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Chapitre 5 : Étude acoustique du suffixe rhotique

5.2 L’effet du suffixe rhotique sur la durée de la rime

5.2.2 Segmentation et mesures

La durée de la rime est mesurée à partir du début du premier formant de la voyelle jusqu’au début de la friction de la fricative [ɕ] dans le mot suivant. Les deux exemples suivants (Figure 5.2 et Figure 5.3) montrent la segmentation de la rime sans et avec suffixe, respectivement. La lettre majuscule ‘D’ est utilisée pour marquer la durée.

Figure 5.3 La durée de la rime (D) avec suffixe dans le mot, [tar] ’dresser’ [ta#ɕie] 5.2.3 Normalisation des données

Pour éviter les différences de débit de parole entre les participants, nous avons normalisé les valeurs de la durée de la rime en z-score par locuteur, en utilisant la formule de l’équation :

Z = (X-

𝜇

) / σ

Dans cette formule, 𝜇 est la durée moyenne calculée pour toutes les rimes d’un locuteur, alors que σ représente l’écart type. X est la valeur de la durée initiale en ms pour une observation donnée.

5.2.4 Analyses statistiques

Les données sont analysées par une série de modèles de régression linéaire en utilisant la bibliothèque ‘stats’ (version 3.3.3) du logiciel R (R Development Core Team, 2017). Pour choisir le modèle statistique, nous avons utilisé la méthode ‘Backward Elimination’. Afin de tester l’effet de chaque facteur ainsi que celui d’éventuelles interactions, nous avons utilisé le test du rapport de vraisemblance (likelihood ratio test) implémenté avec le test ‘lrtest’ dans la bibliothèque ‘lmtest’ (version 0.9-35)

interaction) avec un modèle sans ce facteur (ou cette interaction). Nous n’avons pas inclus les facteurs aléatoires pour deux raisons : 1) nous avons normalisé les données en fonction du participant, donc les différences entre locuteurs sont déjà réduites au maximum ; 2) nous avons des données limitées, le facteur aléatoire sur item est déjà inclus par les facteurs fixes.

Les facteurs fixes dans l’analyse statistique sont : le type de rime (13 niveaux), la condition (2 niveaux : avec et sans suffixe rhotique), le ton (3 niveaux). L’intéraction entre le type de rime et la condition est également incluse, puisque l’ajout du suffixe rhotique produit des changements segmentaux différents en fonction de la rime, par exemple, /a/→[ar] avec un rajout de la rhotique et /an/→[ar] avec remplacement de la nasale par la rhotique.

Les analyses des contrastes a posteriori ont été effectuées avec la fonction emmeans (bibliothèque ‘emmeans’, Lenth et al., 2018). Les graphiques de la section suivante sont réalisés à l’aide des bibliothèques ‘ggplot2’ (version 2.2.1, Wickham, 2016) pour les moyennes et écarts-types en se basant sur les valeurs initiales en ms et ‘emmeans’ (Lenth et al., 2018) pour montrer l’effet d’interaction entre les facteurs fixes.

5.2.5 Résultats

Les valeurs moyennes et les écarts types de la durée en ms sont présentés d’abord dans le Tableau 5.3. Pour la facilité typographique, certains symboles phonétiques sont remplacés par les symboles orthographiques entre parenthèses. Le nombre de données analysées est présenté dans la dernière colonne.

Tableau 5.3 Les moyennes et les écarts types de la durée des différentes rimes dans les deux conditions

Voyelle Condition Moyenne(ms) Écart-type(ms) Données analysées

a SS 239.6281 51.61499 194 AS 271.6031 47.70604 195 ɤ(e) SS 229.0124 48.17876 129 AS 251.2014 50.70983 128

u SS 211.4687 51.47630 194 AS 250.0255 50.03594 192 i SS 205.2897 50.40452 195 AS 256.7429 51.67485 195 y SS 207.1474 48.11582 130 AS 260.1832 49.83167 129 au SS 255.6452 54.66066 194 AS 273.2554 48.81662 194 ǝu(ou) SS 238.4219 55.38664 192 AS 256.0401 52.36350 195 ai SS 241.6315 54.03842 130 AS 265.4737 49.12375 130 ǝi(ei) SS 236.2380 47.14591 64 AS 263.9088 51.35642 59 an SS 246.8775 51.40705 65 AS 253.9688 46.07867 65 aŋ(ang) SS 251.2276 51.50693 65 AS 279.0895 51.88672 65 ǝŋ(eng) SS 229.1283 52.00070 65 AS 266.3880 50.00646 64 uŋ(ong) SS 238.8005 49.09689 65 AS 268.4757 52.92203 63

Les deux figures suivantes (Figure 5.4 et Figure 5.5) montrent les résultats de la durée de toutes les rimes ensemble dans les deux conditions, avec et sans suffixe. La Figure 5.4 présente les données en ms et la Figure 5.5 présente les données normalisées. La ligne horizontale centrale du graphique est la médiane, il existe autant de valeurs supérieures qu’inférieures à cette valeur dans l’échantillon. Les bords du rectangle sont les quartiles. Pour le bord inférieur, un quart des observations ont des valeurs plus petites et trois quart ont des valeurs plus grandes, le bord

supérieur suit le même raisonnement. Les extrémités des moustaches sont calculées en utilisant 1.5 fois l’espace interquartile (la distance entre le 1er et le 3ème quartile).

Figure 5.4 La durée (en ms) de toutes les rimes dans les deux conditions, avec et sans suffixe.

Figure 5.5 La durée (en z-score) de toutes les rimes dans les deux conditions, avec et sans suffixe. Ces deux figures montrent qu’en présence du suffixe rhotique, la durée de la rime est plus longue que dans la condition sans suffixe (χ2(1) = 909.24, p< .0001***). Cette tendance correspond à notre prédiction que le suffixe rhotique est un segment qui contribue à rallonger la durée de la rime.

Cependant, nous avons prédit une interaction entre la présence ou absence du suffixe rhotique et différent type de rime. Plusieurs analyses phonologiques ont décrit, dans les cas de /ai/ et /an/, la chute du segment final (/i/ ou /n/) en présence du suffixe rhotique. Nous nous attendons donc à ce que la durée de ces deux rimes se comporte différemment des autres cas. Pour vérifier cette prédiction nous avons comparé la durée de chaque type de rime dans les deux conditions, avec et sans suffixe. Figure 5.6 et Figure 5.7 montrent les durées de chaque rime sans suffixe (en rouge) et avec suffixe (en bleu). Nous observons une augmentation de la durée dans

le cas avec suffixe par rapport au cas sans suffixe pour la plupart des rimes, sauf [an] (comme nous le voyons aussi dans le Tableau 5.3).

Figure 5.6 La durée (en ms) de chaque type de rime dans les deux conditions, avec et sans suffixe rhotique.

Le résultat du test statistique montre qu’il y a un effet d’interaction significatif entre le type de rime et la condition du suffixe rhotique sur la durée de la rime (χ2(12) = 191.4, p< .0001***). La durée des différents types de rimes change différemment avec l’ajout du suffixe rhotique.

La Figure 5.8 présente l’interaction entre le type de rime et la condition avec ou sans suffixe. L’axe x montre les 13 types de rime, l’axe y indique la durée normalisée de la rime. Les deux lignes en couleurs différentes représentent les deux conditions, avec (bleu) et sans (rouge) suffixe rhotique. En comparant les deux lignes, nous pouvons voir que toutes les rimes sont plus longues en présence du suffixe rhotique, mais que le degré d’allongement est différent en fonction de la rime. Pour [i] et [y] le changement de la durée est plus grand que pour les autres rimes.

Figure 5.8 L’effet d’interaction entre le type de rime et la présence/absence du suffixe rhotique sur la durée de la rime (en z-score).

Les analyses des contrastes a posteriori (post-hoc) sont présentées dans le Tableau 5.4. Nous voyons que la durée de toutes les rimes est significativement plus longue en présence du suffixe rhotique, sauf dans le cas de [an]. Ce résultat soutient une

analyse différenciée des codas nasales en présence du suffixe rhotique, où seule la coda nasale alvéolaire serait remplacée par la rhotique.

Par contre, nous avons trouvé un rallongement de la durée de la diphtongue [ai] en présence du suffixe rhotique, contrairement aux analyses phonologiques qui proposent la chute de /i/ et son remplacement par la rhotique. Cette différence entre les durées de [ai] et de [an] en présence du suffixe rhotique nous incite à revoir les analyses phonologiques existantes. Globalement, sur la base des effets du suffixe rhotique observés sur la durée de la rime, nous proposons que le suffixe rhotique est un segment, puisqu’il peut rallonger la durée de la rime à laquelle il s’attache. Les cas de [an] vs. [aŋ] et [an] vs. [ai] restent à élucider séparément.

Tableau 5.4 Les résultats de l'analyse des contrastes du facteur ‘ton’ pour la durée en z-score.

rime contraste 𝛽 ET df t.ratio valeur p

a SS-AS -0.8981532 0.07740138 3327 -11.604 <.0001 e SS-AS -0.6140073 0.09541215 3327 -6.435 <.0001 u SS-AS -1.0777091 0.07740138 3327 -13.924 <.0001 i SS-AS -1.4756583 0.07770261 3327 -18.991 <.0001 y SS-AS -1.5012581 0.09467492 3327 -15.857 <.0001 au SS-AS -0.5116551 0.07750144 3327 -6.602 <.0001 ou SS-AS -0.5158889 0.07760385 3327 -6.648 <.0001 ai SS-AS -0.6622374 0.09467492 3327 -6.995 <.0001 ei SS-AS -0.6884048 0.13776161 3327 -4.997 0.0002 an SS-AS -0.2162240 0.13389056 3327 -1.615 0.9977 ang SS-AS -0.7858829 0.13389056 3327 -5.870 <.0001 eng SS-AS -1.0808545 0.13441255 3327 -8.041 <.0001 ong SS-AS -0.9187143 0.13494900 3327 -6.808 <.0001

Nous avons observé qu’il y a une influence du ton sur la durée de la rime. Les deux figures suivantes (Figure 5.9 et Figure 5.10) montrent la durée de toutes les rimes ensemble en fonction du ton.

Figure 5.9 La durée (en ms) de toutes les rimes avec trois tons différents.

Figure 5.10 La durée (en z-score) de toutes les rimes ensemble avec trois tons différents

La Figure 5.9 contient les données en ms et la Figure 5.10 contient les données normalisées. Dans les deux figures nous voyons que la durée des rimes avec le T4 est plus courte par rapport à T1 et T2. Les rimes avec T2 ont une durée légèrement plus longue qu’avec T1.

Le résultat du test statistique montre qu’il y a un effet significatif du ton sur la durée de la rime (χ2(2) =231.35, p< .0001***). Les analyses des contrastes a posteriori (post- hoc) pour le ton sont présentées dans le Tableau 5.5.

Tableau 5.5 Les résultats de l'analyse des contrastes du facteur ‘ton’ pour la durée en z-score.

contraste 𝛽 ET df t.ratio valeur p

T1-T2 -0.3911650 0.03726827 3327 -10.496 <.0001

T1-T4 0.1682966 0.03721227 3327 4.523 <.0001

T2-T4 0.5594616 0.03723501 3327 15.025 <.0001

En nous appuyant sur ces résultats, nous observons que la hiérarchie de la durée en fonction du ton est la suivante : T2 > T1 > T4. Ces résultats correspondent à ceux des études précédentes de Ho (1976), Xu (1997), Wu et Kenstowicz (2015), qui ont comparé l’effet de tous les quatre tons lexicaux. Leurs résultats montrent que la hiérarchie complète de la durée de la syllabe est : T3 > T2 > T1 > T4. Il n’est pas surprenant que les syllabes contenant le T3 soient les plus longues, comme nous l’avons déjà mentionné, le T3 est un ton sandhi.

Dans cette sous-section nous avons montré l’effet de l’ajout du suffixe rhotique sur la durée de la rime. Notre objectif était de déterminer si le suffixe rhotique est un segment ou un trait. La comparaison de la durée des rimes avec et sans suffixe nous a montré que la durée de toutes les rimes est significativement plus longue en présence du suffixe rhotique, sauf dans le cas de [an]. Ce résultat soutient une analyse qui propose la chute de [n] en présence du suffixe rhotique. Si le suffixe rhotique était un trait au lieu d’un segment, nous n’aurions pas attendu de changement de la durée de la rime. De plus, pour les cas dans lesquels il y a une chute d’un segment au niveau phonologique, la durée de la syllabe pourrait probablement se raccourcir en présence du suffixe rhotique, si celui-ci était un trait. Ainsi, nous proposons que le suffixe rhotique devrait être traité comme un segment dans l’analyse phonologique.

suivante : T2 > T1> T4. Ces résultats correspondent aux résultats des recherches précédentes.

5.3 L’effet du suffixe rhotique sur les valeurs formantiques des