemoproteus, même pour des haplotypes de cytochrome-b divergeant de seulement 0.2%. Ce résultat implique que des unités taxonomiques inférieures à la morphoespèce représentent des unités reproductivement isolées (i.e. des espèces biologiques). Aucune généralisation de ces résultats n’a été réalisée à ce jour. Pour Leucocytozoon par exemple, une seule étude a amplifié de l’ADN nucléaire (Martinsen et al. 2008).

En conséquence, l’étude des hémosporidies doit se faire en l’absence de définition d’espèce ou de MOTU19, ce qui souvent limite l’interprétation des résultats. D’une manière générale, deux unités

taxonomiques sont considérées chez les hémosporidies: la morphoespèce ou l’haplotype au cytochrome-b.

Un autre obstacle inhérent { l’étude des hémosporidies est la difficulté de déterminer la compétence des hôtes. Pour les hôtes aviaires, la présence de gamétocytes dans le sang suggère très fortement que le parasite peut achever son cycle chez l’hôte, car les gamétocytes forment la dernière étape du cycle chez l’oiseau. Cependant, en utilisant des méthodes moléculaires non combinées à la microscopie, on ne peut pas savoir avec certitude de quel stade de vie provient l’ADN amplifié. Il peut arriver dans certains cas que des sporozoïtes persistent dans le sang pendant plusieurs jours (Valkiūnas et al. 2009). Déterminer la compétence des vecteurs est encore plus ardu, car il faut

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Les définitions d’espèce sont nombreuses. La plus répandue et celle qui me paraît la plus utile en biologie évolutive est le concept biologique d’espèce, selon lequel les espèces sont définies par leur interfertilité au sein d’une espèce et l’absence d’interfertilité entre espèces.

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Molecular Operational Taxonomic Unit. Pour certains organismes il est impossible ou trivial de définir des espèces biologiques. Les MOTU peuvent alors remplacer les espèces en tant que taxons unitaires, permettant de nommer des entités phylogénétiques et de standardiser les appellations.

INTRODUCTION

39 confirmer la présence de sporozoïtes dans les glandes salivaires. Ceci implique de disséquer les insectes pour obtenir les glandes salivaires et de vérifier par microscopie la présence de sporozoïtes à l’intérieur des glandes.

Enfin, on ne peut jamais être certain qu’un individu n’est pas infecté, car les méthodes moléculaires ainsi que la microscopie ne permettent pas de détecter les parasites à trop faible parasitémie. Ceci implique que le spectre d’hôtes d’un parasite est impossible { circonscrire de manière exacte car il faudrait procéder à des transmissions expérimentales pour chaque hôte de la zone d’étude pour y parvenir.

Ces particularités entraînent une complexité plus importante lors d’études biogéographiques. Etudier des organismes libres, a fortiori de grande taille, est plus aisé car souvent des naturalistes ont décrits toutes les espèces d’un taxon ou presque, avec leurs aires de distribution actuelles, ce qui permet de circonscrire le nombre d’entités recherchées et d’effectuer un échantillonnage exhaustif. L’étude des hémosporidies est nécessairement sujette { un fort biais d’échantillonnage.

4.6 Etat de l’art des études biogéographiques des hémosporidies : leur