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A) La sérialité comme biais ?

1) Une saisie partielle des prix

À refuser les comptabilités privées, parce que trop peu durables et trop susceptibles chacune d’évolution dans leurs formes, pour se concentrer sur les comptes d’institutions201, c’est tout d’abord

un ensemble de marchandises qui disparaissent, et particulièrement les matières premières industrielles et les produits semi-finis. Cela certes n’était pas pour déranger Beveridge, qui avait commencé ses recherches en histoire des prix en n’étudiant que le prix des céréales (parce que seul le préoccupait, dans la lignée de Jevons, l’effet de la périodicité climatique sur la périodicité de la production agricole, production agricole dont il considérait les prix annuels des céréales

201Hauser choisit de faire rigoureusement l’inverse de cette injonction beveridgienne : dès 1930 il enjoignait à ses collaborateurs de dépouiller « enfin et surtout (quand cela est possible) les archives notariales et (quand elles sont accessibles) les archives privées », les archives notariales étant « la source essentielle et la plus pure » (cf. respectivement pour ces deux citations Report 7 : H. Hauser, « Note sur l’organisation du travail en France », 12/04/1930 ; et Hauser, « Introduction », art. cité, p. 10). De même A. H. Cole, dans son « Memorandum on New England Price Study (1620-1820) » du 18/03/1930, dit-il à propos des sources used que the

merchants’ books are the most satisfactory by far, while at the same time conveying data as to methods of business and marketing (Report 10, § 1) – ce en quoi il est

difficile de ne pas voir l’effet, quant aux choix des sources, des intérêts scientifiques de Cole, qui en 1936 sera nommé professeur de Business Economics à Harvard, et en 1948 y créera (grâce d’ailleurs à la Rockefeller) le Research Center in

Entrepreneurial History (cf. respectivement Mason, Lamont, « The Harvard

Department of Economics from the Beginning to World War II », art. cité, p. 405, et T. C. Cochran, « Arthur Harrison Cole (1889-1974) », The Business History Review, 49/1, avril 1975, p. 1-5). Cole reconnaît cependant les difficultés que pose ce genre de documentation pour une histoire des prix (Report 10, § 3), et ne dit le privilégier que parce qu’il est le seul disponible – sans que je sois en mesure de déterminer si ce constat renvoie à une réelle spécificité archivistique nord-américaine, ou s’il n’est que l’effet des efforts moindres déployés par Cole pour trouver d’autres types de documentation.

comme le plus atteignable des proxies202), et pour qui les prix

agricoles resteront toujours l’objet focal. En effet, l’intérêt initial de Beveridge pour l’histoire des prix était né de sa préoccupation pour la production agricole et ses conséquences sur les prix des denrées, préoccupation qui était elle-même l’effet de son activité, pendant et après la première guerre mondiale, au Ministry of Food, dont il était le secrétaire général lorsqu’il choisit en 1919 de passer à la direction de la LSE203. Mais surtout – parce que c’est ce qui explique que son

intérêt initial ait perduré alors même que ses causes avaient disparu (soit d’une part ses fonctions ministérielles, et d’autre part le rationnement lié à la guerre) – la focalisation de Beveridge sur les denrées renvoie à cette préoccupation fondamentale chez lui que sont

the natural bases of economics and politics, the human material and its physical environment, forming a bridge between the natural and the social sciences204. Parce que cette préoccupation était

consubstantiellement liée avec son épistémologie, dont elle est comme la conséquence thématique, on comprend que Beveridge n’ait jamais perdu de vue l’objet initial de son intérêt pour l’histoire des prix (ainsi en 1938 travaille-t-il encore sur la périodicité météorologique205), et

que son approche de l’histoire des prix en soit donc restée marquée de façon permanente206.

Il était d’autant plus facile pour Beveridge de n’avoir ainsi qu’une approche partielle de l’histoire des prix que ce faisant il se bornait à s’inscrire dans toute la tradition d’étude de l’histoire des prix dont il était issu et avec laquelle, sur ce point du moins, il ne brisait pas – on se réfèrera bien sûr à Thorold Rogers, dont le titre du grand 202« Note by Sir William Beveridge on Prices and Wages Enquiry in England » (s. d., entre mai 1927 et janvier 1928) : The results of this work […] will include [...] an

analysis of wheat prices with a view to the discovery of any harvest periodicities that may exist (Report 1, Appendix A).

203Le lien entre cet intérêt administratif contemporain et son enquête historique se voit de façon particulièrement nette dans le premier de ses articles, de 1921, où se manifeste son intérêt pour l’histoire des prix. En effet, si pour analyser le lien entre périodicité des récoltes et périodicité du climat il y recourt à des données sur les prix remontant jusqu’à 1500, son propos fondamental consiste à mettre en garde contre une possible récolte désastreuse en 1923 (Beveridge, « Weather and Harvest Cycles », art. cité, p. 448-449).

204Cette citation de Beveridge est reproduite dans Dahrendorf, LSE : A History of the

London School of Economics..., op. cit., p. 164.

205J. Harris, William Beveridge : A Biography, Oxford, Clarendon Press, 1977, p. 363. 206Pour la hiérarchie qu’établissait Beveridge encore à la fin de sa vie entre les

œuvre (A history of agriculture and prices) exprimait une priorité de même ordre, mais aussi bien plus anciennement à Tooke. Et c’est pour cette raison que l’intérêt préférentiel de Beveridge pour les prix agricoles n’allait pas sans être partagé par d’autres membres du Comité207 ; ainsi Pribram ne s’intéressait-il lui aussi quasiment qu’aux

prix des denrées, avec un accent net mis sur leur lien avec la production agricole puisqu’il faisait également relever des données qui renseignaient directement cette dernière quoiqu’elles ne concernaient pas immédiatement les prix208. Posthumus toutefois, pour sa part,

s’efforça de publier les prix de marchandises aussi diverses que possibles (267) dans la mesure où grain prices could not, on account

of the variability of crops, lay claim to mirroring the course of the prices in general most trustworthily209 ; et l’on voit ainsi combien

l’objet qu’il visait était radicalement différent de celui de Beveridge puisque les prix représentaient pour lui un objet d’étude en soi, et non pas simplement un proxy. De même la réduction de l’histoire des prix aux seuls prix des denrées ne pouvait-elle être satisfaisante pour tous les historiens et économistes préoccupés avant tout par la révolution industrielle (soit un courant essentiel des recherches, particulièrement en Angleterre où il assumait la fonction de great narrative national), et qui, alors même que le seul volume jamais publié par Beveridge portait précisément sur cette période, n’y trouvaient aucun des renseignements susceptibles de les intéresser210.

207Aussi bien que par les historiens des prix extérieurs au Comité – on pensera tout particulièrement à Labrousse et Abel, chez qui identiquement la construction théorique repose tout entière sur l’analyse du prix des denrées.

208[Es] bilden den Gegenstand der Erhebung analog wie in England zunächst die

Getreidepreise und die Brotpreise, sodann Viehpreise und Anbau- und Erntedate, sowie Taglöhne ; in zweiter Linie kommen einige für Österreich besonders wichtige Preise in Betracht (Salz, Wein, Eier, Bier, Fleisch, ferner Holz, Ziegel, Heu, Stroh)

(Report 8 : A. F. Pribram, « Organisation der österreichischen historischen Preis- und Lohnstatistik », 11/05/1930).

209Posthumus, Inquiry into the history of prices in Holland, op. cit., t. 1, p. XVIII et XXXIX. On n’aura garde d’oublier, pour s’expliquer que Posthumus n’ait pas eu des prix une conception agriculturalo-centrée, qu’il avait soutenu sa thèse sur l’histoire de l’industrie textile.

210Voir particulièrement la recension de T. S. Ashton, Economic Journal, 303, September 1966, p. 603 ; Ashton, qui avait été le titulaire de la chaire d’histoire économique de la LSE, était surtout connu pour son The Industrial Revolution

(1760-1830), London, Oxford University Press, 1948, et était particulièrement

influent (il fut vice-président de la Royal Historical Society et de la Royal Economic Society, ainsi que président de l’Economic History Society). Au problème posé par