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Cette place secondaire accordée au secteur agricole apparaît dans la faiblesse des investissements et des crédits alloués à ce secteur, par rapport à ceux accordés aux autres

secteurs de l’économie. En effet, la part des investissements agricoles dans les

investissements globaux est allée en se contractant : de 22 % durant la période 1962-1971

elle est tombée à 12.8 % durant la période 1972-1981. Cette part a même accusé une

baisse en passant de 12.5 % au cours du IVème plan (1973-76) à 11.8 % au cours du

Vème plan (1977-81). A partir de 1981, l’évolution de la situation économique et sociale

en Tunisie a imposé une attention accrue à l’agriculture et une réorientation de la politique

agricole. Le VIème plan (1982-86) a affirmé, en effet, la nécessité d’accorder la priorité

au développement agricole et l’augmentation de la part des investissements consacrés à ce

95 Discours du Premier Ministre Hedi Nouira du 16 -02- 1976 devant l’Assemblée Nationale, cité par Dimassi. H. « forme d’accumulation et dépendance alimentaire : le cas de la Tunisie » septembre 1983

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Gana. A et all « Eléments sur la transformation de l’agriculture tunisienne depuis l’indépendance » in « Céréaliculture et dynamique des systèmes agraires en Tunisie » Annales de l’INRAT, Numéro spécial vol 64, 1991, p 21.

secteur, mais les réalisations ont été en deçà des prévisions : alors que le VIème plan

programmait pour l’agriculture 18.9 % du total des investissements, cette part n’a atteint,

selon la Banque Centrale de Tunisie, que 15 %.

Tableau 2-5 : Moyenne annuelle de la FBCF par secteur (en MDT)

Secteurs

1960-1969 1970-1979 1980-1989

Montant Structure Montant Structure Montant Structure

Agriculture 22,7 20,9 % 56,7 13,5 % 252,5 16,7%

Industrie 29,0 26,7 % 185,3 44,3 % 604,3 40,0 %

Tourisme 6,7 6,2 % 16,0 3,8 % 70,7 4,7 %

Services 50,1 46,1 % 160,8 38,4 % 585,1 38,7 %

Total 108,5 100 % 418.8 100 % 1512,6 100 %

Source : Ministère de l’Agriculture/ COMET Ingineering1995

L’insuffisance relative des ressources consacrées à l’agriculture apparaît également

dans le très faible volume de crédits bancaires accordés au secteur agricole. Entre 1966 et

1985, soit en l’espace de vingt ans, les crédits à court terme accordés à l’agriculture ont

représenté en moyenne 4.9 % de ceux accordés à l’ensemble de l’économie. Cette

proportion a même accusée une baisse puisqu’elle est passée de 5.4 % en moyenne durant

la période 1966-75 à 4.8 % en moyenne durant la période 1976-85. Ce soutien bancaire à

l’agriculture apparaît encore plus dérisoire si on le compare par exemple au soutien

accordé à une activité aussi spéculative que le commerce. Entre 1966 et 1985, les crédits à

court terme accordés au commerce ont représenté en moyenne 23.17 % de ceux accordés à

l’ensemble de l’économie, soit presque cinq fois plus la proportion consacrée à

l’agriculture.

Quant aux crédits à moyen et long terme, la part de l’agriculture dans le total n’a

représenté, entre 1966 et 1985, que 13.5 % en moyenne. De plus l’évolution a été plus

défavorable pour le secteur agricole : de 20.66 % en moyenne durant la période 1966-75, la

part de l’agriculture dans le total des crédits à moyen et long terme accordés à l’économie,

est passée à 12.8 % en moyenne durant la période 1976-85, soit un recul d’environ 8

points.

Tableau 2-6 : Répartition sectorielle des crédits bancaires en 1966-75 et 1976-85 (Structure en %)

Secteurs Court terme Moyen / long terme Total des crédits

1966-75 1976-85 1966-75 1976-85 1966-75 1976-85

Agriculture 5.40 4.86 20.66 12.81 9.98 12.30

Industrie 39.90 38.41 26.07 45.70 35.78 45.00

Services 54.70 56.73 53.27 41.49 54.24 42.70

Total 100 100 100 100 100 100

De même, il faut aussi signaler la faiblesse de la proportion des agriculteurs

bénéficiant du crédit agricole. Selon une étude du Ministère de l’Agriculture, le nombre

des prêts accordés en 1975 est estimé a environ 65.000, et étant donné que le pays comptait

environ 325.000 exploitants et que l’étude considère qu’à chaque prêt correspondrait un

exploitant, la proportion des exploitants touchés serait donc de 20 %

97

. Cette proportion

correspondait en fait à l’hypothèse la plus favorable, puisque toutes les enquêtes ont

montré que, vu la multiplicité d’organismes de crédit, un seul exploitant peut toucher

plusieurs prêts. D’ailleurs, un rapport du même ministère estime qu’en 1979 cette

proportion n’a pas dépassé 10 %

98

. Cette proportion est dérisoire si on la compare à ceux

atteint, durant la même époque, par les pays développés, qui ont dépassé en général 80 %

ou même à ceux des certains pays asiatiques, comme le Taiwan qui est arrivé à 90%.

99

Cette situation découle en particulier de l’inadéquation du système bancaire en place

par rapport à la réalité socio-économique de l’agriculture tunisienne. Mûes par un esprit

purement mercantile, les banques répugnent à accorder des crédits aux agriculteurs, car

elles considèrent l’agriculture comme une activité peu sûre, soumise aux aléas de la

pluviométrie, et le fellah comme un client peu solvable. Cette répugnance des banques est

encore renforcée par l’absence et/ou l’imprécision des titres de propriété chez la grande

majorité des agriculteurs qui fait qu’une bonne partie des exploitants sont exclus du crédit

officiel.

Au total, la place secondaire assignée à l’agriculture s’est traduite par une régression

continue de la contribution de ce secteur au PIB. Du fait de l’expansion plus rapide dans

les autres secteurs, la contribution de l’agriculture au PIB est passé de 25% en 1960 à 15 %

en moyenne au cours du VIème plan (1982-86). Egalement, la part de l’agriculture dans

l’emploi a connu une régression importante et continue : alors que l’agriculture fournissait

67.7 % des emplois en 1956, elle n’en procurait que 52 % en 1966, 32.5% en 1975, 31.2%

en 1981 et 26.6 % en 1984. Par ailleurs, les exportations des produits alimentaires ont été

caractérisées par une forte baisse, en particulier au cours des années 70, puisqu’elles ont

passé de 31.2% de l’ensemble des exportations tunisiennes en 1973 à 9% en moyenne au

cours du VIème plan (1982-1986). Cette baisse étant due aussi bien à l’insuffisance de la

production nationale qu’aux difficultés d’écoulement sur les marchés extérieurs de certains

produits. La régression du rôle économique de l’agriculture se marque enfin dans

l’accroissement des écarts de revenus entre population rurale et population urbaine.

97 El Hamari H et Stickly. T. « Problèmes du crédit agricole en Tunisie : quelques solutions possibles » Ministère de l’Agriculture juin 1975.

98

Ministère de l’Agriculture : « Notes au Conseil des Ministres sur le crédit agricole » mai 1980.

Toutefois, la faiblesse relative des ressources allouées n’explique que partiellement

les mauvaises performances de l’agriculture. Il importe également de noter que

l’affectation de ces ressources a privilégié deux sous-secteurs ; l’hydraulique agricole et la

mécanisation. Ces deux postes ont reçu entre 1972 et 1981, respectivement 39,2 % et

22,1% de l’ensemble des investissements alloués au secteur agricole sans toutefois, avoir

un effet notoire sur la production et la productivité agricoles.

Enfin, il faut noter que les investissements agricoles ont été pour l’essentiel financés

par l’Etat et les entreprises publiques. La participation de l’Etat s’est même renforcée

durant la période du Vème plan (1977-81), malgré son désir de stimuler les banques et le

secteur privé de prendre une part plus importante dans les investissements agricoles. Cette

prépondérance de l’Etat est, dans une large mesure, le revers de la médaille de la politique

de bas prix des produits agricoles de base : l’importance des prélèvements est responsable

de la faible rentabilité de nombreuses cultures et de son corollaire, le caractère dérisoire

des investissements effectués par le secteur privé dans l’agriculture.

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