• Aucun résultat trouvé

73 Après la destruction de la nouvelle aile à la fin du XVIIIe siècle, les deux tiers orientaux du bâtiment 2 sont détruits avant 1809, probablement par étapes. Plusieurs murs construits à l’est au rez-de-chaussée semblent en effet indiquer une partition de l’espace et la destruction au moins partielle des élévations, de nombreux blocs issus de la destruction ayant été remployés pour la construction de ces murets.

74 Par la suite, des réaménagements intérieurs ont achevé la transformation du bâtiment médiéval en habitation et dépendance agricole aux XIXe et XXe siècles (fig. 14).

Conclusion

75 L’étude archéologique de l’ancienne hôtellerie de Marmoutier, associant fouille et étude du bâti en élévation, a donc révélé une évolution beaucoup plus complexe que ce que l’unique mention de cet édifice dans la chronique du XIIIsiècle laissait augurer. Loin de constituer un édifice construit ex nihilo, la réalisation attribuée par la chronique à Hervé de Villepreux, et que l’archéologie place plus largement à la période fin XIIe-début XIIIe siècle, a tiré parti d’un édifice antérieur formant désormais l’extrémité orientale d’une vaste construction à deux niveaux : un rez-de-chaussée voûté et une grande salle sous charpente. Le premier, ouvert par plusieurs portes sur l’extérieur, a pu remplir les fonctions de cellier mentionnées dans le texte mais a pu aussi servir de réfectoire, dans sa partie centrale où une banquette fut repérée. Le second, qui reçut de larges baies sur sa face nord, tournée vers l’entrée et donc vers l’extérieur, et au contraire de simples fentes côté sud, offrait un vaste espace d’accueil aux hôtes de marque.

En outre, la position du bâtiment à l’entrée de l’enclos se traduit par la présence d’un passage voûté à son extrémité occidentale, passage qui facilitait les mouvements entre l’extérieur et

présence d’adultes des deux sexes et d’immatures conduit à identifier un espace funéraire réservé aux laïcs. Peut-on y reconnaître des membres de la familia ? En tout cas, aucun indice pathologique n’invite à y voir des malades qui auraient été soignés sur place, mais il est vrai que la majorité des maladies ne laissent pas de trace sur les ossements. Cette aire funéraire, qui devait s’étendre entre le bâtiment et le coteau, le portail d’entrée et l’église abbatiale, située à l’est, a été délaissée à partir du début du XIVe siècle, peut-être en raison de l’achèvement à cette période de la nouvelle abbatiale gothique dont le porche jouxtait l’hôtellerie.

77 L’analyse archéologique des transformations de l’hôtellerie montre notamment la division de l’étage en trois niveaux à partir des XVe-XVIe siècles, division accompagnée d’une amélioration de l’éclairage par le percement de nouvelles baies. Il reste toutefois difficile de dater précisément le changement fonctionnel, attesté par la documentation moderne, qui désigne cet édifice comme la maison du Grand Prieur. Ce changement d’usage entraîna au XVIIIe siècle des agrandissements surdimensionnés par rapport aux besoins, avec l’ajout au nord-ouest d’une nouvelle aile utilisée tout au plus quelques décennies avant les bouleversements de la Révolution, qui amena la destruction des deux tiers de l’édifice et la transformation en dépendance agricole du tiers restant. Il reste à espérer que la poursuite des travaux, et notamment la restauration qui s’impose à court terme de la partie subsistante, sera l’occasion de découvertes supplémentaires à même de compléter notre compréhension de cet édifice.

Notes

1  H. GALINIÉ (dir.), Tours antique et médiéval. Lieux de vie, temps de la ville : 40 ans d’archéologie urbaine, Tours, 2007 (supplément à la Revue archéologique du Centre de la France, 30), en particulier p. 232-238 sur les ponts antiques et p. 247-255 sur le castrum.

2  Sur l’occupation antique du site et la confrontation des données archéologiques et textuelles, voir É.

LORANS, « Aux origines du monastère de Marmoutier : le témoignage de l’archéologie », in B. JUDIC (éd.), Les abbayes martiniennes, éd. Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 119/3 (2012), p. 177-203.

Contrairement à l’hypothèse proposée dans cet article, il s’agissait sans doute d’une petite agglomération plutôt que d’une villa, car ce type d’établissement est rarement établi sur le tracé d’une voie à longue distance ; en outre, on en connaît très peu dans la vallée de la Loire ou de l’un de ses affluents.

3  B. CHÉRAULT, L’abbaye de Marmoutier à l’époque de la Révolution française (1789-1799), mémoire de Master 1, dir. Robert Beck, université de Tours, 2011.

4  Ces travaux ont fait l’objet de plusieurs articles parus dans le Bulletin de la Société archéologique de Touraine et dans le Bulletin monumental et sont résumés dans l’ouvrage suivant, où figure toute la bibliographie : C. LELONG, L’abbaye de Marmoutier, Tours, 1989.

5  Ce programme de recherche, soutenu par la ville de Tours, la région Centre et l’État (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et ministère de la Culture), donne lieu depuis 2005 à une campagne de terrain annuelle, dont les rapports sont tous accessibles sur HAL-CNRS, des résumés étant également publiés chaque année dans la chronique des fouilles d’Archéologie médiévale. Un premier bilan des principaux résultats de terrain vient d’être publié : É. LORANS et T. CREISSEN, « Marmoutier : archéologie d’un site monastique dans la longue durée  », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 59 (2013), p. 123-147.

6  Pour une étude détaillée de la topographie de Marmoutier dans la longue durée, voir É. LORANS,

« Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques médiévaux : à propos de Marmoutier », in M. LAUWERS (dir.), Monastères et espace social. Genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2014, p. 323-386.

7   É. ZADORA-RIO, «  Lieux d’inhumation et espaces consacrés  : le voyage d’Urbain  II en France (août 1095-août 1096) », in A. VAUCHEZ (dir.) Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques, Rome, 2000, p.  197-213 (École française de Rome, 273).

8  T. CREISSEN et É. LORANS, « L’apport des dernières fouilles archéologiques à la connaissance des églises abbatiales de Marmoutier antérieures à la reconstruction gothique », Hortus Artium Medievalium, 20/2 (2014), p. 532-543.

9  D. PRIGENT, « Les débuts du moyen appareil : l’exemple de l’Anjou-Touraine (Xe-XIIIe siècles) », in F. BLARY, J.-P. GÉLY et J. LORENZ (dir.), Pierres du patrimoine européen. Économie de la pierre de l’Antiquité à la fin des Temps modernes, Paris/Château-Thierry, 2008, p. 295-308 ; ID., « Techniques de construction et de mise en œuvre de la pierre du IXe au XIe siècle : nouvelles approches », in D.

IOGNA-10  É. MAROT, Architecture civile et formation du tissu urbain de Châteauneuf (Tours) du Xe au XIVe siècle, thèse de doctorat d’histoire, université François-Rabelais, Tours, 2013.

11  B. SAINT-JEAN-VITUS, « Vivre et travailler à l’ombre de l’abbaye Notre-Dame du VIIe au XIXe siècle : les fouilles archéologiques de la rue Saint-Genest à Nevers », in Bulletin de la Société nivernaise des lettres, sciences et arts, 54 (2005), p. 65-96.

12  B. LEFEBVRE, « Bilan de l’analyse architecturale de l’hôtellerie (2005-2007) », in É. LORANS (dir.), Le site de l’abbaye de Marmoutier (Tours, Indre-et-Loire) rapport 2007, UMR 6173 CITERES, t. 3, 2007, p. 1-24.

13  R. AVRILLA, Étude archéologique de la charpente de l’ancienne hôtellerie de Marmoutier (Tours, Indre-et-Loire), mémoire de Master 2, dir. É. Lorans, université François-Rabelais, Tours, 2012 ; résumé dans R. AVRILLA, « Étude archéologique de la charpente de l’ancienne hôtellerie de Marmoutier », in É.

LORANS et T. CREISSEN (dir.), Le site de l’abbaye de Marmoutier (Tours, Indre-et-Loire) rapport 2012, UMR 7324 CITERES, 2012, p. 76-79.

14   A. GORDINE, «  Le décor peint  : analyse visuelle  », in É. LORANS (dir.), Le site de l’abbaye de Marmoutier (Tours, Indre-et-Loire) rapport 2008, UMR 6173 CITERES, 2008, p. 73-77.

15  Chroniques des Abbés de Marmoutier, in Recueil de Chroniques de Touraine, A. SALMON (éd.), Tours, 1854, ici p. 323.

16  Chroniques des abbés de Marmoutier : Recueil de Chroniques de Touraine…, ibid., ici p. 329. Ce passage appartient à une section de la Chronique rédigée au XVe siècle.

17  E. MAGNANI, « Le pauvre, le christ et le moine : la correspondance de rôles et les cérémonies du mandatum à travers les coutumiers clunisiens du XIe siècle », in V. TABBAGH (dir.) Les clercs, les fidèles et les saints en Bourgogne médiévale, Dijon, 2005, p. 11-26.

18  J.-L. PIAT et P. BOUVART, L’abbaye de Nanteuil-en-Vallée (Charente), Fin de triennale, société Hadès, 2014, t. 1, p. 73-74.

19  B. LEFEBVRE, « Bilan de l’analyse architecturale de l’hôtellerie (2005-2007) », in É. LORANS (dir.), Le site de l’abbaye de Marmoutier (Tours, Indre-et-Loire) rapport 2007, UMR 6173 CITERES, t. 3, 2007, p. 1-24.

20   Les procès-verbaux de  1791 et  1798, conservés aux Archives départementales d’Indre-et-Loire [ADIL], ont été édités par l’abbé Chevalier, à la suite de l’Histoire de Marmoutier de Dom Martène : Mémoires de la Société archéologique de Touraine, 24-25 (1874-1875), ici t. 25, p. 613 et 624-625. Le premier livre une description sommaire du bâtiment, sans mentionner de voûtement, alors que le second, plus détaillé, fait état d’un rez-de-chaussée entièrement voûté :

Pour citer cet article Référence électronique

Élisabeth Lorans, Émeline Marot et Gaël Simon, « Marmoutier (Tours) : de l’hôtellerie médiévale à la maison du Grand Prieur », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n°8 | 2015, mis en ligne le 29 janvier 2015, consulté le 03 mars 2015. URL : http://

cem.revues.org/13659 ; DOI : 10.4000/cem.13659

À propos des auteurs Élisabeth Lorans

Laboratoire Archéologie et Territoires, CITERES, Université François-Rabelais Tours Émeline Marot

Laboratoire Archéologie et Territoires, CITERES, Université François-Rabelais Tours Gaël Simon

Laboratoire Archéologie et Territoires, CITERES, Université François-Rabelais Tours Droits d’auteur

© Tous droits réservés

Résumés

 Le monastère de Marmoutier, vaste établissement bénédictin implanté entre le coteau et la Loire, face à Tours, fait l’objet d’un programme de recherche archéologique depuis 2005.

L’emprise de l’ancienne hôtellerie, dont un tiers environ subsiste en élévation, a été fouillée de 2006 à 2013, mettant en évidence une évolution complexe des bâtiments entre les Xe-XIe siècles et le XIXe siècle. À deux édifices, qui ont dû remplir des fonctions d’accueil, a succédé, à la fin du fin XIIe siècle, une construction de 50 m de long, composée d’un rez-de-chaussée voûté et d’une grande salle sous charpente, identifiable à l’hôtellerie des hôtes de marque, dont la construction est attribuée à Hervé de Villepreux par la chronique des abbés de Marmoutier.

Cet article présente cette succession d’édifices et les transformations médiévales et modernes de l’hôtellerie, en proposant quelques comparaisons.

 The monastery of Marmoutier, a large benedictine abbey situated between the hillside and the Loire river, opposite the city of Tours, has been the subject of a major archaeological research programme since 2005. The floor space of the old monastic guest house, of which around a third is still above ground, was excavated between 2006 and 2013, showing a complex evolution of the monastic buildings between the 10th-11th and the 19th centuries. Replacing two buildings likely to have been used as hostelries, we have a new construction dated to the end of the 12th century, to be identified with the guest house for high-ranking visitors said to have been built by Hervé de Villepreux in the Chronicle of the abbots of Marmoutier. This fifty-meters’ long construction is made up of a vaulted ground floor, and a large timber-framed hall. This paper sets out the succession of buildings on the site, and the medieval and modern transformations of the guest house, and proposes a few comparative interpretations.

Entrées d’index

Index de mots-clés : monastère, hôtellerie, matériau, décor, cimetière, technique de construction

Index by keyword : monastery, guest-house, materials, building techniques, ornament, cemetery, Marmoutier (Tours, France)

Index géographique : France/Marmoutier, France/Tours

Documents relatifs