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E n s u i t e , m a p h é n o m é n o l o g i e acceptait de se compromettre avec une force, l’affect ; l’affect était ce que je ne voulais pas réduire ; étant irréductible, il était par là même ce à quoi je voulais, je devais réduire la Photo ; mais pouvait-on retenir une intentionnalité affective, une visée de l’objet qui fût immédiatement pénétrée de désir, de répulsion, de nostalgie, d’euphorie?

Roland Barthes

!

Dans son désir ontologique à l’égard de la Photographie, désespéré des catégories habituelles selon lesquelles elle est étudiée, classée, Barthes se choisit lui-même comme « mesure du "savoir" photographique », veut établir, à partir de sa subjectivité, des photographies qui 318

existent pour lui, l’universalité de la photographie, prend ses affects comme point de départ de sa méthode, mais distingue ceux qui relèvent du studium, affects moyens, les produits « presque d’un dressage », en quelque sorte culturels, d’intérêt général, de ceux qui sont 319

punctum, pointe, déchirure, les plus violents, qu’on nomme spontanément affects, en croyant

naïvement que les autres, plus modérés, calmes sous le masque de la civilisation, n’en sont pas. Chez Bachmann, le désir énoncé en avant-propos à son cycle de morts de femmes,

Roland Barthes, La chambre claire, Paris, Éditions de l’Étoile, Gallimard, Seuil, 1980, p. 22

318

Roland Barthes, La chambre claire, op. cit., p. 48.

comme un programme qu’elle se donne, de prouver la réalité d’un fait, correspond au studium, à un affect moyen, à ce qu’elle veut apprendre à ses lecteurs.

Reconnaître le studium, c’est fatalement rencontrer les intentions du photographe, entrer en harmonie avec elles, les approuver, les désapprouver, mais toujours les comprendre, les discuter en moi-même, car la culture […] est un contrat passé entre les créateurs et les consommateurs. Le studium est une sorte d’éducation (savoir et politesse) qui me permet de retrouver l’Operator, de vivre les visées qui fondent et animent ses pratiques, mais de les vivre en quelque sorte à l’envers, selon mon vouloir de Spectator. C’est un peu comme si j’avais à lire dans la Photographie les mythes du Photographe, fraternisant avec eux, sans y croire tout à fait. Ces mythes visent évidemment (c’est à quoi sert le mythe) à réconcilier la Photographie et la société (c’est nécessaire? — Eh bien oui : la Photo est dangereuse), en la dotant de fonctions, qui sont pour le Photographe autant d’alibis. Ces fonctions sont : informer, représenter, surprendre, faire signifier, donner envie. 320

!

La littérature est tout aussi dangereuse. Ses assassinées sont les alibis avec lesquels Bachmann se protège contre les accusations de création langagière, elle qui, par ailleurs, affirme qu’on en a fini avec les mythes de l’écrivain — il n’a plus de mission : elle ne croit pas trop, elle non plus, à ses fonctions. Mais, les mythes rassurants détruits, restent, pour l’écrivain, la solitude, le danger, les affects dans leur violence. L’écrivain perd le contrôle, des mots et des choses, certains surviennent par hasard, échappent à son intention; il ne sait plus, n’a aucune idée de ce qu’il dit au lecteur, qui peut bien percevoir de son œuvre autre chose que ce qu’il a voulu y mettre. Ce dernier est libre d’élaborer son propre savoir et de le faire en prenant le livre pour objet, en le considérant comme objet culturel, ou, à la manière de Barthes avec la photographie, de se prendre lui-même et ses affects comme objet d’étude, comme point de départ et fil conducteur de son savoir, lequel ne devra pas nécessairement pour cela être réduit à un simple jugement. « Un homme labyrinthique ne cherche jamais la vérité, mais

Ibid., p. 50-51.

uniquement son Ariane », ce qui peut le sortir, lui, du tumulte auquel appartient l’opinion, 321

changée pour une autre pour un rien. Nos connaissances et nos morales, Nietzsche l’a dit, ne sont jamais qu’un produit de nos affects, dont certains ont été transformés en mots, règles, lois, culture et même en certitudes scientifiques, alors que d’autres sont et demeureront les blessures dont toutes choses, pensée et art, naissent, sont créées. Nous ne pouvons tout garder, toujours, à distance de méthode scientifique et, toujours, un choix non tempéré, non pesé, de certains livres, de certaines photos, s’impose à partir duquel nous commençons à construire nos édifices de mort. « […] ne jamais réduire le sujet que j’étais, face à certaines photos, au

socius désincarné, désaffecté, dont s’occupe la science ». Le défaut de celle-ci, c’est le sujet, 322

à la fois trop plein et trop vide qui, tout en faisant mine de s’effacer afin de garantir, croit-il, par son retrait la vérité objective de ses recherches, engloutit dans sa subjectivité intarissable mais au fond inexistante l’objet de son étude. La condition du savoir affectif, mais aussi de tout savoir, puisque celui qui se fond dans la masse, qui se fait un point d’honneur de rencontrer partout l’approbation générale, ne pense pas — cela fait trop de vagues —, est la présence d’une subjectivité particulière — elle seule a des idées —, laquelle, pour connaître, doit subir le choc qui la brisera. C’est dans sa sensibilité que commence le savoir de Barthes sur la photographie : « […] je voulais l’approfondir, non comme une question (un thème), mais comme une blessure : je vois, je sens, donc je remarque, je regarde et je pense ». Des 323

deux amoureux, celui qui aime le moins pourra occuper une place dans la société, parmi la foule, s’approchera d’une expérience et d’une connaissance plus objective, mais moins unique,

Ibid., p. 114. Barthes cite ici Nietzsche.

321

Ibid., p. 115.

322

Ibid., p. 42.

de l’amour, alors que celui qui aime le plus demeurera près d’une vérité fulgurante, indicible, destructrice, inassimilable à un savoir normalisateur : Jan survit, continue, oublie, parfois, bref moment qui lui tord le cœur, se souvient et Jennifer meurt, incapable de vivre et de ne pas aimer, de faire entrer son amour dans un foyer bourgeois, détruite forcément par Jan qui s’est détourné d’elle. Qui n’oublie pas est détruit, le sujet qui s’affirme, dont la conscience ne s’endort pas, dont la société n’arrive pas à éteindre le feu, à neutraliser les idées, l’imagination, les penchants, la douleur, est anéantit à la fois par ceux qui ne le tolèrent pas et par lui-même, qui le veut ainsi. Tel est l’écrivain, dont la voix résonne comme l’une des plus singulières au milieu de la rumeur, qui seul endosse la responsabilité de dire « Je », mais qui ne prétend pourtant à rien, n’affirme rien, accepte que sa personne, son histoire, sa vie, son intelligence se perdent, ne réclame aucune autorité pour lui-même, ce qui va de soi puisque son Je est de toute façon sans garantie, que sa seule vérité est le doute, qu’il balance entre le cri de rage, la volonté d’enfreindre et de dénoncer des lois qu’il juge iniques, un sentiment de culpabilité consécutif à l’impression où il est d’avoir usurpé une autorité et la volonté de se réfugier dans le giron de la loi, en dehors de laquelle il n’a presque aucun pouvoir, la force de son Je n’ayant pas été reconnue. Tout savoir digne de ce nom qui ne soit pas que vanités de scientifiques en mal autant de certitudes que de renommée doit s’accommoder de ce paradoxe. L’approche (que suit l’éloignement) de la vérité est impossible sans un affect aussi nécessaire que dévastateur. La littérature est parfois si juste parce que l’écrivain, contrairement au scientifique apeuré qui, se refusant à voir en lui-même comme dans tous les autres l’inévitable

faille — puisque c’est ainsi qu’il nomme ce qu’il y a d’humain en lui — responsable de

solutions et de remèdes, ne nie pas celle-ci et ne tente pas de nous en consoler. « Il doit au contraire prendre la mesure de sa vérité et la rendre effective encore une fois, afin que nous puissions voir. Car nous voulons tous devenir voyants. Or, seule cette douleur secrète nous rend sensibles à l’expérience, en particulier à celle de la vérité. » L’affect n’est pas qu’un 324

sentiment, que la joie, que la douleur, que la souffrance d’une perte, le bonheur d’une journée d’été, la tristesse d’un temps gris, il est parfois moins une réaction que ce à quoi on réagit, ce sous la poussée de quoi on agit, on vit, on tue; il n’est ni choisi ni conscient, c’est plutôt lui qui nous domine, nous entraîne; surtout il n’est pas à confondre avec la simple expérience vécue, avec ce que l’écrivailleur croit pouvoir dire de son expérience de la mort, de la dépression, du bonheur de donner naissance et d’autres événements qui marquent une vie et qui, en l’absence de la médiation de la réflexion et de la mise en forme du langage par laquelle meurt l’intention subjective, est toujours par trop simple et sans importance, est transmis directement au lecteur, mais comme un anecdote, un événement pour lequel il peut bien éprouver un intérêt mais auquel il demeurera tout à fait étranger, jamais comme un affect, si ce n’est comme un affect

moyen. La littérature est parfois si juste, aussi, parce que l’écrivain abandonne : ses projets, ses

volontés, son intention, ses idées, tout en continuant, s’abandonne, reconnaît son échec à dire juste, essaie. « L’impuissance à nommer est un bon symptôme de trouble », lequel garantit 325

l’importance d’une pensée. Aussi le savoir affectif est-il aux antipodes de l’opinion, cette plaie intellectuelle qui, en passant pour choix personnel, droit à une subjectivité propre, s’affirme sur tout et sur rien, aplanit les jugements, rend caduque et même impertinent le fait d’oser

Ingeborg Bachmann, « On peut exiger de l’homme qu’il affronte la vérité », traduit de l’allemand par

324

Françoise Rétif, dans Europe, nº892-893, août-septembre 2003, p. 37. Roland Barthes, La chambre claire, op. cit., p. 84.

avoir recours à une argumentation, à une réflexion, encore plus scandaleuse. L’affect comme la littérature sont plus forts que l’individu tout en demeurant irréductiblement particuliers, absolument inassimilables à un concept général, auquel l’écrivain, jouant sans cesse avec sa matière, le langage, radicalement rébarbatif ne serait-ce qu’à l’idée de le fixer, de ne lui faire dire qu’une chose — en l’occurrence ce qu’il veut —, est aussi intolérant que la science l’est envers lui et sa façon de toujours errer entre plusieurs incertitudes, de s’en tenir à ce qu’elle juge indigne du mot-concept « savoir », composé pour elle de « certitudes », « preuves », « logique », « conclusion », jamais de « mensonge », « idéologie », « aveuglement ». Mieux vaut l’ignorance, la conscience brisée et fébrile près de la folie et le silence. Car le mot juste est toujours mal dit, jamais trouvé. « Manquant, ce mot, il gâche tous les autres, les contamine, c’est aussi le chien mort de la plage en plein midi, ce trou de chair […] et des massacres, oh! qu’il y en a, que d’inachèvements sanglants le long des horizons amoncelés, et parmi eux, ce mot, qui n’existe pas, pourtant est là : il vous attend au tournant du langage ». Si je l’affirme 326

je mens, je tue. Si je le poursuis je meurs, selon la seule loi qui soit bel et bien immuable : la mort. Les autres, celles qu’on prouve, doivent passer. Les mots, dans leur dureté, les lois, les limites, sont responsables des massacres.

!

Fin d’un projet

Une voix morte souffre encore. Dire d’écrire : « c’est un désir incontrôlable » est vrai, mais insuffisant. Que malgré la torture certains écrivent encore ne s’explique pas, sauf peut-être par

Marguerite Duras, Le ravissement de Lol. V. Stein, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « La

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cette seule raison qu’écrire demeure malgré tout pour eux la meilleure forme de résistance au donné médiocre, à cette restriction du possible par les institutions, les lois, les normes, dont personne ne s’inquiète. Mais « je peux dire ce que je veux, je ne trouverai jamais pourquoi on écrit et comment on écrit pas. » Tant écrire n’appartient pas au rationnel, ce qui ne signifie 327

pas que comme acte il en est dénué. « Pour une jeune personne qui écrivait et qui ne voulait rien d’autre qu’écrire, écrire était depuis longtemps au centre de toutes ses pensées et espérances. L’aversion pour la littérature telle que la science en traite pouvait bien être une sottise parmi d’autres. » Pourtant non, car il y a bien une différence entre la littérature en 328

acte et la littérature à l’étude, entre la création et la théorie — bien que l’une et l’autre, sous

certaines conditions, ne s’excluent pas forcément —, et Bachmann, lorsqu’elle confesse son désir de jeunesse, ne l’ignore pas, elle qui présente la littérature comme une utopie, soit une chose qui en aucune manière n’est commensurable avec ce qu’arrive à concevoir clairement la raison, avec ses concepts fermés. « La littérature, une utopie », cela renvoie dans sa pensée à une littérature moins irréelle qu’insaisissable, d’aucun lieu mais qui fait en effet partie de la réalité : à son concept d’utopie n’appartient pas tant ce qui n’existe pas que ce qui n’existe pas

pour la raison et que, pour cela, elle maintient hors de l’expression. Ce qu’arrive à élaborer la

science littéraire à propos des œuvres est « plus faible qu’elles, car tout ce qui se dit à propos des œuvres est plus faible qu’elles ». Voilà pour les critiques littéraires et leurs discours sur 329

la littérature, que Bachmann aime à railler. Le tout pour elle sera de tenter d’éviter de tomber dans les mêmes pièges que ces esprits limités, de faire à la fois de la critique et de la

Marguerite Duras, Écrire, Paris, Gallimard, 1993, p. 21.

327

LF, « La littérature, une utopie », p. 709.

328

LF, « Questions et pseudo-questions », p. 651.

littérature, soit de parler des œuvres sans dire quelque chose sur elles, de faire de la littérature en faisant de la critique, de la théorie en faisant de la littérature. Bien sûr elle n’y arrivera pas, tant le problème est insoluble, tant la littérature est immense et indomptable. Avec l’inévitable doute qui accompagne sa volonté de parler de la littérature , Bachmann prendra le chemin, 330

afin de (ne pas) parvenir à son but, ... du doute. « Le doute, c’est écrire. Donc c’est l’écrivain, aussi. » C’était le meilleur, le plus dur et le seul chemin. Par lui elle a réussi à ne pas réussir 331

dans son entreprise théorique — et à en faire de la littérature —, alors que son entreprise littéraire reste imprégnée d’un fort souci théorique, au point qu’elle semble abandonner par moment le doute pour se réfugier dans le calme de la démonstration, pour subordonner son œuvre à une idée. Peut-être cet échec — ou cette réussite — n’existe-t-il que parce que cette dernière est demeurée inachevée, devait l’être, à cause de la mort de l’écrivaine. Toutes les œuvres sont inachevées, aucun écrivain ne met un terme volontaire et mûrement réfléchi, décisif, au cycle des livres entamé avec le premier doute, mais celle de Bachmann l’est différemment, comme celle de tous les suicidés. Elle avait pour projet défini, à travers son cycle Todesarten, « de faire connaître quelque chose, d’aller à la recherche de quelque chose qui n’a pas disparu de ce monde », soit ce virus du crime, comme elle appelle ce qui est à 332

l’origine du mal chez les hommes : il se transmet d’être humain à être humain, il s’attrape, il n’est pas congénital, il n’était pas à sa naissance dans l’homme, il lui transforme, lui détruit le corps, mais il pourrait, si la comparaison tient jusqu’au bout, en être guéri. Sauf que ce mal,

« […] cette tentative me paraissait suspecte », avoue-t-elle à ses auditeurs. LF, « Questions et pseudo-

330

questions », p. 652.

Marguerite Duras, Écrire, op. cit., p. 26.

331

F, avant-propos, p. 413-414.

même connu, est de ceux qui demeureront incurables. Bachmann a pu éveiller les consciences, celles-ci n’en sont pas moins monstrueuses — seulement moins ignares. Elle le savait. Faire

connaître et en même temps rechercher quelque chose n’apporte pas le calme d’une théorie

établie et, surtout, la réalisation de l’objectif fixé repose davantage sur les autres que sur elle- même; c’est demander l’impossible. Si les circonstances de sa mort demeurent — officiellement — obscures, son œuvre, par la fiction (que j’interprète), nous dit indubitablement qu’elle s’est suicidée. Toute la souffrance que ses écrits charrient s’est incarnée presque trop parfaitement dans l’agonie prolongée (plusieurs semaines) de son corps brûlé comme dans les flammes qui l’ont consumée, lesquelles peuvent également figurer l’étincelle incendiaire de l’espoir, qui nourrit mais épuise à force de vouloir porter si haut les possibilités du monde, d’avance condamnées à la médiocrité de l’être humain. « Car si je ne peux plus y croire, je ne peux plus non plus écrire. » Vivre pour écrire et croire pour écrire. 333

Bachmann est morte d’avoir fait de la réalisation (impossible) de l’utopie la condition de son œuvre, car lorsque, par définition, l’utopie ne se concrétise pas, s’effondre le dernier espoir de qui avait dû, pour diriger vers elle ses pas, pour soutenir ses efforts, la formuler et la définir — même vaguement, même inconsciemment. Dans toute l’œuvre de Bachmann, malgré la grande noirceur de celle-ci, pointe l’espoir, toujours vain ; il y est même aussi constant que la souffrance comme ce qui malgré tout permet de continuer, comme ce qui donne aux mots et aux êtres une poussée vitale. Dans ses exposés théoriques, tantôt la littérature est l’utopie qui « ne sait pas mourir »; les mots qui tonnent la « salve d’avenir »; le Je narrateur, aussi 334 335

Ingeborg Bachmann, Wir müssen wahre Sätze finden. Gespräche und Interviews, op. cit., p. 145.

333

LF, « La littérature, une utopie », p. 713.

334

Ibid., p. 722.

privé de garantie soit-il, toujours triomphera comme le héraut de la voix humaine; dans ses romans, les femmes désespérées rêvent qu’un « jour viendra » où elles seront sauvées, où 336

elles cesseront de trembler de peur, où elles seront « rétablie[s] dans [leur] droit ». Le 337

voyage de Franza à travers le désert est son voyage hors de sa maladie par laquelle son mari l’assassine, vers l’utopie imaginaire d’un monde meilleur — Ouadi-Halfa : « le premier et le seul repas a eu lieu, a lieu, c’est le premier et le seul bon repas, cela restera peut-être dans une vie le seul qu’aucune barbarie, aucune indifférence, aucun appétit mauvais, aucune irréflexion, aucun calcul n’ait dérangé ». L’idéal devient bientôt réel, laisse bientôt voir ses nécessaires 338

erreurs, ses violences, ses injustices. « Ouadi-Halfa : maintenant elle va sombrer ». Elle 339

croyait pouvoir guérir loin de l’homme blanc, mais « le ravage progressait ». Elle a perdu à 340

nouveau son droit. « La mort viendra ». Franza est le désert : ses villes désertes englouties 341

détruites par la construction de nouveaux barrages (qui favorisent les affaires de l’homme blanc), ses mirages, ses représentations brisées, sa lumière déchirante, son sable qui recouvre les pas, efface l’histoire, sa mort dans la boue du Nil. Franza est son utopie. « Être à l’abri ou en danger, cela tient aux projections, aux grandes illusions, avec les ravages qu’elles provoquent. Il n’y a rien de tout cela. » Le danger de l’utopie est qu’elle ne survie pas à 342

l’épreuve du réel. Tout en imaginant une mission à la littérature, à son œuvre, qui lui donnerait un but, la sortirait du médiocre et pourrait transformer le monde, Bachmann se moque, avec

M, p. 101. 336 F, p. 474. 337 Ibid., p. 510. 338 Ibid., p. 511. 339 Ibid., p. 479. 340 M, p. 65. 341 Ibid., p. 511. 342

justesse, de la prétention à une mission : « aucune mission n’est plus là pour nous

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