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siècle que la question des effectifs de l’État commença à véritablement émerger comme le possible objet

186 « Bureaucratie », Pierre LAROUSSE, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, tome 2: B, Paris, Administration du grand dictionnaire universel, 1867, p. 1421.

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Pierre ROSANVALLON, L’État en France, op. cit., p. 57‑58 ; L’auteur se base sur des calculs réalisés par Clive H. CHURCH, Revolution and Red Tape. The French Ministerial Bureaucracy, 1770-1850, Oxford, Clarendon Press, 1981. Ces chiffres sont à prendre avec précautions. Pierre Rosanvallon qualifie en effet les statistiques globales de Clive H. Church d’assez « douteuses tant à cause des sources que de leur mode de traitement » (p. 285). Ce dernier évalue par exemple le total des effectifs des années 1788-1799, tantôt à environ 250.000 (p. 72) tantôt à l’addition de 13 à 15.000 agents à Paris et 250 à « peut-être » 300.000 en province (p. 95), sur la base d’une « extrapolation » de chiffres concernant la Haute-Marne (n. 63 p. 341).

188 Jean MEYER, Le poids de l’État, Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 208‑212 (citation p. 210).

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Pour un riche aperçu de la littérature pamphlétaire concernant la bureaucratie, de 1789 à la fin du XIXe siècle on pourra consulter la section « 221. La critique de la bureaucratie et la demande de transparence » de l’orientation bibliographique proposée par Pierre ROSANVALLON, L’État en France, op. cit., p. 323‑

324 ; Sur l’évolution sémantique du terme « bureaucratie » on pourra consulter : Fred RIGGS, « Introduction : Évolution sémantique du terme « bureaucratie » », op. cit. ; L’auteur propose un approfondissement des analyses de Martin ALBROW, Bureaucracy, London, Macmillan, 1970. S’il faut lire les analyses de F. Riggs avec quelques précautions (concernant la prise en considération de la chronologie notamment) cet article propose cependant un riche panorama des usages du terme d’un point de vue international.

d’une investigation statistique systématique. Entre-temps, un glissement progressif

semble avoir lieu à partir de la fin des années 1880 et s’accélérer dans les années 1890,

conduisant les critiques à une certaine focalisation sur les fonctionnaires et employés de

l’État. Excroissance de la bureaucratie, le « fonctionnarisme » faisait son entrée sur le

devant de la scène.

L’édition de 2006 du dictionnaire historique de la langue française donne au terme

« fonctionnarisme », le « sens péjoratif de "prépondérance gênante des fonctionnaires

dans un État" »

190

. L’entrée atteste d’une apparition du terme vers 1850, période au

cours de laquelle celui de « bureaucratie » commençait à aussi recouvrir la question du

nombre des fonctionnaires. Absent de l’édition de 1874 du Littré, le terme figurait bien

dans le Grand dictionnaire universel du XIX

e

siècle. D’abord comme élément d’analyse

des conséquences de la centralisation au sein du tome 3 (C – CHEM) paru en 1867

191

,

mais aussi (et surtout) comme entrée à part entière sur plus d’une page du tome 8 (F –

G) paru en 1872

192

. Pierre Larousse définissait ainsi ce terme comme un néologisme

désignant un « système fondé sur l’existence d’un grand nombre de fonctionnaires » en

renvoyant à une citation (probablement partiellement erronée) de Frédéric Bastiat : « le

fonctionnarisme perdra tous les gouvernements modernes. Tout ce qui est tombé dans le

domaine du fonctionnarisme est à peu près stationnaire »

193

. Le choix de cet exemple est

très révélateur d’une orientation d’abord libérale anti-étatiste de l’usage de ce terme

194

.

Pour Pierre Larousse, le fonctionnarisme consistait ainsi en une « manie des emplois

publics », un « fléau social » qui, si l’on n’y mettait pas « un frein », perdrait la France

190

« Fonctionnarisme », Dictionnaire historique de la langue française [éd. 2006], op. cit., p. 1452.

191 « Centralisation », Pierre LAROUSSE, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, tome 3: C - CHEM, Paris, Administration du grand dictionnaire universel, 1867, p. 725 ; comme le note d’ailleurs Luc ROUBAN, « Le nombre des fonctionnaires : le débat autour du fonctionnarisme (1877-1914) », Revue française d’administration publique, no 135, 2011, p. 585 ; Pour une mise en perspective et une analyse approfondie des enjeux relatifs à la critique de la centralisation et de sa relation à celle de la bureaucratie dans la France du XIXe siècle, voir : Pierre ROSANVALLON, Le Modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2004.

192

« Fonctionnarisme », Pierre LAROUSSE, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, tome 8: F - G, Paris, Administration du grand dictionnaire universel, 1872, p. 549‑550.

193

La seconde phrase figure bien dans un ouvrage de Frédéric Bastiat, il s’agit d’un extrait de la section « services privés, service public » dans Frédéric BASTIAT, Œuvres complètes, t. 6 : Harmonies économiques, 3e édition revue et augmentée, Paris, Guillaumin, 1854, p. 495. Toutefois, la première ne l’y précède pas et n’apparaît pas ailleurs dans cette section. Elle semble même, selon une interrogation « plein texte » d’une version numérisée de l’ensemble des œuvres complètes, totalement absente des écrits de F. Bastiat bien que la formule corresponde bien aux orientations formulées par l’économiste lorsqu’il traitait de l’État ; Pour une intéressante mise en perspective de l’usage des exemples dans le Larousse, voir : Simone DELESALLE, « Le traitement des exemples dans les grands dictionnaires de la seconde partie du XIXe siècle », Langue française, no 106, 1995, p. 71‑72.

194

Pour Bastiat, l’État, cette « grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » (L’État, p. 332), est « soumis à la loi malthusienne » et « tend à dépasser le niveau de ses moyens d’existence », les gouvernements présentant à la population des « entraves » comme des « services effectifs » avec pour seul objectif de « créer des fonctions et payer des fonctionnaires » (Physiologie de la spoliation, p. 141-143) : Frédéric BASTIAT, Œuvres complètes, t. 4 :

car il provoquait, comme l’intervention de l’État en manière générale,

l’« affaiblissement des énergies individuelles » et « l’abaissement des caractères ». En

outre, dans la droite ligne des critiques révolutionnaires de la bureaucratie, il faisait

remonter la naissance du mal à la monarchie et assignait la responsabilité de son

développement à l’Empire : « de 1789 à 1800, il y avait eu en France des citoyens. À

partir de l’an 1800, il n’y eut plus que des fonctionnaires et des administrés », les

premiers composant finalement une véritable « armée du despotisme »

195

. Le Grand

dictionnaire universel offrait une illustration chiffrée du phénomène (voir le

récapitulatif dans le graphique I.1. suivant). En 1867 (article « Centralisation ») le

fonctionnarisme était mesuré à l’aune du « prix que coûtent, par habitant, les services

publics ». Le tableau présenté, dont « l’éloquence » dispensait son auteur de « tout

commentaire », plaçait la France parmi les pays dont les services publics étaient les plus

coûteux, loin derrière un pays ayant atteint un « degré de perfection » sans égal, les

États-Unis. En 1872 (article « Fonctionnarisme »), ce fut le « nombre des fonctionnaires

de tout ordre » qui fut présenté en comparaison à celui de 1854.

Graphique I. 1 : Mesures du fonctionnarisme dans les tomes 3 (1867) et 8 (1872) du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle

Sources : d’aprèsLAROUSSE Pierre, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, t. 3: C - CHEM et t. 8: F - G, Paris, Administration du grand dictionnaire universel, 1867 et 1872, p. 725 et p. 550.

En dépit de leur « éloquence », la précision – au centime près – des données fournies

concernant le coût des services publics par habitant en 1867 – dont il n’est pas précisé

s’il s’agit d’un coût journalier, mensuel ou annuel – laisse songeur. Mais

malheureusement aucune source n’est, même vaguement, mentionnée par l’auteur.

L’évaluation du nombre des fonctionnaires donnée pour 1854 reste, elle-aussi une

énigme que je n’ai pu résoudre. Elle est basée, selon l’auteur, sur « une statistique qui

date de 1854 », mais aucune de celles que j’ai pu retrouver pour les années 1845-1860

ne correspond à cette année-là

196

. L’évaluation proposée pour 1872 reposait quant à elle

sur une extrapolation de cette statistique précédente par l’auteur, qui ajoutait les

« employés des chemins de fer », qui s’élevait « [disait]-on, à 80 000 hommes » et de

quelques milliers d’autres agents non mentionnés

197

. Quelques années plus tard,

témoignage d’une utilisation de plus en plus courante du terme, « fonctionnarisme »

faisait son apparition (avec un seul « n » et sans illustrations statistiques) dans le

supplément du Littré publié en 1886, les exemples d’utilisation du terme étant cette fois

puisés dans le discours politique :

« FONCTIONARISME (fon-ksio-na-ri-sm’), s.m. Système de la prépondérance des fonctionnaires. Nous sommes avec vous quand vous demandez la diminution du budget, la réforme administrative, la destruction de ce fonctionarisme qui est une plaie de notre époque, pire que l'ancienne aristocratie d'avant 89, Compte rendu analytique de la séance du Corps législatif, le 21

janvier 1870. Nous ne voulons pas du moins créer un fonctionnaire nouveau dans un pays où le fonctionarisme existe à l'état de maladie, Journ. offic. 16 déc. 1873, p. 7811, 2e col. »198

Le dernier quart du XIX

e

siècle voyait ainsi la question du nombre des agents de