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Chapitre 2. Reconnaissance institutionnelle et différenciation des trajectoires

3. Santé et itinéraire professionnel : enjeux méthodologiques et politiques

Les accidents du travail et problèmes de santé liés au travail dans l’enquête SIP

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sance qui nous paraissent ressortir de nos analyses. Mieux connaître et mieux comprendre les arti- culations entre santé et itinéraire professionnel est une question politique majeure car elle pose la question des inégalités sociales de santé de manière dynamique : de la santé vers le travail et du travail vers la santé, dans des processus qui se construisent dans la durée des parcours, à la fois sin- guliers et collectifs. L'ambition de l'enquête SIP est à la hauteur de sa nouveauté : donner à voir, en population générale, les articulations entre la santé et l'itinéraire professionnel reconstitué dans son intégralité. Dans le champ défini pour notre recherche, l’observation des données SIP sur les acci- dents du travail et sur les problèmes de santé causés ou aggravés par les conditions de travail a mon- tré que, très globalement, ce n’était pas via la reconstitution de l’itinéraire professionnel que ces événements de santé au travail étaient signalés par les enquêtés (dans un cas sur cinq seulement pour les deux types d'atteintes). L'intégration de questions plus directes, dans le questionnaire SIP, sur la survenue d'autres problèmes de santé ou d'autres accidents « graves » s'est révélée essentielle pour pouvoir repérer suffisamment d'événements de santé liés au travail, quand bien même ceux-ci sont restreints au champ des accidents ou maladies jugés « graves » par les enquêtés. Face à ce cor- pus d'enquête, nous avons opéré des choix, sur lesquels nous revenons ici car ils sont, selon nous, porteurs d'enseignements en matière de production de connaissance. Le premier choix est d'avoir couplé l'analyse des données statistiques avec des entretiens auprès de personnes enquêtées. Les résultats présentés plus haut rendent compte de la richesse de cette analyse croisée, tant pour une compréhension des complexités existantes que, justement, pour pointer les limites de tout question- naire fermé sur les articulations entre santé et itinéraire professionnel. Les divergences apparues entre nos entretiens et certaines réponses apportées dans l'enquête SIP – que nous nous sommes gardés d'interpréter en faveur des uns ou de l'autre – sont aussi venues rappeler la nécessaire com- plémentarité des approches pour tenter d'approcher au plus près des processus qui restent difficiles à appréhender. L'enquête SIP et ses prolongements, notamment via le suivi longitudinal mené en 2010, constituent un matériau statistique important et un encouragement à poursuivre les travaux sur cette thématique, en lien avec des travaux qualitatifs. Le deuxième choix a été d'élargir notre objet de recherche des seuls accidents du travail aux accidents du travail et aux problèmes de santé liés au travail. Parti d'une contrainte d'ordre statistique, cet élargissement de l'objet étudié s'est avéré particulièrement intéressant pour l'analyse des liens entre santé et travail et des visibilités et invisi- bilités institutionnelles des atteintes. Cela conduit en outre à réfléchir au nécessaire décloisonne- ment des approches en matière de connaissance en « santé au travail » : non limitées aux seuls acci- dents du travail ou maladies professionnelles reconnus et indemnisés. À ce titre, le caractère flou de la variable de l’enquête SIP, qui indique que le problème de santé peut être « causé ou aggravé » par les conditions de travail, s'est révélé in fine utile, car il nous a obligés à sortir d’une approche trop causale et mécanique de problèmes souvent beaucoup plus complexes.

Les résultats observés sur les disparités des trajectoires et surtout sur la perception de celles-ci selon le degré de reconnaissance institutionnelle des atteintes à la santé liées au travail nous conduisent enfin à rappeler que les enjeux de connaissance en matière de santé au travail sont aussi des enjeux de reconnaissance pour les personnes atteintes. L'analyse a montré que la reconnaissance institu- tionnelle des atteintes à la santé liées au travail ne pouvait s'enfermer dans une seule logique de coût financier, mais dépassait largement la question des indemnités journalières (qu'un responsable poli- tique a proposé récemment de « taxer ») pour toucher à une autre forme de reconnaissance, non plus seulement institutionnelle mais à la fois sociétale (par le regard des autres, employeurs, collègues, proches) et personnelle (sortir d'une individualisation et d'une responsabilisation par rapport au pro- blème de santé survenu). Ce faisant, l'analyse des données SIP et des entretiens réalisés a permis d'apporter un nouvel éclairage sur le retard existant dans la reconnaissance des pathologies d'origine professionnelles et, au-delà, des personnes atteintes.

Dans la définition de la santé qu’il propose, Philippe Davezies121 intègre la notion d’« avoir barre » sur le déroulement du parcours professionnel. Selon lui, trois dimensions caractérisent en effet la santé : la forme, « être en forme, c’est-à-dire avoir le sentiment de vivre une vie qui se tient » ; la liberté, « se sentir libre, ce qui implique autant le sentiment d’avoir barre sur les choses que la con- naissance et l’acceptation de ses propres limites » ; et le sens, « percevoir la suite des événements vécus comme une unité susceptible de faire sens et de constituer une histoire ». On peut partir de cette acception de la santé pour dire qu’au regard de nos résultats, la reconnaissance institutionnelle d’un accident en « accident du travail » ou d’un problème de santé en « maladie professionnelle » est un facteur de bonne santé pour les individus atteints, comparativement à ceux dont l’atteinte n’a pas été reconnue.

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ANNEXES