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III. Le modèle d’étude Dictyostelium discoideum

III.3 Signalisation calcium dépendante chez Dictyostelium discoideum

En tant qu’organisme tellurique, Dictyostelium est confronté à des concentrations extracellulaires en calcium libre allant du µM à plusieurs dizaines de mM (Bangerth, 1979; McLaughlin and Wimmer, 1999). En revanche, comme dans la plupart des cellules eucaryotes, la concentration calcique cytosolique des amibes est maintenue à un niveau bien plus faible (quelques dizaines de nM) et subit des fluctuations pouvant mener à une centaine de nM. Ces variations sont observables à l’échelle de la cellule ou de l’organisme multicellulaire, et permettent l’activation de voies de signalisation spécifiques, en fonction des acteurs impliqués.

Figure 26 : Alignement des séquences d’AdcB et AdcC. L’alignement a été réalisé sur le logiciel T-Coffee

(http://tcoffee.crg.cat/). Les acides aminés conservés à l’identique sont surlignés en noir, ceux qui conservent des propriétés similaires en gris.

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III.3.1 Les acteurs de la signalisation calcique chez Dictyostelium

Comme chez les Eucaryotes supérieurs, la concentration en calcium libre dans le cytosol de

Dictyostelium est sous le contrôle de protéines membranaires qui contrôlent le passage du calcium entre

le cytosol et le milieu extracellulaire ainsi que sa séquestration dans ou sa libération hors de compartiments intracellulaires de stockage qui incluent les mitochondries, le réticulum endoplasmique, la voie endocytaire et des organelles plus spécialisés comme la vacuole contractile et les acidocalcisomes (Baines et al., 2013; Fisher and Wilczynska, 2006; Lusche et al., 2012; Moniakis et al., 1999; Sivaramakrishnan and Fountain, 2013; Traynor et al., 2000; Wilczynska et al., 2005). Parmi les protéines membranaires assurant ou susceptibles d’assurer le transport du calcium vers le cytosol (Tableau IV), l’amibe Dictyostelium possède un récepteur à l’IP3 (IplA) localisé sur le réticulum endoplasmique et des canaux de type TPC (Tpc2) et récepteur P2X au niveau de la vacuole contractile (Baines et al., 2013; Lusche et al., 2012; Sivaramakrishnan and Fountain, 2013; Traynor et al., 2000; Wilczynska et al., 2005). Des canaux calciques de type TRP, la mucolipine Mcln et la protéine PKD2, associés respectivement aux compartiments tardifs de la voie endocytaire (post-lysosomes) et à la membrane plasmique, ont également été caractérisés (Wilczynska et al., 2005). Enfin, plusieurs membres de la famille des ATPases à calcium de type P attendus pour assurer l’export du calcium depuis le cytosol sont également présents chez l’amibe dont la protéine PatA (Moniakis et al., 1999), située sur la vacuole contractile et dans une moindre mesure sur la membrane plasmique.

En dehors de ces protéines de transport, l’amibe Dictyostelium possède un certain nombre de protéines de liaison au calcium (Tableau IV) incluant des enzymes comme la NADPH-oxidase NoxC ou la calcineurine, des protéines tampon du réticulum endoplasmique, des canaux/transporteurs calcium- dépendants, des régulateurs comme la calmoduline. A l’heure actuelle, plusieurs de ces acteurs n’ont pas encore été intégrés dans des cascades de signalisation. L’exemple de la calmoduline illustre néanmoins le large champ d’action du calcium chez Dictyostelium. Ainsi, cette protéine a été impliquée dans la synthèse protéique via la protéine ribosomale L19, la prolifération cellulaire à travers des kinases comme DdTK1 (thymidine kinase 1) et VwkA (Von Willebrand factor kinase A), la régulation des cytosquelettes d’actine via des RasGAP comme DGAP1 et des kinases comme MIHCK, -A et –B (Myosin I heavy chain kinase) ou encore le développement multicellulaire via la calcineurine (Catalano and O’Day, 2008; Moniakis et al., 1999; Thewes et al., 2012, 2014) .

Le séquençage du génome de Dictyostelium a également mené à l’identification d’un nombre conséquent de protéines à domaine EF-hand ou C2 jusque-là non caractérisées et sans homologies avec des protéines connues mais dont la validation comme protéines de liaison au calcium pourrait encore étendre le répertoire des cibles et des voies régulées par ce messager secondaire.

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Catégories fonctionnelles Nom Motifs de liaison du calcium*

Canaux, pompes et transporteurs

 Canaux TPC (Two Pore Channel) Tpc2 Motif EF-hand  Récepteurs P2X (ATP-gated ion channel) P2xA, P2XB, P2XC, P2XD, P2XE

 Ca2+-ATPases PatA, DDB_G0284605, DDB_G0289473

 Canaux TRP (Transient Receptor Potential) Mcln (Mucolipine) PKD2 (Polycystine)

Motif EF-hand

 Récepteur à l'IP3 IplA

 Transporteurs Ca2+/H+ CAX Cax1

Protéines de liaison au calcium CANAUX, TRANSPORTEURS SENSIBLES AU CALCIUM  Transporteurs mitochondriaux calcium- dépendants McfB, C, X, O Motif EF-hand  Canaux potassiques calcium-

dépendants PotA

ENZYMES

 NADPH-oxidase NoxC Motif EF-hand

 Calcineurine CnbA, CnbB (sous-unités régulatrices) motif EF-hand

 Kinases DDB_G0272092 Domaine C2

 Phosphatidylserine

decarboxylase DDB_G0282337 Domaine C2, motif EF-hand

PROTEINES TAMPON

 Calréticuline CrtA

 Calnexine CnxA

EFFECTEURS

 Arrestines AdcB, AdcC Domaine C2

 ALG-2 Alg2A, ALG2B Motif EF-hand (5)

 Fréquenines CbpM, L, J, K, ncsA, DDB_G0274781 Motif EF-hand (4)  Protéines d'adhésion CadA, Cad2, Cad3

 Centrines CenA Motif EF-hand (2)

 Copines CpnA, CpnB, CpnC, CpnE, CpnF Domaine C2

 Annexines nxnA, nxnB Motif annexine

 Calmoduline CalA Motif EF-hand

 Régucalcine Rgn

 Myosine MlcB Motif EF-hand

AUTRES DDB_G0290755, DDB_G0269670, DDB_G0290753, DDB_G0272752, DDB_G0284461, DDB_G0279935, DDB_G0269670, DDB_G0283549, DDB_G0269334, DDB_G0285711, DDB_G0293992, DDB_G0268686, DDB_G0284461 Domaine C2

DDB_G0270700 Domaine EGF de type calcium-binding

CbpD1, CbpD2, DDB_G0279681 DDB_G0283645

Motif EF-hand

Tableau IV : Protéines de liaison ou de transport du calcium identifiées dans le génome de Dictyostelium. *motif

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III.3.2 Le signal calcique chez Dictyostelium

Parallèlement à la connaissance des acteurs de la signalisation calcique, plusieurs travaux utilisant des sondes calciques ou des perturbateurs pharmacologiques des flux calciques ont mis en évidence directement ou indirectement une régulation par le calcium de plusieurs activités/processus cellulaires présents chez l’amibe Dictyostelium.

Dans la phase unicellulaire, l’organisme Dicyostelium bénéficie de capacités de motilité aléatoire particulièrement intenses qui lui permettent d’explorer le milieu environnant et rechercher des nutriments. Au cours du mouvement cellulaire, des oscillations calciques brèves (Figure 27) ont été mesurées dans le cytosol et attribuées à l’étirement de la membrane plasmique lors de la formation des protrusions (Lombardi et al., 2008).

En accord avec ce modèle, une augmentation transitoire du calcium libre dans le cytosol peut être déclenchée de façon artificielle par un stress mécanique, comme un étirement membranaire provoqué par une déformation du substrat. L’établissement de ce signal calcique cytosolique nécessite la mobilisation du calcium depuis le milieu extracellulaire et les sources intracellulaires, via notamment des canaux de type SACs sensibles au gadolinium. Le calcium aurait pour effet de maintenir un mouvement cellulaire soutenu en facilitant la rétractation membranaire à l’arrière de la cellule. Des études menées sur des cellules de Dictyostelium soumises à un flux (rhéotaxie) ont également établi que l’addition de calcium dans le milieu extracellulaire augmente la motilité des cellules en accroissant à la

Figure 27 : Fluctuations du calcium

intracellulaire (Lombardi et al., 2008). A-

J. Série d’images de mesure du calcium

intracellulaire au cours du temps sur une cellule en mouvement obtenues grâce à l’utilisation d’un indicateur fluorescent.

K. Représentation graphique de la

variation au cours du temps de la concentration calcique dans le cytosol de cette même cellule.

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fois la surface des zones en extension (protrusions) et en rétractation (Fache et al., 2005), potentiellement en influençant la localisation de la myosine II dans le cortex (Lusche et al., 2009). Dans ces cellules soumises à des stress mécaniques, l’entrée de calcium serait assurée par le canal PKD2 (Lima et al., 2014).

En présence de chimioattractants, comme le folate sécrété dans le milieu extérieur par les bactéries dont se nourrit l’amibe ou l’AMPc sécrété par les cellules en jeûne, ce déplacement exploratoire est remplacé par une migration polarisée en direction du chimioattractant. Dans les deux cas, la stimulation de leurs récepteurs respectifs à la membrane plasmique déclenche une brève élévation de calcium dans le cytosol (Nebl and Fisher, 1997; Sonnemann et al., 1997; Yumura et al., 1996) qui accroît également la vitesse de déplacement dans le sens du gradient (Figure 28).

La réponse calcique a été plus documentée dans le cas de l’AMPc. L’activation du récepteur cAR1 induit dans les 5-10 sec après stimulation un premier influx de calcium depuis le milieu extracellulaire via des canaux calciques sensibles au gadolinium (Nebl and Fisher, 1997; Wilczynska et al., 2005). Cette entrée de calcium est immédiatement renforcée par un relargage de calcium depuis le réticulum endoplasmique, vraisemblablement par l’activation d’une phospholipase C et la production d’InsP3, et depuis la vacuole contractile (Gross, 2009; Malchow et al., 2006; Schaloske et al., 1998). La nature des cibles du calcium ainsi que son rôle exact dans ce contexte de chimiotactisme restent encore à définir. Les travaux de Traynor et collaborateurs ont montré qu’une diminution conséquente du pic de calcium par invalidation du récepteur IplA n’affecte pas la migration chimiotactique des cellules, ni la production de GMPc et d’AMPc, ni l’activation de la MAPK ERK2 qui accompagnent ce processus, suggérant plutôt un rôle du calcium comme modulateur de fin de ce processus (Traynor et al., 2000). Ces conclusions, en contradiction avec des résultats plus anciens basés sur l’utilisation de chélateurs, sont à prendre avec prudence dans la mesure où le maintien, dans cette souche iplA nulle,

Figure 28 : Effet des chimiottractants AMPc et folate sur la concentration cytosolique de calcium,

(Yumura et al., 1996). Réponse calcique suite à la stimulation (flèche) de cellules en début de phase

d’agrégation par 500 nM d’AMPc (à gauche) ou en phase végétative par 10 µM d’acide folique (à droite).

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d’oscillations calciques localisées de faible amplitude non mesurables par les moyens utilisés pourrait suffire à maintenir ces activités (Gross, 2009). Jusque-là, le couplage récepteurs / flux calciques n’a été caractérisé que dans le cas de la réponse des récepteurs au folate et à l’AMPc. Néanmoins, il est raisonnable de penser que plusieurs autres membres amibiens de la famille des RCPGs fonctionnent de façon similaire et induisent également une montée de calcium suite à la fixation de leur ligand et activent des voies de signalisation calcium-dépendantes.

Au-delà de la phase unicellulaire, des concentrations calciques différentielles ont également été observées au niveau de l’organisme entier généré par agrégation chimiotactique des cellules en conditions de carence nutritive. Les cellules pré-tiges présentent une concentration calcique cytosolique plus élevée que les cellules pré-spores (Cubitt et al., 1995) qui a été attribuée à une capacité de stockage plus faible. Des études basées sur l’utilisation d’agents pharmacologiques ont mis en évidence que le calcium est nécessaire à l’expression des gènes pré-tige spécifiques et à la différenciation DIF-1- dépendante des cellules tiges (Kubohara et al., 2007; Schaap et al., 1996), avec un effet inverse sur l’expression des gènes pré-spores spécifiques (Verkerke-van Wijk et al., 1998). Par ailleurs, les travaux de P. Golstein et collègues ont mis en évidence l’implication d’une voie de signalisation calcium et IplA-dépendante dans la mort cellulaire de type « autophagique » qui prend place dans la différenciation terminale d’une partie des cellules tiges (Lam et al., 2008).

A l’heure actuelle, les connaissances concernant la signalisation calcique chez Dictyostelium restent relativement fragmentaires. Néanmoins, les résultats actuels et la présence chez l’amibe d’un large panel de protéines attendues ou déjà caractérisées comme senseurs du calcium laissent penser que le calcium joue chez cet organisme, comme chez les eucaryotes supérieurs, un rôle central dans la signalisation intracellulaire. Des études plus poussées de ses senseurs sont maintenant nécessaires pour accéder aux mécanismes moléculaires mis en jeu et obtenir une vision plus intégrée des fonctions assurées par ce messager secondaire.