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II- Axe sensoriel

4) Sensorialité et image du corps

4.1) Extension des limites

Le corps des personnes âgées Alzheimer est de moins en moins nourri d’informations sensorielles, relationnelles, kinesthésiques, entrainant ainsi une transformation des limites

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corporelles. Cela peut provoquer un sentiment d’insécurité expliquant ainsi la façon dont Mme M. se rapproche de moi. Il est fréquent que ces limites corporelles s’étendent aux limites de la chambre. C’est alors que la personne âgée peut mal vivre les entrées des professionnels dans sa chambre, qui peuvent être vécues comme des véritables intrusions voire agressions. Une arrivée mal vécue pourra impacter son comportement pour la journée, comme ce que la proxémie a permis d’expliquer. «Les maisons de retraite sont des microcosmes culturels avec un système de régulation des comportements individuels totalement orienté par leurs missions : les soins passent avant tout, y compris avant le respect des règles existant en dehors de l’institution, comme celle de ne pas pénétrer dans la sphère intime ou personnelle d’une personne sans y avoir été préalablement invité(e).»82

Lors des séances snoezelen, il y a eu plusieurs intrusions. J’ai pu voir l’impact que celles-ci avaient sur l’état des résidentes prises en charge. Soudain, elles se raidissent, ouvrent grand les yeux, fixés en direction de la porte, elles se rapprochent de moi en me regardant l’air inquiet. Leur limite s’étant étendue au mur de la salle, cette irruption était perçue comme une agression de leur Moi. L’intérêt de snoezelen va être, par son aspect enveloppant, de restaurer les limites corporelles, au moins le temps de la séance, pour retrouver un sentiment de sécurité atténuant les angoisses.

4.2) L’identité touchée

La personne atteinte d’Alzheimer se voit perdre la maîtrise de son corps, les troubles gnosiques provoquent une non reconnaissance physique dans le miroir entraînant de l’effroi. Cela me fait penser au sentiment d’inquiétante étrangeté83 décrit par Sigmund FREUD comme un trouble de la conscience de soi, ce sentiment peut être retrouvé auprès de malades déments subissant des perturbations qui entraînent des malaises identitaires. Je retrouve lors de mon observation en stage différents aspects touchés contribuant au sentiment d’identité comme : les relations sociales, la place de la famille, l’intégrité corporelle, l’estime de soi…

«Tout se joue au niveau des surfaces de rencontre entre le corps et les objets du monde extérieur. Les sensorialités déterminent les contours de la personne. Plutôt que la perception elle-même, c'est ressentir l'expérience de la perception qui pourrait apporter le

82 DELAMARRE C., 2014, page 15. 83

sentiment d'identité […]».84 Stimuler les sens va éveiller des sensations permettant de retrouver une certaine identité, objectivant la relation. Je pense alors à Mme M., lors d’une séance décrite en partie clinique, joue des maracas. J’ai pu voir dans sa posture et ses mimiques qu’elle se sent au cœur de l’action lors de cet instant, elle ne subit pas le moment. Elle se redresse sur le fauteuil, prenant une posture d’actrice, elle me regarde et me fait partager par son sourire et ses gestes une expérience déjà vécue, l’inscrivant dans l’instant présent.

Par l’aspect stimulant de la salle, Mme M. s’est autorisée à prendre les maracas, l’environnement sécurisant ayant favorisé cette prise d’initiative. La sécurité extérieure lui a permis de retrouver une sécurité intérieure.

4.3) Une image du corps unifiée

Les sensations internes sont toutes aussi essentielles que les sensations externes pour venir étayer la représentation du schéma corporel et le sentiment de continuité du corps. Lorsque Mme M. s’allonge sur le matelas à eau, elle sent ses membres bouger par l’action de l’eau, je mets alors des mots sur cette expérience accentuant la sensation et la perception. Elle ressent, par le flux tactile, le matelas onduler sous son corps et par la proprioception elle perçoit celui-ci en mouvement. «Cette coordination entre sensibilité profonde et les effets des flux sensoriels actualise la limite entre un espace interne et externe, cette frontière étant présente tant que les effets sensoriels sont maîtrisés.»85 La coordination de ces sensations permet d’apporter à Mme M. des limites entre le dedans et le dehors. Le lien entre les sensations est essentiel pour qu’elle puisse percevoir et donner du sens à la situation vécue. Il ne faut pas non plus la surstimuler, en sollicitant à chaque fois la sensibilité profonde et extéroceptive, cela peut engendrer l’effet inverse et accentuer des angoisses de fuite, de corps non limité.

4.4) Une image du corps valorisée

Comme nous l’avons vu précédemment, l’image du corps évolue tout au long de la vie et change en fonction des événements vécus, elle n’est pas figée dans le temps. La représentation qu’a Mme G. de son corps est négative, elle voit ses facultés s’amoindrir et

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PIREYRE E. W., 2008, page 201.

panique face à cela. Les séances snoezelen lui ont permis de vivre des expériences sensorielles positives lui permettant de réinvestir son corps en ayant une image d’elle moins dévalorisée, le temps de la séance. Lorsqu’elle sort de la salle, son visage est apaisé et amène plus facilement à la relation. Il en va de même pour Mme M. qui a pris plaisir à engager son corps dans diverses expériences et à explorer la salle. Il y a une intentionnalité qui se dégage et cela me semble important qu’elle se sente actrice et fasse ses choix.

En conclusion de cette deuxième partie, le cadre et le rythme des séances rassurent Mme M. qui se sent moins perdue, plus accueillie, vivant ainsi de nouvelles expériences en étant rassurée. Le cadre spatiotemporel et relationnel est garant d’un environnement contenant, propice au lâcher-prise. Nous avons essayé avec la psychomotricienne, d’apporter un mieux-être à Mme M., de l’aider à percevoir l’environnement comme non menaçant, par la découverte sensorielle.

Au travers des sensations corporelles qu’elles ressentent, Mme G. et Mme M. sont inscrites dans l’ici et le maintenant, dans une réalité les plaçant au centre de la relation. «La perte du contact avec le corps aboutit à la perte du contact avec la réalité. L’identité personnelle n’a de substance et de structure que pour autant qu’elle est fondée sur la réalité des sensations du corps.»86

L’accès aux différents sens permet une ouverture à soi puis à l’autre. Par la perception corporelle vécue lors des stimulations de toucher thérapeutique Mme G. a progressivement retrouvé une intégrité corporelle grâce à un contenant fiable. Le psychomotricien redonne du sens aux stimulations du milieu ambiant en apportant une perception de celles-ci plus cohérente.

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