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4 Le conflit de compétence interétatique

4.2 Différents scénarios pouvant mener à des conflits de compétence

Lors de successions internationales franco-suisses, il n’est pas rare que la masse successorale soit composée de biens disposés tant en Suisse qu’en France. De plus, contrairement au lieu de situation des immeubles79, le lieu de situation des meubles n’est que très rarement considéré comme un critère de rattachement fondamental80. Ainsi, il est important de savoir quelles autorités sont compétentes pour régler la succession des biens se trouvant en territoire français et de ceux se situant sur le sol suisse.

72 DEVISME,p. 123.

73 Au sens de l’art. 20 al. 1er lit. a LDIP ; cf. supra.

74 Cf. supra 3.1.

75 CHAPPUIS/PERRIN,p. 35.

76 Soit un de cujus ayant son domicile en France et sa résidence habituelle en Suisse.

77 CHAPPUIS/PERRIN,p. 35.

78 Les différents scénarios du présent sous-chapitre sont tirés d’un très bon article sur le Règlement Succession, rédigé par le Professeur Benoît CHAPPUIS et le Docteur Julien PERRIN, dont les références se trouvent en page IV de ce mémoire.

79 Cf. infra 4.3.

80 ROMANO,Dilemme du renvoi,p. 352.

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Un bref excursus historique. Avant la ratification du Règlement Succession par la France, les règles jurisprudentielles françaises prévoyaient que les biens meubles devaient être régis par les dispositions du droit du domicile du défunt81. Cette règle s’appliquait tant pour les meubles corporels qu’incorporels (comme un compte bancaire ou des parts sociales). En effet, cela ressortait du fait que la France se trouvait sous régime scissionniste en matière de succession, par opposition au régime unitaire. En d’autres termes, la France ne considérait pas que l’ensemble de la succession d’un défunt devait nécessairement être régie par une seule et même loi. Ainsi, prenons l’exemple d’une personne domiciliée en France et ayant un compte bancaire en France et un autre en Suisse. À défaut de disposition pour cause de mort, à son décès, selon le principe du régime scissionniste français, son compte bancaire en Suisse sera régi par le droit suisse, alors que son compte bancaire français sera régi par la législation française. Le Règlement Succession a révolutionné le régime applicable en France en matière de successions internationales. En effet, ce Règlement adopte le principe du rattachement unitaire de la succession, soit le fait que, sauf exception, l’ensemble de la succession est régi par une seule loi. En principe, à défaut de disposition pour cause de mort, il s’agit de la loi de l’État de la dernière résidence habituelle du défunt82.

Après ce bref excursus, revenons à la problématique du conflit de compétence interétatique.

Premièrement, prenons l’exemple du de cujus de nationalité suisse, voire de binationalité franco-suisse et domicilié en Suisse mais disposant de biens situés sur territoire français.

Du point de vue suisse, l’art. 86 al. 1er LDIP prévoit que les autorités suisses sont compétentes pour s’occuper de l’ensemble de la succession. De plus, l’art. 90 al. 1er LDIP prévoit que, dans ce cas, le droit suisse sera également applicable à l’ensemble de la succession83. Enfin, il est important de noter qu’une décision prise par les autorités françaises ne sera pas reconnue en Suisse, sous réserve d’une décision relative à un bien immobilier sis en France, au sens des art. 9 et 96 al. 1er lit. b LDIP84.

Du point de vue français, l’art. 10 § 1 du Règlement Succession prévoit que la compétence subsidiaire d’un État lié par ledit Règlement est fondée sur la présence de biens dans celui-ci, dans la mesure où le défunt en possédait la nationalité au moment de son décès (lit. a), ou le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre moins de cinq ans avant la saisine de l’autorité (lit. b). Ainsi, dans l’hypothèse où notre protagoniste aurait, en plus de la nationalité suisse, la nationalité française, cette disposition trouverait facilement application. Il est important de noter qu’en principe, l’autorité française appliquerait tout de même le droit suisse, car il s’agit du droit du lieu de résidence habituelle du défunt au sens de l’art. 21 § 1 du Règlement Succession. Cependant, l’art. 21 § 2 du Règlement Succession prévoit la possibilité aux autorités françaises d’appliquer le droit français à la succession lorsqu’il existe des liens manifestement plus étroits avec la France.

Ainsi, selon ce scénario, un conflit de compétence peut éclater entre la Suisse et la France. Afin de prévenir une telle mésentente, le Règlement Succession permet, à son art. 12 § 1, à un État lié de décliner sa compétence pour les biens situés hors de son territoire. De ce fait, les autorités françaises pourraient décliner leur compétence pour régler la succession des biens sis en Suisse. Concernant le droit applicable, afin d’éviter l’application de l’art. 21 § 2 du Règlement Succession, une solution serait que

81 NAZ/RUBIDO, p. 57.

82 Cf. supra 3.1 et l’art. 21 § 1 du Règlement Succession.

83 Cf. supra 3.2.

84 CHAPPUIS/PERRIN,p. 29.

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le de cujus procède à une élection de droit en faveur du droit suisse. Cette electio juris serait uniquement déclarative selon le droit suisse, mais pourrait éviter un litige important entre la France et la Suisse85.

Deuxièmement, prenons l’hypothèse du de cujus de nationalité française, voire de binationalité franco-suisse et domicilié en France mais disposant de biens situés en Suisse.

Du point de vue suisse, en principe, les autorités suisses ne sont pas compétentes pour régir la succession d’une personne étrangère domiciliée à l’étranger. La seule possibilité pour les autorités suisses d’être compétentes pour les biens sis en Suisse est celle prévue à l’art. 88 LDIP, soit uniquement dans la mesure où les autorités étrangères ne s’occupent pas de ces biens86.

Du point de vue français, les autorités françaises sont évidemment compétentes au sens de l’art. 4 du Règlement Succession87. De plus, le droit français est en principe applicable au sens de l’art. 21 § 1 de ce même Règlement88.

Ainsi, dans cette hypothèse, les risques de conflit de compétence interétatique semblent infimes, voire inexistants, à l’exception des cas où le défunt aurait fait une electio juris en faveur du droit suisse limitée aux biens sis en Suisse. En effet, dans ce dernier cas, bien que la LDIP prévoit une telle élection de droit à son art. 87 al. 2, le Règlement Succession ne prévoit que l’élection de droit pour l’ensemble de la succession. Une telle élection de droit risque donc de ne pas être prise en considération par les autorités françaises. Ainsi, les autorités françaises risqueraient soit d’élargir cette electio juris à l’ensemble de la succession, soit de la réduire à néant89.

Troisièmement, penchons-nous sur l’hypothèse du de cujus de nationalité française domicilié en Suisse.

Le point de vue suisse est clair : les autorités suisses sont compétentes (art. 86 al. 1er LDIP) et le droit suisse est applicable (art. 90 al. 1er LDIP), sous réserve d’éventuels immeubles sis en France (art. 86 al.

2 LDIP)90.

S’agissant du point de vue français, les autorités françaises n’ont en principe pas la compétence de régir la succession. En effet, l’art. 4 du Règlement Succession s’applique, et ce sont donc les autorités suisses qui sont compétentes au sens de cette disposition. Cependant, dans l’hypothèse où le défunt aurait élu le droit français applicable à sa succession, à travers un testament par exemple, l’art. 5 du Règlement Succession permet aux parties concernées par la succession de convenir de la compétence exclusive des autorités françaises pour statuer sur l’ensemble de la succession91. Dans cette dernière hypothèse, comme le de cujus a ainsi élu le droit français applicable, il n’y a aucun risque que les autorités suisses ne reconnaissent la compétence des autorités françaises, en ce sens que cette compétence est conforme au droit valablement choisi par le défunt.

Ainsi, les risques de conflit de compétence entre la Suisse et la France sont finalement minimes, même inexistants dans le cadre de ce scénario.

85 Ibid.,p. 31.

86 Ibid.

87 Pour plus d’informations à propos de cette disposition, cf. supra 2.3.

88 Également pour plus d’informations, cf. supra 3.1.

89 CHAPPUIS/PERRIN,p. 33.

90 Ibid., p. 34.

91 Ibid.

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Enfin, il semble important d’évoquer l’hypothèse du de cujus de nationalité française, domicilié en Suisse et ayant des biens situés en Suisse et d’autres situés en France.

À nouveau, selon le point de vue suisse, les autorités suisses sont compétentes (art. 86 al. 1er LDIP), sous réserve d’un éventuel immeuble sis en France (art. 86 al. 2 LDIP), et elles appliqueront le droit suisse (art. 90 al. 1er LDIP), sous réserve d’une éventuelle élection en faveur du droit français (art. 90 al. 2 LDIP)92.

Du point de vue français, les autorités françaises ont en principe une compétence limitée aux biens situés en France (art. 10 § 2 du Règlement Succession), sous réserve du for de nécessité prévu à l’art. 11 du Règlement Succession93. Le droit suisse est cependant applicable à l’ensemble de la succession, conformément à l’art. 21 § 1 du Règlement Succession, sous réserve d’une éventuelle élection de droit en faveur du droit français (art. 22 du Règlement Succession)94.

À l’instar de la première hypothèse de ce sous-chapitre, un conflit de compétence peut survenir entre les autorités des deux États. Cependant, dans un tel scénario, ce conflit de compétence sera réglé par le droit suisse en tant que droit du dernier domicile du défunt lorsque ce dernier n’aura pas fait d’élection de droit, ou par le droit français en cas d’electio juris en faveur de ce droit.

Les solutions avancées par l’Avant-Projet de réforme des dispositions successorales de la LDIP prévoient d’éviter un conflit de compétence entre les autorités françaises et suisses en harmonisant la LDIP avec le Règlement Succession95. À ce propos, l’avant-projet s’est largement inspiré de la solution adoptée par le Règlement Succession. L’art. 86 al. 4 de l’avant-projet prévoit notamment que, malgré une élection de for valablement faite par le de cujus, lorsque les autorités de l’État concerné ne s’occupent pas de la succession, les autorités suisses du dernier domicile du de cujus restent compétentes. Également concernant l’electio fori et l’electio juris, l’avant-projet de la LDIP se calque sur la solution déjà adoptée par le Règlement Succession96.

4.3 Le lieu de situation de l’immeuble