Recherche 3: Communications anonymes via Internet et modulation asymétrique des
3. Méthode
4.2. Scores d’homogénéité perçue
La Figure 7 présente les scores d’homogénéité dans les différentes conditions
expérimentales. L’analyse révèle un effet principal du facteur contexte, F(1, 236) = 27.36, p <
.001, 12p = .10, les scores d’homogénéité perçue étant plus élevés en condition d’anonymat (M
= 4.74 ; ET = 2.26) que de visibilité (M = 3.15 ; ET = 2.49). De plus, la cible femmes est
tendanciellement perçue comme plus homogène (M = 4.21 ; ET = 2.38) que la cible hommes
(M = 3.68 ; ET = 2.60), F (1, 236) = 3.10, p < .08, 12p = .01. On note également un effet
d’interaction significatif entre les facteurs contexte et cible, F(1, 236) = 6.69, p < .02, 12p =
.03. L’analyse des effets simples révèle qu’en condition de visibilité, les femmes sont perçues
de façon plus homogènes (M = 3,81 ; ET = 2.39) que les hommes (M = 2.50 ; ET = 2.42), F
(1, 236) = 9.46, p < .01. En revanche, les scores d’homogénéité sont équivalents pour la cible
femmes (M = 4.61 ; ET = 2.32) et la cible hommes (M = 4.86 ; ET = 2.22) en condition
d’anonymat, F (1, 236) = 0.34, p = 0.55. Ainsi, on constate que le contexte n’a qu’un effet
hommes sont perçus de façon plus homogène en condition d’anonymat que de visibilité, F (1,
236) = 30.52, p < .001. Ces résultats sont en accord avec notre hypothèse H2.
Figure 7: Scores d’homogénéité selon le contexte et la cible
5. Discussion
La présente recherche visait à observer une modulation de l’asymétrie perceptive
caractéristique des groupes de statut sous l’effet des principes cognitifs décrits par le modèle
SIDE. Parallèlement, il s’agissait d’examiner si les prédictions du SIDE pouvaient être
nuancées par la prise en considération de groupes asymétriques, en l’occurrence des groupes
de genre.
Globalement, les résultats suggèrent que le schéma perceptif classique des groupes
asymétriques (dominants/hétérogènes vs dominés/homogènes) se trouve modulé par les
spécificités des CMO anonymes. Toutefois, concernant la stéréotypie, les effets observés sont
moins nets que ceux prédits par l’hypothèse H1. Selon cette hypothèse on s’attendait à une
de la stéréotypie de la cible femmes. Or, s’il est vrai que l’on observe ce schéma au niveau des
effets simples, les écarts ne sont pas suffisants pour produire une interaction significative.
Pour l’homogénéité, si l’on retrouve les différences caractéristiques des groupes de
genre en condition de visibilité, ces différences s’estompent en situation d’anonymat, ce qui
conduit ici à une interaction significative. En accord avec notre hypothèse H2, ce phénomène
est la résultante d’une augmentation de l’homogénéité perçue du groupe des hommes, et de la
stabilité de cet indice chez les femmes.
Dans le cadre du modèle SIDE, il a déjà été montré que l'action des stéréotypes de
genre et l'apparition de comportements prototypiques pouvaient être renforcées dans les CMO
anonymes (Postmes & Spears, 2002). En ce sens, on aurait pu s’attendre à ce que l’asymétrie
« ordinaire » entre hommes et femmes soit reproduite en condition de CMO anonyme, à un
niveau de stéréotypie et d’homogénéité simplement plus élevé. La présente recherche permet
de nuancer les prévisions du modèle SIDE en mettant en évidence une modulation de la
structure perceptive des catégories de genre. Rappelons qu’en condition d’anonymat les sujets
n’étaient identifiables que par le biais d’un pseudonyme de couleur (rose pour les femmes,
bleu pour les hommes) qui représentait une solide base de catégorisation. Aussi, malgré le
caractère déindividualisant de ce type de communication, nos résultats montrent que les
perceptions relatives à la cible femmes ne sont pas plus stéréotypées et homogènes en
condition d’anonymat. Selon nous, cette stabilité des perceptions peut être expliquée par un
effet de seuil qui résulte de l’adéquation entre les effets prédits par le SIDE et la structure
perceptive ordinaire des groupes de bas statut. En revanche, la divergence entre ces mêmes
effets et la structure des groupes dominants semble accentuer la sensibilité de ces derniers au
processus de déindidividuation, propice à l’agrégation perceptive et à la dépersonnalisation
des groupes placés dans un rapport hiérarchique en général) est susceptible de moduler les
effets cognitifs de l’anonymat mis en évidence dans le modèle SIDE.
On pourrait également envisager une interprétation alternative, celle de la désirabilité
sociale. En effet, on peut considérer que les sujets placés dans une situation d’interview
anonyme auront plus de facilité à attribuer des traits négatifs à une cible. Or, précisément, le
stéréotype masculin comporte davantage de traits négatifs que le stéréotype féminin (Eagly &
Mladinic, 1994 ; Lorenzi-Cioldi, 1994). Partant, les effets observés pour la cible hommes en
condition de CMO anonyme pourraient être uniquement imputables à une sur-attribution de
traits négatifs. Pour tester cette éventualité, nous avons calculé deux scores partiels de
stréréotypie, l’un à partir des traits négatifs (agressifs, dominants, autoritaires) et l’autre à
partir des autres traits masculins. Ces scores ont fait l’objet d’une ANOVA selon le plan 2
(contexte: anonymat vs visibilité) x 2 (traits: positifs vs négatifs), le facteur traits étant intra-
sujets. L’analyse révèle évidemment un effet principal du facteur contexte F (1, 118) = 5.48, p
< .03, 12p = .04, correspondant à l’effet simple déjà rencontré. En revanche, on ne note pas
d’interaction significative entre les deux facteurs, F (1, 118) = 0.02, p = 0.87. Ainsi,
l’augmentation du score total de stéréotypie pour la cible hommes en condition de CMO
anonyme repose autant sur une augmentation du score des items négatifs (M = 4.60 ; ET =
0.98 vs M = 4.99 ; ET = 1.15), F (1, 118) = 4.66, p < .05, que sur une augmentation du score
des items positifs (M = 4.54 ; ET = 0.76 vs M = 4.91 ; ET = 1.05), F (1, 118) = 4.82, p < .05.
L’interprétation basée sur une modulation des effets prédits par le SIDE apparait donc ici la
plus raisonnable.
Enfin, il nous faut souligner que la présente étude comporte certaines limites du fait de
son approche quasi-expérimentale. Par exemple, de par la nature particulière de notre terrain
certitude. Cela est d’autant plus vrai que les utilisateurs de CMO anonymes ont parfois
tendance à recourir au changement de genre (cf. gender switching ; Suler, 2004a; Whitty,
2002; Whitty & Joinson, 2009). D’autre part, nous n’avons pas examiné des interactions
intergroupes au sens strict, comme c’est le cas des travaux précédents (e.g., Postmes &
Spears, 2002; Postmes et al., 1998, 2002), mais les données ont été recueillies à l’occasion
d’une interaction entre les membres de ces groupes et un(e) expérimentateur(trice). Ces
éléments doivent nous conduire à regarder nos résultats et les interprétations qui en découlent
avec prudence, même si ces résultats ont été obtenus dans un contexte écologique se
rapprochant finalement beaucoup de la réalité concrète vécue par nombre d’utilisateurs des
CMO.