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PARTIE II) Le Musée de l’homme : comment communiquer sur le passé en tant qu’institution pluridisciplinaire ?

Chapitre 3 Quels sont signes de l’histoire identifiables au sein d’un musée pluridisciplinaire ?

Le positionnement du Musée de l’Homme permet d’illustrer l’application de la notion d’histoire publique car il n’est pas spécifiquement un musée d’histoire mais un musée laboratoire et surtout, il se définit par sa pluridisciplinarité. Il est intéressant à ce titre de lire dans le dossier de presse de l’exposition « Portée par une muséographie développée par le Musée de l’Homme, l’exposition a été conçue comme autant d’expériences qui impliquent le visiteur, l’interpellent sur ses propres convictions. Immersive, parfois surprenante, la scénographie embarque le visiteur dans un voyage, dans des décors parfois inattendus, parfois plus classiques » 39Considérant la problématique de l’histoire publique, l’idée de décors inattendus et parfois plus classiques peut être interrogée. En effet, l’analyse empirique menée dans l’exposition a révélé un renouveau des outils de médiation considérable. Les décors choisis dans les différents espaces de l’exposition sont autant de dispositifs de communication innovants. Pour autant, la partie historique de l’exposition se développe en contraste de ces avancées puisqu’elle reste liée à un décor classique. En quoi ce décor renvoie à des codes que l’on peut identifier directement à la transmission du savoir historique dans les musées ?

Si le Musée de l’Homme se définit comme un musée vivant, il ne dit pas communiquer sur une connaissance mais sur la réalité d’un savoir à un moment donné. On retrouve ce discours théorique mis en pratique dans l’exposition à la faveur d’espaces introduisant directement l’idée de dialogue. Si l’accent est mis réellement sur le renouveau des pratiques de médiation, l’histoire reste dans un schéma traditionnel. Il est ainsi possible d’observer différents éléments qui permettent d’identifier presque instantanément lorsque l’on entre dans les espaces consacrés à l’histoire qu’il s’agit d’histoire. Le scénographe François Confino écrit dans le catalogue de l’exposition «La métaphore du voyage l’embarque dans une expérience de déconstruction de ses préjugés. Une fois qu’il a franchi des portiques de sécurité et expérimenté l’arbitraire de la notion d’essentialisation, un saut dans le passé le fait atterrir dans une rotonde dédiée à la construction historique de la notion de race depuis le XVIème siècle.» 40 Comment se manifeste ce saut dans la passé ? La manière dont le musée agence cet espace

Dossier de presse de l’exposition « Nous et les autres : des préjugés au racisme », mars 2017, p.4 39

Catalogue de l’exposition, p.15 40

est révélatrice de codes que l’on rattache instantanément à l’histoire. En quoi ces signes communiquent d’une manière spécifique sur l’histoire ? L’une des personnes interrogées au cours des entretiens a utilisé une formule marquante lorsque la question de la différence entre les salles parlant d'histoire et les autres lui était posée. Elle a répondu directement « Elles font plus musée » avant d’ajouter tout de suite après que cela n’était pas un qualificatif péjoratif. Ainsi, dans cette étape à visée exploratoire, une hypothèse est apparue, si l’exposition était jugée par la plupart des interrogés comme exceptionnelle car très novatrice en terme de médiation et d’interactivité, il semble que le contenu historique ait davantage résisté à cette innovation que les autres contenus scientifiques.

L’analyse de ces différents codes peut se faire en reprenant le déroulé mentionné sur le site sous le sous-titre « Comment s’est construite l’idée d’une prétendue hiérarchie des « races » ? Les commissaires de l’exposition expliquent ainsi :

« La rotonde déroule le fil de l’histoire des idées du 17 ème au 19 ème siècle. Sur les parois d’un espace cylindrique, se font face, dans l’ordre chronologique, le contexte historique des conquêtes coloniales et la construction scientifique de la notion de « race ». Les dates clefs et les éléments portés à la connaissance des visiteurs sont appuyés par des documents iconographiques et par des objets. Trois bornes multimédia présentent, sous forme d’images et de récits, le contexte historique de l’esclavagisme et du colonialisme et la démarche scientifique. »41

On note ici la présence indispensable de l’archive comme témoin d’appui et du rappel des dates. L’ordre chronologique est adopté pour bien illustrer l’idée d’évolution et les « objets » servant le propos sont variés. « Des exemplaires de publications scientifiques majeures illustrent le rôle joué par la science dans la légitimation du discours raciste. » Plus loin toujours : « Afin de mettre en évidence l’imbrication des différents acteurs impliqués dans la construction du racisme, la chronologie est complétée par la présentation de documents : manuels scolaires, réclames, affiches des expositions coloniales, couvertures de presse illustrant la diffusion et l’acceptation, au sein de la société française, de la notion de « race » et de supériorité de la « race » blanche. » 42Ce que l’on observe donc dans ce premier espace historique c’est tout d’abord un changement de ton, le propos scénographique est plus orienté vers l’enseignement. Pour cela l’archive est essentielle et ce sont les collections du musée qui interviennent. On a donc un objet et un discours sur l’objet que l’on pourrait qualifier de vertical inscrit dans une continuité chronologique bien définie. C’est bien l’objet ayant, ici, a une valeur d’archive qui

Dossier pédagogique exposition « Nous et les autres : des préjugés au racisme » Mars 2017 41

http://nousetlesautres.museedelhomme.fr/fr/exposition/race-histoire 42

détermine le discours historique, cet outil de communication est particulièrement important dans le second espace de l’exposition appelé « racisme institutionnalisé » car dans cet espace on retrouve deux codes traditionnels qui sont des passages obligés de la communication par l’historien : le film documentaire et l’objet. Concernant les objets choisis, il s’agit d’objets dotés d’une forte charge symbolique sélectionnés en fonction des trois périodes. Les cartels renseignent quelques informations historiques assez succinctes ainsi que leur provenance.

L’explication plus précise se trouve dans l’écho avec le film projeté derrière qui l’entoure d’un discours. Au delà de cette association là, l’objet reste muet dans la vitrine, soumis à interprétations. A ce propos, Michèle Coquet, historienne et professeur au CNRS écrivait déjà il y a plus de dix ans « Le visiteur n’est pas un acteur passif. Images et objets au musée sont des réalités historiques insérées dans un processus de transmission ; à travers eux et surtout à travers la manière dont ils sont muséographiés, se transmettent des éléments de savoir, des idées, et des idéologies. » 43 Et c’est bien sur ce pouvoir particulier de l’objet que s’appuie l’exposition, on est tout à fait dans l’idée selon laquelle l’exposition est un média compris comme un dispositif de communication . La formule de réalité historique qu’elle associe à l’objet est explicite, 44

l’objet présent dans les collections du musée se suffirait en un sens à lui-même. Ces trois cubes sont accompagnés de textes explicatifs et d’images mais à l’intérieur, seul le documentaire et l’objet ont un langage se rapportant à l’histoire.

Camille Fosse qui s’est intéressée à l’objet historique fait le rapprochement avec le concept de sémiophore. Cette notion est particulièrement opérante dans les musées 45

d’histoire car elle désigne une capacité de mettre un exposition un objet fortement significatif culturellement et de lui associer un discours qui le place dans un contexte explicatif.

Coquet Michèle, « L’histoire au cœur du musée », Ateliers [En ligne], 23 | 2001, mis en ligne le 06 novembre 43

2015, p.2

Jean Davallon, op.cit.

44

Fosse Camille « Fonction et limites de l’objet historique dans l’élaboration du discours mémoriel », paru dans

45

Fred Dervin et Marie-Anne Paveau, 2012, "Quelle place pour les objets dans les sciences du langage et les sciences de la communication ?", Synergies Pays Riverains de la Baltique, Numéro 9, Revue du GERFLINT.



(Pomian 1999 : 191-229) « Le terme de « sémiophore » désigne les objets visibles investis de significations culturelles, sociétales et narratives. Ils se caractérisent par leur soumission à un traitement qui consiste à les extraire de leur nature ou de leur usage, et à changer leur fonction de manière à ce qu’ils soient perçus différemment. Chaque sémiophore est ainsi inséré dans un échange entre le visible (l’objet concret, visible dans le présent) et l’invisible (l’événement ou l’idée auxquels il se rattache)

« Tout objet devient sémiophore à la suite de la décontextualisation et de l’exposition. Et il le reste aussi longtemps qu’il est exposé. Il en est ainsi parce que placer un objet, quel qu’il soit, dans une vitrine, dans un album, dans un herbier, sur un socle, le suspendre au mur ou au plafond, le séparer par une clôture, une barrière, un cordon, un grillage ou simplement par une ligne dessinée, à ne pas transgresser, le faire surveiller par un gardien ou mettre à côté un panneau avec l’interdiction de s’en approcher et surtout de le toucher, tout cela revient à imposer à des personnes qui se trouvent alentour l’attitude des spectateurs, à les inciter à se tourner vers cet objet et à arrêter sur lui le regard. Et cela contribue à attirer l’attention sur cet objet et montrer que la contemplation en change celui qui le fixe, car elle lui apporte quelque chose dont il serait autrement dépourvu » (1999 : 215). Nous pourrions aller jusqu’à dire que cet état de contemplation change autant « le fixeur » que « le fixé » 46

Ainsi, ce serait uniquement lors de cet échange que l’objet se charge d’une signification dont il serait autrement également démuni. L’idée de sémiophore est intéressante dans la mesure où elle ancre l’objet historique dans une réalité particulière propre au musée de société. Dans le cas de l’exposition Nous et les autres : des préjugés au racisme, la manière dont est positionné l’objet impose en effet aux visiteurs de le regarder car il est séparé d’eux tout en étant rendu visible par les vitrines. Une distance s’instaure alors mais comme il est rattaché au discours de l’exposition d’une part et fortement lié à la mémoire collective d’autre part, le visiteur le rattache à un contexte précis, il lui donne ainsi du sens.

S’il est inscrit dans le rapport du ministère que « L’objet, qui constitue le coeur de la pratique muséale, apparaît aussi bien dans sa dimension scientifique et rationnelle qu’émotionnelle et subjective, comme support de communication et d’informations aussi bien que porteur d’histoires et d’imaginaires. » 47cette réalité est encore plus vraie pour le musée d’histoire ce qui le sacre comme un code de la transmission du savoir historique à part entière. Si les trois objets sont traités sur le plan de la médiation exactement de la même manière, l’idée de décontextualisation se traduit de différentes manières d’un objet à l’autre. La plaque de ségrégation que l’on a souvent aperçue sur les pages de livres d’histoire marquent directement les impressions et fait sens en lien avec les images du film. L’entonnoir de chambre à gaz apparait comme plus énigmatique pour les plus jeunes, il implique un dialogue du parent à l’enfant et, surtout, n’apparaît pas dans le film sous la même forme. Il invite à une construction du sens et à une explication détaillée qui rend la parole sur l’objet parfois difficile comme j’ai pu l’observer au cours de ma visite. Enfin, la radio présentée dans la dernière salle est également intéressante car elle invite, elle aussi, à un décryptage.

Ibid, p.30. 46

Dir. Jacqueline Eidelman, « Rapport officiel : Inventer les musées pour demain », op. cit. p.77 47

Le premier objet correspond directement au discours car il possède une écriture qui parle d’elle-même et dit l’atrocité d’une réalité. Le deuxième objet peut difficilement faire sens seul si l’on ne dispose pas d’informations précises décrivant un contexte. Quant au troisième objet choisi il peut faire sens seul mais il a impérativement besoin du discours s’y rapportant pour être un support de communication signifiant sur le thème. Cet objet du quotidien a été un élément à part entière du génocide et c’est, en cela, qu’il y a besoin d’un décryptage. Camille Fosse ajoute « Knigge et Stein nous disent donc que l’objet « témoigne », « parle », « raconte ». Il possède un langage qui lui est propre et l’homme doit apprendre à le déchiffrer, le « rendre lisible ». 48

Dans l’élaboration de l’histoire publique et la question qui animait la première partie de cette recherche, le musée apporte par l’objet un élément de véracité différent d’un discours virtuel. Il est encore considéré selon la formule consacrée « la preuve par l’image » comme un élément de confiance car, justement, il est signifiant en lui même, sans ajout de texte et il est difficile de reproduire une telle charge de sens en dehors du musée lui-même. Plus qu’un discours de la vérité, ce type de médiation apporte des preuves d’une vérité historique marquante. Ce sont les seuls témoins interrogés dans cet espace, ils participent d’une mémoire mais sont muets, laissés à interprétation et détiennent une forte charge symbolique. On peut envisager l’hypothèse selon laquelle la confiance accordée au discours du musée serait surtout attribuée à ce lien qui relie le visiteur et l’objet exposé au cours de son expérience de visite.

L’initiative de la start up Culturemoov fondée par Romain Prévalet est à ce titre intéressante car elle vient de l’idée d’une accroche décrivant l’objet et adopte une stratégie de communication en lien avec le musée qui le consacre comme levier de communication à part entière. En employant l’objet de cette manière il assume le parti pris d’en faire un témoin qui s’exprime au nom d’une période, au nom d’une institution et incite à la visite. Les musées d’histoire sont des espaces hétérogènes dont la mission diffère en fonction des périodes et de l’expérience à transmettre. Dans une partition virtuel / réel, ce que le musée offre encore c’est une possibilité d’appréhender l’objet témoin dans sa réalité. Lorsque l’enfant, par exemple, est au contact d’une archive, il peut davantage s’approprier le fait raconté. Le musée bénéficie d’une expérience de visite et d’une interaction avec le discours présenté différente que sur un écran ou face à un professeur, il intègre davantage

FOSSE Camille « Fonction et limites de l’objet historique dans l’élaboration du discours mémoriel », op.cit, p.30

l’objet dans sa réalité. Les musées d’histoire développent différents supports permettant de capter l’intérêt de l’enfant grâce à un parcours qui capte son attention. La part des nouvelles technologies est importante dans ce cadre, elles représentent une valeur ajoutée face aux contenus ludiques d’apprentissage en ligne en intégrant une participation directe de l’enfant qui apprend par exemple grâce à l’usage de technique d’immersion pouvant le placer au centre de l’aventure historique.

Il est important de revenir autant sur le rôle joué par l’objet dans cette partie de l’exposition Nous et les autres : des préjugés au racisme tant il est fondamental de saisir l’impact qu’il peut avoir sur le visiteur qui l’inscrit dans un contexte historique. Si l’on s’interroge maintenant sur la représentation de l’exposition d’histoire pour mieux cerner le concept d’histoire publique, l’objet ainsi analysé se présente bien comme un signe. Il fait sens pour le propos historique et il en est indissociable. Lorsque l’on cherche à identifier les signes se rapportant à l’histoire dans l’imaginaire collectif l’objet et plus simplement l’archive apparait comme le plus important. Les entretiens ont pu confirmer cette hypothèse de départ. Mais en terme de médiation on retrouve un second code dans les représentations qui est le documentaire ou plus précisément le film explicatif. Sophie Walhnich écrit ainsi « Les divers médias utilisés ne s’adressent pas à la seule rationalité du langage, ils font aussi appel à l’émotion suscitée par les images fixes ou cinématographiques. » Les trois films correspondent au film classique de médiation 49

historique, ils véhiculent un propos très difficile émotionnellement mais le font de manière académique dans le sens où l’appel à l’émotion est uniquement conduit par le propos, il y a peu d’intervention mémorielle. Dans une certaine mesure, seul l’objet est pris à témoin. Ces films sont généralement appréciés justement pour leur caractère pédagogique et instructif, seul un retour négatif indiquait que ces films étaient trop durs pour un jeune public. Le verbatim « preuve » est revenu plusieurs fois pour caractériser ces films et leur intérêt. Dans un seul entretien il a été dit que la qualité du film allait jusqu’à prendre le pas sur l’objet. Considérant ces signes attribués à l’histoire au sein d’une exposition interdisciplinaire, il convient d’interroger l’influence de ces perceptions sur les pratiques professionnelles. La question est de savoir s’il est indispensable ou non de redonner un souffle nouveau à ce type de dispositif de médiation plus classique lorsque l’on communique sur le savoir historique.

Wahnich, Sophie. « Les musées d'histoire du XXème siècle en Europe », op.cit.

PARTIE lll) Médiation, communication et transmission, un défi à trois visages pour le musée d’histoire : comment intégrer le « publique » ?

Si l’on suit le discours institutionnel déployé dans le rapport décrivant le musée de demain « La communication devient un levier de diversification des publics, en même temps qu’un lien avec eux. Elle doit donner l’image d’un musée vivant, contemporain et accessible à tous, en prenant appui notamment sur les réseaux socio-numériques et en usant d’un ton décalé. » 50 On retrouve dans cette formulation une triple attente qui implique la connaissance du public, l’adaptation des outils de transmission et, fait nouveau, l’usage d’un « ton décalé » qui pourrait être emprunté justement aux tenants de l’histoire publique qui la font vivre sur Youtube. Dans la lignée de ces recommandations, le Musée de l’Homme a ouvert une enquête à l’occasion de sa réouverture pour mieux connaître ses publics, apprécier leur diversité et pouvoir les associer au discours véhiculé dans le musée. Dans l’onglet « Les publics du Musée de l’Homme » du site internet de l’institution, un paragraphe apporte en effet une précision importante :

« Une démarche participative : Le Musée de l’Homme, en amont de son ouverture, a choisi de travailler dans une démarche participative avec les usagers et de "co-construire" l’offre avec les futurs visiteurs. Des études de publics ont été lancées afin d’identifier les représentations liées au Musée de l’Homme, d’avoir plus de renseignements sur leurs attentes, d’échanger avec les prescripteurs, de tester les propositions de médiations et enfin d’amorcer des partenariats permettant au Musée de proposer des offres au plus près des attentes des visiteurs. ». 51

Cette information donne deux indications essentielles en terme de communication, la première est que le musée réalise des enquêtes pour mieux comprendre ses visiteurs et adapter la médiation mise en place. La seconde interpelle encore davantage, il s’agit de l’idée de « co-construction ». Cette précision est cohérente compte tenu du statut avec lequel se présente le musée de l’homme, un musée laboratoire. Cependant, cette ambition va plus loin et dit quelque chose de la stratégie de communication et de la volonté d’intégrer le public dans le discours transmis. Dans cette perspective le public ne serait plus un visiteur mais un acteur à part entière. Comment le Musée de l’Homme met-il cette ambition en application dans son exposition temporaire Nous et les autres : des préjugés au racisme ?

Dir. Jacqueline Eidelman, « Rapport officiel : Inventer les musées pour demain », op. cit. p.35 50

http://www.museedelhomme.fr/fr/musee/projet/publics-musee-homme 51

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