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SENTIMENT D’ABANDON

Dans le document Esperanza, Veronica Nevado (Page 30-39)

Aujourd’hui, j’appelle mes grands-parents une fois par mois environ et c’est très culpabilisant. Lorsque ta famille meurt de faim et qu’elle n’a plus rien à acheter, non pas parce qu’elle manque d’argent, mais parce qu’il n’y a rien à acheter dans les épiceries, c’est inquiétant. Les élèves de mon école et moi-même continuons à aller à l’école chaque jour, à

manger trois repas par jour comme si de rien n’était. Malgré le fait qu’il y ait un programme d’éducation internationale qui prétend nous ouvrir sur le monde, le trois quart des élèves n’en ont rien à faire de ce qui se produit ailleurs. J’espère que ces problèmes

internationaux n’arriveront jamais au Québec, car je crois qu'un grand pourcentage de notre population mourrait d’une dépression ou de panique, c’est ceux qui s’en sont foutu lorsque les autres avaient des problèmes. Les gens ne se sont pas renseignés lorsque c’était les autres pays qui avaient besoin d’aide, ils ne sauront point comment gérer la situation et la panique prendra le dessus.

Les immigrants n’ont pas peur de cela. Nous avons déjà vécu pire dans notre pays d’origine se disent-ils et c’est vrai. Nous avons vécu des famines et des épidémies. Nous avons connu des dictatures

horribles ou des démocraties cachées comme celles de la Chine ou de Cuba. Pour moi, le simple fait de vivre ici, c’est un privilège. Au Canada, les

opportunités d’étudier sont accessibles à tous, avec tous ces programmes, chaque individu peut étudier et faire une carrière dans ce qui le passionne. De plus, ici il y des libertés, que ce soit de religion, de presse, d’expression. Il y a, tout aussi ridiculement que ce soit, la liberté de circuler. Ici, les maisons sont

belles et confortables, les québécois mettent de l’emphase sur le luxe et de font tout leur possible pour vivre le plus confortablement avec de belles couleurs. Un des privilèges au Canada, c’est qu’il n’y a pas de conflit majeur avec un autre pays donc l’importation et exportation vont toujours bien; nous ne manquons de rien dans les épiceries et

pharmacies. De plus, notre alimentation est variée, car nous avons des produits qui proviennent de partout dans le monde. Selon mes recherches, la raison principale pour laquelle les gens choisissent le Canada pour immigrer, c’est pour sa sécurité. Je m’explique : ce n’est pas partout dans le monde

qu’on peut courir avec des écouteurs ou tout

simplement mettre des boucles d’oreilles lorsqu’on sort de chez soit. Dans mon pays, soit le Venezuela, on a peur de mettre des bagues, car les gens sont prêts à tout pour vous les enlever, pouvant aller jusqu'à la mort. Au Québec, la vie est facile et sécuritaire; voilà pourquoi nous avons plus de liberté. En Amérique Latine lorsqu’on part en voyage, c’est dangereux de sortir de la zone touristique sans être accompagné par un natif

puisque les touristes ne sont pas habitués à vivre de cette manière. Mais comme rien dans la vie n’est

jamais parfait, le Québec à un défaut et pour moi c’est de supporter l’hiver.

En fait, je me sens jalouse de mes compagnons. Le temps des Fêtes est plutôt une célébration à quatre dans mon cas. Lors du retour des vacances de Noël, tous mes amis racontent ce qu’ils ont eu pour Noël ainsi que leurs fêtes familiales.

Moi, je n’ai rien à dire même si j’ai une fête avec ma famille canadienne et que je trouve cela divertissant; c’est un regroupement de familles dans la même situation que nous, c’est-à-dire qu’ils sont seuls ici au Québec, sans famille, ni amis. C’est divertissant parce qu’on s’ouvre à différentes cultures chaque

année comme les français du nord et du sud. Ils n’ont pas le même accent et ont un vocabulaire différent, mais ce n’est pas le même sentiment

qu’être avec les nôtres; de plus, s'ajoute l'inquiétude de savoir qu’ils vivent dans un environnement dangereux.

On se sent triste lorsque nous conversons en vidéo sur skype entre nous et que mon cousin nous montre la grande fête avec toute ma famille qui danse. Je me dis que j’aurais pu être là, en train de fêter. Malgré que ce ne soit qu’un rêve pour moi, je vois de mes propres yeux que ce type de fête existe et que je pourrais être là. Cela me démoralise parce que je

sens un vide, avec une frustration puisque si le choix de mes parents avait été différent, j’aurais eu des fêtes de ce genre toute ma vie.

Ce qui est aussi triste, c’est lorsque je me rends compte que le temps passe et que finalement je ne connais rien sur ma famille à part quelques histoires. On ne connaît pas ceux qui devraient être près de nous, ceux qui sont censés être là dans les bons et mauvais jours, ceux qui nous soutiennent toujours. Dans mon cas, cette famille se résume à mon frère. Dans ma vie, je n’ai rencontré qu’un de mes cousins parce que le pays à accepter de lui remettre un visa pour qu’il vienne étudier l’anglais à Montréal. C’était

merveilleux de rencontrer un membre de ma famille même si minime. Aujourd’hui, je parle toujours avec lui, nous avons gardé contact. Il a une belle

personnalité et je me dis que peut-être la plupart de mes cousins lui ressemblent et que je me serais bien entendu avec eux si j’étais là-bas. Cela me rend triste de penser de cette manière, mais me donne espoir que je n’aurais aucun problème à m’intégrer à ma propre famille. Au point où j’en suis, je devrai

m’intégrer partout où j’irai, car je suis de nulle part. Une guerre civile a éclaté au Venezuela lorsqu’Hugo Chavez est mort; c’est un dictateur qui a pris le pouvoir en 1998, l’année de ma naissance. En 2013,

les vénézuéliens ont eu espoir de se débarrasser de toute la «merde» que cet homme a fait au pays et la réputation qu’il a créé. Malheureusement, le

gouvernement est tellement corrompu et soutenu par l’armée que son successeur qui est au pouvoir est du même partie que Chavez et c’est là que la guerre a éclaté. Les manifestations ont débuté, mais l’armée est plus forte que le peuple et énormément de gens ont été blessés et tués; ce n’est pas comme ici. Les manifestations sont violentes et inquiétantes; les droits humains ne sont pas respectés. Combien de vénézuéliens se sont faits enlever et ont été torturés? Cela est devenu si grave qu’aucun avion ne sort du

pays et rien n’y entre non plus. Les fournisseurs n’apportent plus rien au pays, donc c’est pour ça qu’il n’y a rien à acheter. On ne retrouve tout

simplement plus rien à l’épicerie. Un jour, lorsque je parlais en vidéo avec mon cousin, une bombe est tombée à quelques kilomètres de sa maison, car il y avait toujours des gens qui manifestaient. J’ai eu si peur; si elle était tombée plus près de sa maison… lui il continuait de me parler comme si c’était normal. Il entend des bruits de fusils et de bombes toute la journée. De toute façon il n’avait pas d’école, car l’armée a incendié la sienne.

Je suis vénézuélienne d’origine et mon pays se bat pour obtenir sa démocratie pendant que moi je suis ici. On ne peut rien faire pour les aider, car mes parents savent que si nous envoyons quoi que ce soit les douaniers verront que le colis provient du

Canada et le prendront pour eux. Eux aussi ont des besoins qui ne sont pas comblés, entre autres les médicaments. Je suis outrée, car je dois continuer à vivre et à étudier; la terre continue de tourner et je continue de travailler fort. J'ai l'intention de devenir quelqu’un qui a des diplômes et qui sait ? J’irais me battre aussi, car ici l’attente me ronge. Rien n’est pire qu’attendre, car on ne peut rien faire; je me sens

inutile et vulnérable pour ma propre origine. Je ne peux pas faire un tour de magie pour sortir ma famille de cet enfer. Nous ne sommes que quatre, mais nous vivons tous cette tristesse. Heureusement que j’ai mon frère à qui je peux me confier.

La belle relation entre lui et moi n’est pas due à l’immigration; elle n’a que favoriser cette situation. Je crois que tous les frères et sœurs peuvent devenir des meilleurs amis. En fait, c’est la seule personne qui nous connaît réellement puisque nous vivons avec elle. C’est avec elle que l’on vit toutes nos émotions et nos états d’âme.

Dans mon cas, c’est avec mon frère que je vis toute cette tristesse sans ma famille, parce qu’il ressent les mêmes émotions que moi. Je ne peux en parler avec mes parents; je sais qu’ils sont déjà tristes puisqu’ils ont connu ces fêtes et cette vie chaleureuse que c’est d’être en famille. Pour mon frère et moi ce n’est qu’un rêve, car nous n’avons pas de souvenir de notre vie au Venezuela.

Mes grands-parents ainsi que mes grands-oncles sont à un âge où ils sont fragiles. Leur mort approche de plus en plus et c’est dur de ne pas être près d’eux pour leur parler une dernière fois. Nous aurons le regret qui restera sur notre cœur toute notre vie,

c’est de ne pas être présent aux funérailles pour dire au revoir et être avec notre famille pour vivre le deuil. Nous devrons faire notre deuil en étant seul. C’est ce qui est arrivé avec mon grand-père et même si cela fait 13 ans, mon père ne pourra jamais s’en remettre. Même s’il est venu dire au revoir, nous n’avons pas assisté à l’enterrement, nous n’avons pas vu la pierre tombale. Bref, nous ne lui avons pas dit au revoir et c’est un besoin d’y aller.

Dans ma vie, il est important pour moi de retourner dans mon pays et la première chose que je ferai, c’est d’aller voir mon grand-père pour lui raconter tout ce qu’il a manqué depuis qu’il est mort.

Malgré la frustration d’être ici pendant que ma famille meurt de faim, je me sens dévastée parce que je ne peux rien faire, économiquement ou

matériellement. Certains pays ont vécu la même histoire que vit en ce moment mon pays. Alors il n’est pas prudent d’envoyer quoi que ce soit, car les chances que mes grands-parents les reçoivent c’est quasi impossible.

Aujourd’hui, en ayant acquis certaines connaissances sur l’immigration, je me rends compte que je ne suis pas la seule à ressentir cela et que nous sommes plus

ou moins 53 985 de plus par année1 à vivre avec le sentiment que nous laissons notre parenté vivre dans l’insécurité pendant que nous ici, nous sommes dans le luxe.

Peu importe la nationalité, lorsque nous laissons nos parents à un âge où la santé est fragile ou qu’ils sont malades, on ferait n’importe quoi pour aller les aider et être près d’eux. Certains envoient de l’argent, mais pour nous cela ne se peut pas… On doit vivre avec le fait que notre parenté est malade et continuer notre vie comme si de rien n’était. Parce que selon moi notre société fonctionne de cette manière, que nous

1 Québec(Province), MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION ET COMMUNAUTÉS CULTURELLES. Tableau sur l’immigration permanente au Québec, Québec, mars 2011, 48p

ne profitons jamais du présent et nous ne nous préoccupons de personne. C’est seulement le travail qui compte. Cependant, la vie ne devrait pas se dérouler comme cela. Des valeurs d’entraide

devraient être plus présentes dans cette société, mais cela ne se peut pas. Finalement, nous devons

apprendre à vivre loin de ceux qu’on aime. Ce poids sur le cœur qui devient de plus en plus lourd au fur et à mesure que le temps passe; parce qu’on vit loin de ceux qu’on aime en pensant qu’on pourrait être au côté des gens qui nous ont mis au monde. Pour moi, il s’agit d’un manque de respect des valeurs individuelles de n’importe quelle nationalité.

Dans le document Esperanza, Veronica Nevado (Page 30-39)

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