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SENTIMENTS D’INJUSTICE ET ATTENTES NORMATIVES CONTEMPORAINES

Dans le document Le juste et l'inacceptable (Page 167-200)

L’exploration des modalités de l’acceptable et de l’inacceptable, en matière d’inégalités et d’écarts de situations, ainsi que celle du large spectre des sentiments d’injustice contribue à faire émerger, au sein de ces derniers, des sentiments d’injustice spécifiquement liés et induits par les interactions sociales actuelles, ceux-ci imposant de revisiter les théories interprétatives existantes des sentiments d’injustice. Se dessinent en effet des formes « contemporaines » du sentiment d’injustice, s’inscrivant dans le cadre de conditions normatives et de référentiels axiologiques caractéristiques de notre époque. Ceux-ci s’avèrent fortement marqués par des attentes liées à l’impartialité et à des principes structurants des démocraties libérales. Ces attentes sont à ce point prégnantes qu’elles ne s’expriment pas seulement à l’endroit des citoyens, sur le forum public, mais informent les exigences que les individus – indissolublement citoyens – nourrissent dans leur cadre professionnel. Parce qu’ils expriment des intuitions de justice, ces sentiments ne s’épuisent pas dans l’expression de la frustration relative. Les significations qui leur sont inhérentes relèvent moins de phénomènes de comparaison que d’attentes normatives fondées sur et esquissant des conceptions du juste.

Pourtant ces sentiments ne traduisent pas non plus simplement le fait qu’« une reconnaissance considérée comme méritée n’intervient pas » (Honneth) ni n’expriment systématiquement voire exclusivement une atteinte aux idées intuitives de l’honneur, de la dignité et de l’intégrité.

<IT1> FRUSTRATION RELATIVE OU MEPRIS SOCIAL ?

<IT2> La frustration relative : une impasse

Une large part de la tradition sociologique et philosophique a vu, dans la frustration relative, une source majeure des sentiments d’injustice. R. Boudon (1995) identifie plusieurs formes de la privation relative, selon qu’elle concerne un écart entre ce qu’un individu a et ce qu’il pense qu’il devrait avoir, d’une part, ou selon qu’elle concerne une comparaison entre ce qu’un individu a et ce que d’autres ont, d’autre part. Dans chaque cas, la privation relative peut affecter négativement la perception des inégalités et leur légitimité. Les théories de l’échange (Homans, 1961 ; Walster et al., 1967) fondent les évaluations normatives, concernant notamment les rémunérations individuelles, non pas sur des normes absolues de justice, mais sur des comparaisons de l’équité relative des niveaux de rétribution. Ces processus de comparaison opèrent soit selon des modalités internes soit selon des modalités externes quoique ces deux dimensions soient souvent simultanément à l’œuvre. L’individu peut en effet évaluer la justice d’une rétribution par rapport à l’image de soi qu’il s’est progressivement construite, dans des expériences antérieures, i.e. par rapport à une évaluation que l’individu formule de lui-même ou pour lui-même. Son jugement peut en revanche résulter d’une évaluation interpersonnelle dans laquelle le paramètre décisif sera le groupe de référence choisi pour la comparaison (Stouffer et al., 1949 ; Merton et Rossi, 1957 ; Ruciman, 1966). Dans le premier cas, le sentiment de justice exprimera le fait de voir ses capacités reconnues, d’être évalué à sa juste mesure, d’être estimé (Selnick, 1969), en référence à un idéal du moi et à une perspective égocentrée. Dans le second cas, la comparaison avec autrui prévaut et le sentiment de justice résulte du fait d’être traité comme les autres, de ne pas être l’objet de discrimination ou de favoritisme. Les comparaisons peuvent encore procéder de façon interne, locale ou référentielle. Ainsi pour apprécier l’équité de leur rétribution, les individus comparent leurs résultats ou le rapport de leurs résultats à leurs contributions (inputs) soit avec ceux fondés sur l’expérience passée (Weick, 1966) soit avec les résultats de partenaires de l’échange (Adams, 1965) ou avec le rapport de la contribution de ces derniers et de leurs résultats, soit enfin avec les résultats de personnes constituant un groupe de référence d’individus similaires à eux (Berger et al., 1972). Ces comparaisons sont réalisées seules ou de façon conjointe. Indépendamment de son point de référence, le mécanisme de comparaison peut soit accroître les frustrations soit les réduire, selon les critères de comparaison mobilisés.

Si la frustration relative a pu constituer un ressort explicatif majeur des sentiments d’injustice, les attitudes individuelles se prêtant à l’analyse empirique suggèrent qu’elle ne permet de saisir que de façon très parcellaire ce type de sentiments et ne s’avère opératoire que pour décrire des situations très particulières. La frustration relative constitue le ressort fondamental de l’expression de l’injustice, lorsque les individus se trouvent dans des situations professionnelles de désajustement social, probablement parce qu’ils disposent alors d’un point de comparaison, passant pour objectif, avec une situation qui devrait être la leur. Ces situations sont structurellement propices à ce qu’œuvrent des comparaisons et, en l’occurrence, des comparaisons entre ce qu’un individu a et ce que les autres ont, entre ce qu’un individu a et ce qu’il estime qu’il devrait avoir. La comparaison est un motif cognitif à partir duquel s’approprier la réalité sociale et la rendre intelligible. Elle constitue un outil pour apprécier sa propre situation, toute comparaison n’étant néanmoins pas génératrice d’envie.

Cependant ces sentiments, au même titre que la stigmatisation de traitements trop inégalitaires, c’est-à-dire trop inégalitaires pour être compatibles avec l’expression sociale d’un égal respect, n’ont de validité pour autrui – et pas seulement pour soi – que pour autant qu’elles désignent une fixité des positions sociales ou des caractéristiques intrinsèquement défavorables de certaines de ces positions (Guibet Lafaye et Picavet, 2010), à la différence de sentiments d’injustice fondés sur la références à des normes abstraites de justice.

L’incidence réduite des phénomènes de comparaison, dans les jugements normatifs concernant les rémunérations, peut également s’expliquer par l’évolution des conditions de travail. Les pratiques actuelles de calcul des rémunérations complexifient la comparaison interpersonnelle (Gazier, 2004), susceptible de motiver des sentiments de justice ou d’injustice dans le domaine. Le salaire n’est en effet plus établi suivant des grilles, liées au seul travail à accomplir, mais suivant une série d’indicateurs où interviennent tant des facteurs personnels (réussite des objectifs, obtention de compétences, performance, etc.) que des facteurs organisationnels (résultats financiers de l’entreprise, perspectives économiques dans le secteur, nouveaux modes de travail, contraintes syndicales). D’une part, la rémunération paraît de plus en plus détachée de la manière dont les salariés envisagent la réalisation de leurs tâches respectives. D’autre part, la multiplicité des facteurs intervenant dans l’indexation des salaires réduit la pertinence d’une évaluation du juste salaire, à partir de la comparaison à autrui. Dès lors, l’insatisfaction et/ou le sentiment de justice face au salaire tend plutôt à refléter un rapport de l’individu au travail au sens large (Paugam, 2000).

Cependant la « sphère » de la rémunération constitue le domaine principal de la justice dans lequel s’expriment ces sentiments d’injustice. Empiriquement, les individus procèdent

plutôt selon des comparaisons mobilisant leurs différentes caractéristiques – par exemple de leurs diplômes et de ce que certains considèrent être leurs capacités de management – et leurs accomplissements (i.e. de ce à quoi ils parviennent), mis en perspective avec ceux des autres (Della Fave, 1980 ; voir aussi Berger et al., 1972 ; Cook, 1975 ; Jasso, 1980). Par ce biais, les personnes situent leur position relative dans une structure sociale plus large et évaluent ainsi la valeur sociale que les autres attribuent à leur position dans la société. Cette démarche témoigne d’une référence à des évaluations réfléchies faites par autrui (Mead, 1934) ainsi qu’à la situation factuelle (Bem, 1967 ; Stolte, 1983). Ce type de comparaison procède donc en deux temps : en premier lieu, un jugement individuel relatif à la valeur de sa propre

« contribution » (un tel soulignant qu’il ne rechigne pas à travailler douze heures par jour) puis, dans un second temps, une évaluation de l’équité des échanges socioéconomiques, par exemple le fait que l’augmentation de salaire revendiquée, pour un surcroît de travail effectué, puisse ne constituer qu’une faible part des bénéfices de l’entreprise qui embauche et à la production de laquelle l’employé contribue largement. Dès lors, l’acceptation de sa position par l’individu procède d’une auto-évaluation et se trouve corrélée au fait qu’il la juge – et, en l’occurrence, ne la juge pas – méritée.

L’évaluation spontanée de leur position, par les individus, ne semble pas empiriquement passer, de façon privilégiée, par une explication causale de leur comportement, conformément à laquelle ils infèreraient la mesure dans laquelle ils sont causalement responsables des rétributions qu’ils reçoivent dans les échanges sociaux, ainsi que le suggèrent, dans un cadre de psychologie expérimentale, les théories de la perception de soi (Bem, 1967 ; Aronson, 1969 ; Bem, 1972) ou la théorie sociologique de Della Fave (1980). En revanche, les comparaisons mobilisent, de façon récurrente, la référence à un autre « général » (« generalized others ») comme norme externe à partir de laquelle des inférences, en matière de comportement sont faites. Cet autre « général » s’incarne fréquemment, lorsqu’il est question des rémunérations, dans la figure des individus les mieux rémunérés ou des patrons. Ce dispositif se met en place lorsque les personnes se prononcent ou évoquent un domaine social concernant lequel elles n’ont des informations que très parcellaires. Néanmoins et comme nous l’avons suggéré en première partie de cette étude, lorsqu’il est question d’équité ou de justice, le principal terme de référence de ces comparaisons n’est pas tant un autre « général » qu’une « norme de justice » plus générale, éventuellement associée à un autre « spécifique » ou bien à une structure de référence plus générale (Berger et al., 1972 ; Jasso, 1980 ; Markovsky, 1985).

D’un point de vue subjectif, la frustration relative est à l’origine du sentiment d’injustice, lorsque le critère de non envie – qui répond à une idée intuitive d’acceptabilité pour chacun, compte tenu de la situation des autres – n’est pas validé. Néanmoins toute comparaison, y compris de sa propre situation avec autrui, n’est pas source d’envie. La comparaison peut porter sur des attentes de reconnaissance ainsi que de rétribution de l’effort et du mérite. Elle convoque alors, quoique pas exclusivement dans ce type de configurations, des normes absolues de justice plutôt que seulement des comparaisons de l’équité relative des niveaux de rétribution, comme le voudraient R. Boudon ou la théorie de l’échange (Homans, 1961 ; Walster et al., 1967). Certes les individus n’ont pas une représentation précise de ce que devrait être, dans l’absolu, un niveau de rémunération juste mais certains s’orientent toutefois vers cette idée, en s’appuyant sur la norme existentielle offerte par le Smic. Ce niveau de rémunération est alors évalué à partir de la possibilité de satisfaire des besoins fondamentaux et d’avoir une vie décente aujourd’hui en France.

Lorsqu’elle s’exprime, la frustration relative peut donner lieu ou pas à de l’envie relative.

Les frustrations sont accrues, lorsque les individus considèrent le haut de l’échelle sociale et atténuées, lorsqu’ils considèrent le bas de l’échelle sociale. Certains appréhenderont l’envie comme une question futile, au même titre que si la question de l’inégalité était abordée à partir de considérations comme le fait de pouvoir s’offrir un yacht et d’avoir une villa à Cannes ou non, et s’engageront dans une délégitimation des sentiments d’envie, attribués à des autrui fictifs. La futilité de l’envie s’explique alors par l’absence de motivation éthique.

Hayek (1944), qui mettait en doute la dimension éthique du jugement sur l’inégalité, jugeait par exemple que le sentiment d’injustice concerne la pathologie personnelle. Cette présomption demeure aujourd’hui opérante dans les raisonnements individuels, en particulier lorsqu’il s’agit de disqualifier des sentiments de frustration relative, attribués à des individus plus mal lotis que soi ou à des groupes sociaux stigmatisés pour leur comportement.

Un même sentiment de futilité peut être associé à la frustration relative, lorsqu’une certaine inégalité dans le train de vie est compatible avec l’absence de torts assignables à des personnes particulières1. Dans le cas des joueurs de football ou des stars de télévision, se trouve posée la question des « torts assignables ». S’agirait-il de « tort sans victime » (Ogien, 2007) alors même qu’il semble, comme le souligne Spinoza, que l’inégalité ne paraisse engendrer aucun tort à personne en particulier ? Cette configuration se manifeste toutefois rarement sous une forme

1 Dans ces configurations, « on se fait un jeu de violer toutes les lois qu’il est possible d’enfreindre sans faire injustice à personne en particulier […] »(Spinoza, 1677,X, 5).

incontestée, que l’on dénonce le système social qui autorise ces rémunérations ou le tort commis à l’égard des individus qui ont une utilité sociale réelle. En effet, dès qu’il y a inégalité, des voix peuvent s’élever pour faire valoir que l’on subit, en quelque manière, un tort si l’on ne bénéficie pas de la position la plus favorisée, toute situation dans la société étant assimilée à une sorte de « traitement » de la personne par la société. Ces voix seront plus ou moins crédibles selon les cas. Cependant lorsque n’est identifiable aucune liaison causale assignable entre la bonne fortune des uns et la condition des autres, sauf à considérer des variations potentielles de très grande portée dans les fonctionnements institutionnels, il peut être jugé faiblement crédible d’affirmer que certains subissent un tort lié à l’inégalité considérée.

La référence à la frustration relative et la mise en œuvre de comparaisons, notamment interpersonnelles ne constituent pas l’unique ressort des sentiments d’injustice, dans la mesure où la structure de ces derniers n’est pas simplement comparative. La structure du sentiment d’injustice suscité par la frustration relative et de ceux engendrés par la déception d’attentes normatives sont essentiellement différentes. Ces derniers sentiments reposent sur des représentations abstraites de ce qui devrait être. Ils sont articulés et structurés autour de normes fondamentales et, dans ce cas, ont une validité intrinsèque plutôt que relative. Dans ces configurations, les sentiments d’injustice placent en regard l’être et le devoir être, alors que la frustration relative concerne plutôt l’ordre de ce qui est, sauf lorsqu’intervient une référence au Salaire juste.

Deux acceptions de la frustration relative pourraient donc être distinguées. En un sens restreint, celle-ci coïncide avec le sentiment d’envie, exprimant une préférence pour des paniers de biens alloués à d’autres. En un sens large et conformément à l’acception que lui confère R. Boudon (1995), ce sentiment témoigne d’un écart entre ce qu’un individu a et ce qu’il pense qu’il devrait avoir, ou bien entre ce qu’il a et ce que les autres individus ont. Le procédé comparatif intervient également, lorsque l’être et le devoir sont placés en regard bien que l’intentionnalité soit alors distincte. Le sens de cette dernière comparaison est irréductible à celle convoquant des situations constitutives de la réalité sociale. Toutefois l’analyse des sentiments d’injustice, dans lesquels point la frustration relative, permet de porter l’attention au-delà du simple recueil de la déception, suscitée par le fait d’être placé, dans telle ou telle situation, de bénéficier d’un salaire indexé à tel ou tel niveau. Elle permet de déceler des conceptions de la justice, sous-jacentes à ces sentiments et demeurant inexplicites, dans l’expression pure de la frustration. La déploration de l’absence de rémunération satisfaisante des heures supplémentaires s’explique par plusieurs principes axiologiques : une contribution exceptionnelle mérite une rémunération supérieure. Plus fréquemment et parce que la

frustration relative a pour lieu d’expression privilégié la sphère du travail salarié, ces sentiments prennent sens et peuvent être analysés à partir de principes, tels que l’équilibre entre contribution et rétribution, le respect de l’égalité des chances mais aussi l’évitement de l’arbitraire ou des principes plus généraux de justice distributive (voir chap. 3).

Des références axiologiques et une strate normative a priori sous-tendent et donnent sens à ces sentiments. En contexte empirique plutôt qu’expérimental ainsi que dans les situations de la vie courante, la frustration relative constituerait l’expression la plus immédiate de la perception de l’injustice, dont on peut légitimement penser qu’elle atteste de l’existence de conceptions sous-jacentes du juste. Ainsi, elle constituerait une strate spécifique du sentiment d’injustice, cette interprétation de celui-ci ne permettant alors de rendre compte que d’un fragment de l’expression des sentiments d’injustice. Cette hypothèse n’autorise toutefois aucune désignation de la source du sentiment d’injustice : s’agit-il de la perception, fusse-t-elle intuitive, de la violation d’un principe de justice ou résulte-t-il de la comparaison empirique de situations factuelles ? La comparaison est-elle au fondement du sentiment évoqué ? Ne serait-elle pas plutôt investie d’une fonction de justification, dans un effort de validation auprès d’autrui, par des individus qui ont le sentiment de subir une injustice ? Le rôle de l’envie, dans l’expression de ces sentiments, permet de faire le partage entre la frustration relative, fondée ultimement sur un principe axiologique ou analysable à partir de cette référence, et la frustration relative, exprimant de l’envie relative. Une description de cette strate normative a été proposée par les théories de la reconnaissance mais celles-ci offrent une interprétation excessivement restrictive des sentiments d’injustice.

<IT2> « Une reconnaissance considérée comme méritée n’intervient pas »

L’interprétation – plus récente – de ces sentiments d’injustice, en termes de mépris social, pourrait constituer un modèle plus compréhensif, susceptible de rendre raison des formes, y compris contemporaines du sentiment d’injustice. Dans le cadre interprétatif dessiné par A.

Honneth, toute revendication de justice distributive est décrite en termes de reconnaissance, en ce sens que « toutes » les revendications de justice sont liées à des situations pouvant se décrire dans les termes d’un déni de reconnaissance. Ainsi lorsque « les conditions normatives de l’interaction sociale » ne sont pas respectées, c’est-à-dire lorsque l’on refuse à une personne la reconnaissance qu’elle mérite, celle-ci fait l’expérience du mépris et éprouve de l’indignation, de la colère ou de la honte (Honneth, 2000, p. 193). Chaque violation des conditions normatives de l’interaction a un effet (immédiat) sur les sentiments moraux des

intéressés car les sujets s’engagent dans l’interaction sociale avec des attentes normatives, associées aux relations de communication et qui supposent une reconnaissance sociale. Les revendications de justice salariale sont par exemple, pour ceux qui les émettent, une exigence de voir reconnus leur travail ou les efforts qu’ils ont consentis sur le lieu de travail. Le sentiment d’injustice ne se trouve alors pas appréhendé à partir de sphères de la justice ou de mondes sociaux déterminés mais conformément à une approche transversale de ces mondes sociaux.

Cette compréhension du sentiment d’injustice n’étant pas de nature comparative, elle suggère une interprétation intrinsèque et qualitative des sentiments d’injustice contemporains.

De fait, certains sentiments d’injustice n’ont rien de comparatif et se voient associés, même par celui qui les exprime, à une expérience qualitative, comme lorsque des individus commentent, après un licenciement, le travail qu’ils ont accompli, par le passé, pour l’entreprise. L’approche honnethienne permet de réinterpréter la fonction de la comparaison au sein de ces sentiments, à partir d’une source intrinsèque à ces derniers dont l’une des formulations ou expressions pourrait passer par des comparaisons. Celles-ci ne seraient alors convoquées que dans un processus de justification pour soi-même ou pour autrui du sentiment d’injustice. Le principal apport de cette théorie est de considérer que le sentiment d’injustice est travaillé de façon interne par des attentes normatives. La mise en échec d’exigences normatives, nourries par les individus, produit des sentiments d’injustice et contribue à déclencher des dynamiques cognitives et pratiques.

Cependant cette interprétation confère un ancrage social précis et asymétrique aux sentiments d’injustice. Elle repose en outre sur une indétermination des exigences normatives sous-jacentes aux sentiments d’injustice interdisant de saisir la spécificité de ceux émergeant dans l’interaction sociale contemporaine. Elle décrit une structure formelle à partir de laquelle

Cependant cette interprétation confère un ancrage social précis et asymétrique aux sentiments d’injustice. Elle repose en outre sur une indétermination des exigences normatives sous-jacentes aux sentiments d’injustice interdisant de saisir la spécificité de ceux émergeant dans l’interaction sociale contemporaine. Elle décrit une structure formelle à partir de laquelle

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