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CHAPITRE V : L’IMAGINATION DANS LE TRAITÉ THÉOLOGICO-

5.1 Le sacré et la plaisanterie 49

Il me faut montrer ceci : pour quelle raison l’Écriture ou toute autre chose muette doit être dite sacrée et divine ; puis ce qu’est véritablement la parole de Dieu, et qu’elle n’est pas contenue dans un nombre déterminé de livres; enfin, que l’Écriture, en tant qu’elle enseigne ce qui est nécessaire au salut et à l’obéissance, n’a pu être corrompue ; enfin que l’Écriture, en tant qu’elle enseigne ce qui est nécessaire au salut et à l’obéissance, n’a pu être corrompue87.

Il n’y a pas seulement que l’Écriture soit muette, mais en plus que d’autres choses muettes peuvent être dites sacrées. Nous savons par le premier chapitre du TTP que les prophètes offrent une certitude morale (et non épistémologique ou rationnelle) en vertu de trois facteurs : ils ont une imagination vive et distincte, leur âme est inclinée au juste et au bien, et ils confirment leurs paroles par des signes. Nous dirons à la suite de notre analyse que les choses muettes sont des repos contenus virtuellement en Dieu, et que la vertu des prophètes, celle d’imaginer des choses qui n’existent pas en acte, est la confirmation immanente de leur actualité, leur mise en mouvement. De même nous appellerons signe l’équivalent dans l’Étendue de l’idée de l’idée, méthode réflexive corporelle, principe même de la certitude88. Nous voulons résolument insister sur le maintien du parallélisme. Le TTP fournit de précieuses indications à cet égard : il indique la vertu imaginative du prophète, associée de près à la puissance du corps.

                                                                                                                87 TTP [146], ch. 12 § 4 PUF

88 E II, prop. 17 sc. Nous voulons insister pour dire que si l’imagination exprime l’état d’un corps dont la

vertu lui est interne (ce qui est le cas du prophète), le spinozisme ne permet pas d’effectuer une

distinction ontologique sérieuse entre cette puissance et les autres. Il faut donc prendre littéralement une telle affirmation : « Ce n’est pas par hasard que la parole de Dieu qui s’exprime chez les prophètes convient à celle qui s’exprime en nous. » (TTP [187], ch. 15 § 8 PUF). D’ailleurs Spinoza dit « non temere

Nous avons parlé de la science intuitive comme d’une imagination libérée, et nous annoncions qu’une quantité phénoménale de passages, dans la philosophie de Spinoza, résistaient à notre interprétation. Celui-ci, à titre indicatif, n’est pas en reste :

Ceux qui excellent par l’imagination ne sont guère aptes à la pure intellection ; et au contraire ceux qui excellent par l’intellect, et qui le mettent le plus en oeuvre, ont une puissance d’imaginer plus tempérée et plus dominée, la tenant comme sous le joug, afin qu’elle ne se mêle pas à l’intellect. Donc qui veut acquérir dans les livres des prophètes la sagesse et la connaissance des choses naturelles se trompe totalement.89

Notre hypothèse de lecture se formulera ainsi : il faut comprendre trois sens distincts au terme d’imagination. Dans un premier sens, l’imagination renvoie à la perception vague du premier genre. Dans un deuxième sens, l’imagination renvoie aux processus propres au corps ; elle est alors l’équivalent étendu du penser, actif ou passif selon les circonstances. Dans un troisième sens, elle enchaîne les images comme l’intellect les démonstrations. Dès lors que nous pouvons penser activement, nous pouvons imaginer activement. Nous voyions aussi que l’idée claire et distincte se conçoit par l’Esprit : c’est un être objectif, une idée de l’idée. De la même façon, l’imagination vive et distincte, dans l’Étendue, demande le signe.

Nous revenons au ch. XII du TTP, là où Spinoza s’interrogeait sur le caractère sacré des choses muettes. Nous avons vu que l’essence obtenue à partir des significations des choses n’était qu’une partie, parce qu’elle n’était pas « encore » en acte ; il lui manquait un idéat qui accomplit le mouvement, c’est-à-dire son expressivité. Or comment une chose muette peut-elle être dite « sacrée » ? Voici la réponse de Spinoza :

On appelle sacré et divin ce qui est destiné à la pratique de la piété et de la religion ; cela sera sacré aussi longtemps que des hommes s’en serviront religieusement. [...] C’est du seul usage que les mots tirent une signification déterminée; si, conformément à leur usage, ils sont disposés de sorte que ceux qui les lisent soient portés à la dévotion, alors ces mots seront sacrés ainsi que le livre écrit selon un tel arrangement de termes. Mais si cet usage disparaît ensuite, de sorte que ces mots n’aient plus de signification, ou bien si, soit par méchanceté soit qu’on en ait plus besoin, le livre est complètement négligé, alors les mots, comme le livre n’auront plus ni usage ni sainteté; enfin,

                                                                                                                89 TTP [16], ch. 2, § 1 PUF

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si ces mots sont disposés autrement ou si l’usage s’est imposé de les prendre dans une signification contraire, alors les mots et le livre auparavant sacrés deviendront impurs et profanes. D’où il résulte que rien d’extérieur à la pensée n’est sacré, ou profane, ou impur, absolument, mais seulement relativement à elle90.

Ainsi des significations sont disposées dans l’usage, que nous associons à l’Étendue lorsqu’elles sont des mots. Elles peuvent aussi se disposer pour constituer les essences de choses qui n’existent pas : dans ce cas, l’usage devient essentiel. Il y a eu translation du Corps à l’Esprit : ce qui était indifférent dans le Corps est devenu sacré par l’Esprit. À l’inverse, l’essence au repos est indifférente et éteinte, jusqu’à ce qu’elle suscite l’hilaritas dans le corps. Le sacré est l’équivalent du rire dans la pensée. « La parole et le pacte éternels de Dieu et la vraie religion sont inscrits par Dieu dans le cœur des hommes, c’est-à-dire dans l’esprit humain91. » La lumière est dans l’esprit comme le verbe est dans la chair.

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