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II.4 L’évolution expérimentale in silico

III.2.2 Scénarios : tests des hypothèses d’évolution réductive

L’objectif de cette partie est de tester des hypothèses émises dans la littérature ou issues de nos analyses pour tenter d’expliquer l’évolution réductive chez Prochlorococcus. Pour cela, les différentes hypothèses sont décomposées en sous-hypothèses. Ces dernières sont testées indépendamment les unes des autres grâce à aevol afin d’analyser leur impact sur les structures des génomes des populations souches. Si une évolution réductive est induite, les changements observés sont comparés aux génomes de Prochlorococcus et des endosymbiotes afin de déterminer si l’hypothèse testée peut expliquer une évolution ré-ductive de type endosymbiose ou une évolution réré-ductive similaire à celle observée pour Prochlorococcus.

A partir des populations souches, les dix simulations sont rejouées entre t = 150000 et t = 200000 dans onze scénarios, avec des changements de paramètres (Figure III.5). Les scénarios sont rassemblés en trois grandes catégories correspondant aux principales hypothèses émises pour expliquer l’évolution réductive.

III.2.2.1 Cliquet de Muller

L’évolution réductive chez les endosymbiotes est généralement expliquée par le cliquet de Muller (Wernegreen et Moran, 1999; van Ham et al., 2003; Wernegreen, 2002; Moran, 1996), qui est un processus dégénératif touchant les populations non recombinantes, avec une petite taille efficace de population (Felsenstein, 2005; Muller, 1964). En effet, les endosymbiotes sont une cible idéale du cliquet de Muller : une petite taille de population touchée par des goulets d’étranglements fréquents (Mira et Moran, 2002) et un manque d’opportunités de recombinaison.

La dynamique des populations de Prochlorococcus est très différente de celle des

endo-symbiotes. Les estimations de Ne chez Prochlorococcus sont quatre ordres de grandeurs

III.2. Méthodologie : Tester les hypothèses proposées pour l’évolution réductive 73 Scénario 6 Scénario 7 Scénario 8 Scénario 9 Scénario 10 Augmentation des taux de mutation Augmentation des taux de réarrangement Stabilisation de l'environnement Changement de niche Neutralisation d'un lobe Fort taux de mutation Changement de l'environnement Scénario 5 Augmentation de la taille de population Générations 0 150 000 200 000 Simulations de contrôle Scénario 1 Scénario 2 Scénario 3 Populations souches Réduction de la taille de population Réduction de la pression de sélection Suppression du transfert Cliquet de Muller Scénarios Scénario 4 Augmentation de la pression de sélection Scénario 11 Suppression d'un lobe

Figure III.5 – Méthodologie d’étude de l’évolution réductive par la construction de populations souches et simulation de différents scénarios concernant les paramètres évolutifs

Les scénarios de l’évolution réduction sont rassemblés en trois catégories : cliquet de Muller (en bleu), fort taux de mutation (en rouge) et changement de l’environnement (en vert). Les couleurs des scénarios correspondent à celles utilisées dans la suite du manuscrit pour désigner ces scénarios.

2006). En outre, contrairement à de nombreux endosymbiotes, Prochlorococcus a conservé l’essentiel de sa machinerie de recombinaison (Section VII.3). Il y a donc peu de raisons de supposer que Prochlorococcus pourrait être sujet au cliquet de Muller.

Afin d’éliminer cette hypothèse pour Prochlorococcus et la confirmer pour les endosym-biotes, elle est testée en simulation. Dans un premier scénario, la taille de population est divisée par deux, passant de N = 1000 à N = 500. Un autre scénario consiste à arrêter la recombinaison.

Sous l’effet du cliquet de Muller, la sélection naturelle est dépassée par la dérive génétique et est donc diminuée. Dans un troisième scénario, la force de la sélection k est donc

dimi-nuée de 750 à 2501. En diminuant la force de sélection k, le taux de croissance relatif des

individus par rapport au meilleur individu est différent de -1 pour un plus grand nombre d’individus (Figure III.6) et le nombre d’individus dont la probabilité de reproduction n’est pas nulle augmente. Ainsi les résultats observés précédemment d’une évolution ré-ductive similaire à celle de Prochlorococcus lorsque k est diminué (Batut et al., 2013)

1

Cette hypothèse, lors de tests préliminaires, a entraîné une réduction de la taille des génomes cohérente avec les observations faites chez Prochlorococcus mais pas chez les endosymbiotes (Batut et al., 2013). Cependant, la recombinaison n’était pas présente dans ces simulations et pourrait changer les conclusions.

0 200 400 600 800 1000 −1.0 −0.8 −0.6 −0.4 −0.2 0.0

Rang des individus

T

aux de croissance relatif Coefficient de sélection

s

k= 1250

k= 750

k= 250

Figure III.6 – Taux de croissance relatif ou coefficient de sélection s en fonction du rang des invidus pour une population issue d’une simulation de population souche à t = 150000

Le taux de croissance relatif est e−kg2

e−kg1 − 1, soit le rapport entre la probabilité de reproduction pour des individus ayant une différence d’écart à la cible g1− g2.

pourraient s’expliquer par le fait que la taille efficace de population est augmentée avec la diminution de k, les selective sweeps étant moins forts. Pour tester cette hypothèse, il est alors intéressant de simuler l’augmentation de k afin d’analyser les conséquences d’une diminution de la taille efficace due à de forts selective sweeps. La valeur de k choisie pour l’augmentation est 1250 car les différences de taux de croissance entre les premiers individus sont du même ordre que celles pour k = 250 (Figure III.6).

Comme la diminution de k entraine une augmentation de Ne mais aussi une évolution

réductive similaire à ce qui est observé chez Prochlorococcus, simuler l’augmentation de la taille de population permettrait de comparer les cas d’augmentation de N et

d’augmen-tation de Ne. Ainsi, dans un scénario de contrôle, la taille de population est multipliée

par deux, passant de N = 1000 à N = 2000.

III.2.2.2 Changements de l’environnement

La plupart des écotypes de souches réduites de Prochlorococcus se trouvent dans les eaux de surface des eaux marines tropicales et sub-tropicales, qui sont pauvres en nutriments toute l’année. La petite taille de génomes pourrait être une adaptation à la vie dans un environnement pauvre en nutriments (Rocap et al., 2003; Dufresne et al., 2005). Un plus petit génome signifie moins d’ADN dans la cellule et donc moins de besoins en ni-trogène et en phosphore, deux élèments rares dans les eaux de surface. Cette hypothèse pour l’évolution réductive prédit une corrélation entre les réduction des génomes et les niches écologiques. Cependant, certaines souches réduites de Prochlorococcus vivent dans

III.2. Méthodologie : Tester les hypothèses proposées pour l’évolution

réductive 75

des niches similaires aux souches non réduites de Prochlorococcus. L’hypothèse adapta-tive pourait expliquer une amplification de la réduction des génomes mais les facteurs adaptatifs initiant le processus restent mystérieux. Des simulations de changements envi-ronnementaux pourraient permettre d’identifier des caractéristiques initiant une évolution réductive, telles que celles qui pourraient être à l’origine de l’évolution réductive pour l’en-semble des souches de Prochlorococcus. Pour cela, quatre scénarios sont proposés.

• L’environnement de Prochlorococcus en plus d’être pauvre en nutriments est stable tout au long de l’année, par contraste avec les eaux tempérées où vit Synechococcus. Un premier scénario consiste donc à stabiliser la cible environnementale, qui fluctue à chaque génération dans les populations souches.

• La plupart des souches réduites de Prochlorococcus se trouvent dans un environne-ment différent des souches non réduites de Prochlorococcus. Le changeenvironne-ment de niches pourrait avoir entrainé une réorganisation des gènes qui dans un certain contexte mutationnel déclencherait une évolution réductive. Pour ce scénario, une des gaus-siennes constituant la cible environnementale est déplacée (Figure III.7b).

• L’évolution réductive chez les endosymbiotes s’est initiée avec le passage d’un mode de vie libre à un mode de vie intracellulaire. De nombreuses fonctions précédem-ment accomplies deviennent inutiles car les produits sont fournis par l’hôte. Les gènes correspondant sont éliminés. De façon similaire, si des tâches accomplies par certaines bactéries peuvent profiter à une communauté bactérienne entière, la plu-part des bactéries perdent la capacité d’effectuer la tâche. C’est l’hypothèse de la Reine Noire (Morris et al., 2012). Ainsi, les souches de Prochlorococcus ont perdu la capacité de produire le katG nécessaire pour leur protection et sembler bénéficier du katG sécrété par Synechococcus (Morris et al., 2012). Il est cependant difficile de savoir combien de gènes peuvent être sujets à l’hypothèse de la Reine Noire et dans quelle proportion cela a contribué à la réduction des génomes chez Prochlorococcus. Pour tester cette hypothèse, la tâche à accomplir est simplifiée par la suppression d’un lobe. Deux alternatives sont alors possibles pour le sous-ensemble de traits phénotypiques désactivés. Il peut devenir délétère, c’est-à-dire que toute valeur non nulle pour ces traits phénotypiques de cet intervalle est contre sélectionnée (Figure III.7c), mais il peut aussi être neutralisé : les valeurs dans cette zone ne sont pas prises en compte dans le calcul de l’adaptation des individus (Figure III.7d). Ces deux cas sont testés, dans deux scénarios différents.

Enfin, chez Prochlorococcus, les réseaux de régulation semblent s’être simplifiés avec la perte de gènes de régulation (Rocap et al., 2003; Dufresne et al., 2003; García-Fernández et al., 2004) du fait d’un environnement stable et simplifié. L’impact de ces changements d’environnement sur des individus avec un réseau de régulation des gènes ne peut pas être testé avec aevol. Cependant, dans une extension d’aevol, raevol, des réseaux de régulations des gènes ont été ajoutés. Cette extension et la méthodologie utilisée dans ce cas sont développés spécifiquement dans le chapitre V.

Trait phénotypique V aleur du tr ait 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 0.0 0.2 0.4 0.6

1egaussienne 2egaussienne 3egaussienne

(a) Cible environnementale des popu-lations souches Trait phénotypique V aleur du tr ait 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 0.0 0.2 0.4 0.6

1egaussienne 2egaussienne 3egaussienne

(b) Cible environnementale du scéna-rio "Changement de niche" par dépla-cement d’une gaussienne

Trait phénotypique V aleur du tr ait 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 0.0 0.2 0.4 0.6 1egaussienne 2egaussienne (c) Cible environnementale du scé-nario "Simplification de l’environne-ment" par suppression d’une gaus-sienne Trait phénotypique V aleur du tr ait 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 0.0 0.2 0.4 0.6 Zone neutre

1egaussienne 2egaussienne 3egaussienne

(d) Cible environnementale du scé-nario "Simplification de l’environne-ment" par neutralisation d’une gaus-sienne

Figure III.7 –Cibles environnementales de populations souches et des scénarios liés aux changements de l’environnement

Chaque cible environnementale est la combinaison de deux ou trois gaussiennes, plus ou moins che-vauchantes.