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Mais le sable se colore déjà de ma solitude 

Dans le document Poétique et imaginaire du désert (Page 195-198)

Tout au long de son œuvre, les allusions constantes au sable, à

l’erg, au chameau, au Sud-Mahgrébin, à l’Arabie tissent un réseau

d’images et de significations. Lieu privilégié, espace de l’écart et

de l’altérité, infini et indéfini, le désert suscite toujours, chez Tahar

Ben Jelloun, contemplation, méditation et création. Cette

immen-sité de sables

, apparemment vide

, qui brûle et abrase, ouvre

l’ima-ginaire dans tous les sens. Qu’il soit d’Orient, d’Israël, de Jordanie

ou du Sahara maghrébin, le puissant royaume des Bédouins et des

Hommes du vent, lieu de l’originel et de l’authentique

, impose « la

.La nuit sacrée, Paris, Seuil,, p..

.L’enfant de sable, roman, Paris, Seuil,, coll. « Points Roman », n

o

, p..

. « Septembre. Au jour aimant et vertige » (Le discours du chameau), inLes

amandiers sont morts de leurs blessures, cité, p..

. Rappelons que le désert peut prendre des formes variées : déserts de pierres,

déserts de glaces, etc. Mais pour l’imaginaire benjellounien, le désert est le plus

sou-vent de sable.

. À partir duxix

e

siècle, investi par les expéditions militaires et traversé par les

explorations, le désert entre dans l’histoire et l’imaginaire collectif. Avec Eugène

Fro-mentin, on assiste aux premières tentatives littéraires pour représenter le désert

autre-ment que comme un espace du manque.

. « On dit que les premiers hommes sont apparus au centre de l’Afrique et c’est

du désert que sont venus les Arabes » (Marie-Alice Séférian, « Mer, ville, désert, trois

espaces privilégiés duMuezzinde Bourboune », inRevue Romane, Copenhague,

Black-well Munksgaard,, p.).

pensée de sa continuité infinie comme celle de l’infinité des grains

de sable qui le composent

». Cette vaste étendue étincelante,

sem-blable à celle des origines, envahit les textes de Tahar Ben Jelloun

et crée une certaine tension dramatique et poétique. « La pensée a

besoin de métaphores spatiales

». En effet, pour lui, le décor,

élé-ment souvent fictif, ne joue pas le rôle d’un simple accessoire mais

fait participer le lecteur « dans un espace poétique et concret aux

étapes successives par lesquelles s’achemine le destin des héros

».

Ceux-ci, ayant besoin d’un site pour contenir leur moi fugace

et eff

a-cer leur échec, tentent l’impossible. Ils ne cessent de marcher pour

percevoir le désert et pour l’affronter. En effet, les sables édéniques,

lieu-source et espace-ressource, permettent un parcours intérieur et

un épanouissement de ces êtres qui, après avoir erré, recherché et

défié, se révèlent à eux-mêmes. Le désert benjellounien est donc une

rencontre dans l’espace-cosmos et dans le temps, la première sans

doute, poignante, absolue. La rencontre avec une étendue

d’inexpri-mables bonheurs remplie de dunes qui s’effritent pour se

reconsti-tuer sans cesse

.

Si les hommes ne peuvent pas y vivre tout le temps, c’est à cause

du soleil. Il s’y installe pour faire briller les roches et protéger les

ani-maux qui y vivent grâce à la chaleur et à la lumière. Le vent est ami du

soleil. Il est son complice et son confident. Souvent le vent raconte

des histoires au soleil ; il lui dit ses voyages ; il lui raconte le monde et

les hommes, les tempêtes et les ouragans Le vent est moqueur. Il est

libre et insaisissable. C’est lui qui lave le désert et refait les dunes. Il

les sculpte en les caressant jusqu’à en faire des collines de plusieurs

tailles et formes pour que le sable ne s’ennuie pas. Le vent efface

les traces des pas des dromadaires et des hommes. Quand il est en

colère, il soulève le sable, fait reculer les voyageurs et fait plier les

chameaux. Il se déchaîne pour isoler le désert et rendre sa traversée

impossible [...]. Si le désert est magique, c’est parce qu’il produit des

. Italo Calvino, « Trois variations sur le désert », inTraverses (Le désert), Paris,

Minuit,, p..

. Jean-Yves Tadié,Le récit poétique, Paris, PUF,, p..

. Louis-René des Forêts,Voies et détours de la fiction, Montpellier, Fata Morgana,

, pp.-.

. Le site, le désert notamment, est une spatialisation du personnage.

. Le désert de Tahar Ben Jelloun, pour le pied et la main, pour l’œil, ce n’est surtout

que du sable qui se forme et se déforme. Sable finalement indemne comme l’écriture.

miroirs et des images transparentes. C’est une fabrique de rêves de

toutes les tailles, de toutes les couleurs, pour les petits et les grands,

pour touts ceux qui besoin du rêve pour vivre et oublier la misère

.

Moha le fou, inventeur d’histoires

, porte-parole de l’auteur,

cir-cule à travers un Royaume de croyants, « dans la jungle des mots et

des pierres

» qui l’habitent et parlent à son insu. Son espace,

arrière-pays des arrière-pays, désert parfait, se trouve en fait dans les légendes et

les mythes qu’il réactualise volontiers, dans les rêves et les souvenirs

de ses frères, dans leurs visages qu’il réinvente, dans leur réclusion

solitaire. Le pouvoir de Moha, sa force, est dans les mots qui

mécon-naissent la loi, instaurent le doute et effraient. Le fou-sage, sorte de

Jh’a, insaisissable, parle

aux foules attirées et piégées : il peut tout

dire, il peut tout leur dire. En effet, sa folie devient un privilège au

ser-vice de l’errance de ses discours ; vers la fin du roman, Moha affirme :

Je ne suis qu’un homme pauvre. Un homme riche de sa folie, riche de

sa parole [...]. Aujourd’hui, ils ont confisqué ma vie, mais pas ma folie.

Ma folie déborde. Elle crève la terre et sort comme l’herbe sauvage

partout, entre les pierres, dans le sable, sur l’asphalte [...] ; oui, elle

déborde et tourne en sagesse, spirale jusqu’au ciel. Elle traverse la

terre, enivre les corps, enroule les nuages, et enchante les oiseaux

Pourtant, « rien ne change, rien ne bouge

». Tout est stérile sur

cette terre marocaine, chaude et meurtrie : « La route n’existe pas

. »

En effet, à la fin de son errance, il ne lui reste que le désert intérieur,

. « La rose des eaux », inRaconte-moi la vie(conte inédit de Tahar Ben Jelloun,

illustré par Mérième Ben Jelloun), Paris, Walt Dysney-Hachette,, p.et p..

. Le Maroc est la terre des conteurs par excellence. Ben Jelloun s’inspire de leurs

traditions : « Pour un écrivain, c’est une chance d’appartenir à ce peuple et à cette

terre parce qu’ils lui fournissent de quoi alimenter son imaginaire et enrichir son

uni-vers » (« Une terre plein d’énigmes et de splendeurs », inGéo, Paris, Presses,, n

o

,

p.). Au Maroc, comme au Maghreb, l’importance de l’oralité est liée à la biographie

de Mahomet et aux origines de l’Islam. En effet, les révélations de l’archange Gabriel

au Prophète ont été directes et orales.

.Moha le fou Moha le sage, roman, Paris, Seuil,, coll. « Points Roman », n

o

,

p..

. Comme Jh’a, Moha le fou-sage ne peut être réduit au silence. Sa parole est

lyrique, prophétique et décapante.

.Moha le fou Moha le sage, cité, pp.-.

.Ibid., p..

.Ibid.

nu et silencieux. Le vrai désert. Il ne reste à Moha que la pureté des

« sables des mots

» et celle des oasis. Conteur public et Homme du

désert, il finit par disparaître mais sa parole demeure, écho du

dis-cours maghrébin toujours recommencé.

De même, dansL’écrivain public, la compagne du protagoniste,

Dans le document Poétique et imaginaire du désert (Page 195-198)

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