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CARBONE ORGANIQUE

7.3.1 S PECIFICITES DES INFLUENCES ANTHROPIQUES LOCALES

Un des objectifs annoncés dans cette thèse était d’observer l’influence que des pratiques anthropiques exercées dans un bassin versant de montagne pouvaient avoir sur les flux de matière organique à l’exutoire des tourbières. Dans un premier temps, le travail de conceptualisation a permis de cibler les paramètres les plus aptes à subir des modifications et donc à influencer les exports. Le second temps de vérification sur cas d’étude n’a toutefois pas permis d’identifier d’effets majeurs suite à la coupe forestière ou au brulis de surface. En effet les variations de quantité et de composition des exports ainsi que celles des paramètres de contrôle (niveau de nappe phréatique, débit à l’exutoire) semblent davantage corrélées aux variations climatiques observées sur les sites d’études (cf. Chapitre 3.2). Cependant, les méthodes d’analyses par comparaison temporelle utilisées dans ces travaux restent limitées en terme de données et de conditions initiales (cf. Chapitre 5.3). Dans le futur, d’autres outils expérimentaux (ex :expérience sur placette ou modélisation par analyse du signal) pourraient être employés (Dey and Mishra, 2017) pour séparer l’influence anthropique locale de la variabilité climatique sur les exports de matière organique. Cependant, ces techniques nécessitent une organisation méthodologique conséquente pour comparer plusieurs sites expérimentaux en parallèle ou obtenir un historique de mesures pré-perturbation plus dense et continu, en vue de former des modèles.

Distinguer l’influence climatique des influences anthropiques locales est une problématique récurrente des études environnementales (Arnaud et al., 2016; Pringle, 2019; Rosenzweig et al., 2008). Dans le contexte actuel des changements globaux, les résultats issus de telles études, qu’elles soient globales (Bongaarts, 2019) ou régionales (Lopez-Moreno et al., 2006; Sun et al., 2005), sont souvent attendus par les décisionnaires politiques pour déterminer leurs actions d’adaptation ou de mitigation. Pour les deux cas d’étude investis durant cette thèse, les résultats rapportés ne remettent pas en question les pratiques observées et leur influence sur les exports de matière organique à l’exutoire des tourbières. De toute évidence, le constat n’est pas similaire à l’échelle globale (cf Chapitre 6.1.3.2) : l’influence positive des activités anthropiques locales sur les exports de COD est bien mise en évidence par des flux en moyenne 30% supérieures à l’exutoire des tourbières impactées. Bien que ces évaluations ne soient pas directement comparables (temporelles dans le chapitre 5 et spatiale dans le chapitre 6), leur divergence d’appréciation sur les activités anthropiques peut avoir plusieurs explications.

7.3.1.1 I

NFLUENCE DU TYPE D

ACTIVITE

Tout d’abord les activités anthropiques pyrénéennes investies à Bernadouze et à Ech n’ont pas donné lieu à des actions de drainage, alors que de telles actions ont été mentionnées sur plus de 60 % des sites mondiaux considérés comme impactés dans la revue littéraire du chapitre 6. Les conséquences biogéochimiques diffèrent sûrement selon le type d’activité anthropique. Les activités anthropiques peuvent se cumuler au sein d’un même bassin versant qui peut être à la fois drainé, déforesté et brulé (ex : tourbière tropicale). C’est également le cas sur les sites pyrénéens étudiés surlesquels un pâturage extensif est exercé. Sans appliquer une méthodologie stricte de comparaison inter-site, il devient difficile de juger du degré d’influence d’une activité

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par rapport à une autre. De plus ces dernières peuvent avoir des effets opposés qui se neutralisent neutralisant. Au vu de la diversité des pratiques relevées à l’échelle mondiale, seule une classification binaire anthropique a pu être opérée pour concevoir l’influence humaine générale sur les flux de carbone, empêchant de réelle comparaison spatiale avec les cas d’études. A noter, la part majoritaire du drainage dans les activités anthropiques recensées pourrait expliquer l’intégration du débit (favorisé par le drainage) comme variable principale dans le modèle d’’ export de COD en milieu anthropisé au dépend de la température.

7.3.1.2 I

NFLUENCE DE L

INTENSITE DES ACTIVITES

D’autre part, ces résultats posent la question de l’intensité des activités anthropiques considérées. En effet, concernant les cas d’études pyrénéens il est bon de constater la faible intensité des pratiques, puisque la coupe ne concernait qu’un arbre sur trois à Bernadouze et le brulis fut rapide, de surface et étendu sur une aire minoritaire de la tourbière d’Ech. Au vu de l’influence positive du drainage sur les exports à l’échelle mondiale, il est à supposer que les activités anthropiques qui abaisseraient indirectement le niveau de nappe phréatique dans les tourbières pourraient avoir une influence équivalente sur les exports de matières organiques. En considérant les travaux conceptuels du chapitre 5.1, les activités exercées sur les sites pyrénéens auraient pu faire varier le niveau de nappe ainsi que le débit à l’exutoire ; cependant, leur intensité semble ne pas avoir été assez prononcée pour se révéler de manière significative dans les estimations de flux de carbone exportés.

7.3.1.3 I

NFLUENCE DES ACTIVITES PASSEES

Enfin, une difficulté demeure dans le traitement des influences anthropiques : la dimension historique. Dans le chapitre 6, les tourbières considérées comme impactées ne l’ont été que sur mention écrite. Les tourbières restantes ont donc été considérées comme non-impactée mais leur historique anthropique a pu être omis ou reste peut-être encore inconnu. Dans le cadre pyrénéen, il est reconnu que les deux tourbières étudiées font partie de bassins versants à fort historique anthropique. Les études pédoanthracologiques révèlent l’essor d’activités sylvicoles depuis plusieurs millénaires dans la forêt de Bernadouze avec une accentuation de l’abattage et du charbonnage à partir du XVe siècle (Foumou et al., 2018; Saulnier et al., 2019). De même, d’après les analyses anthracologiques de Rius et al. (2012), le site d’Ech semble avoir été l’objet de fréquents brulis depuis le néolithique ; principalement initiés par l’homme durant les trois derniers millénaires ils sont encore fréquemment menés à intervalle régulier. Ainsi, les tourbières instrumentées n’ont pas fait l’objet d’une étude de basculement entre un état non-impacté vers un état impacté mais plutôt d’une étude sur la répétition d’un impact plus ou moins régulier dans des bassins versants déjà impactés. Dans ce contexte il peut être difficile d’associer des évolutions hydrologiques et/ou biogéochimiques à une perturbation évènementielle, considérée de rupture, mais qui dans un cadre historique élargi n’est que répétitive. En prenant l’exemple de la tourbière du col d’Ech, la fréquence des évènements de feu (~2 ans) empêche la réelle définition de conditions initiales et par conséquent d’établir une comparaison pré/post brulis non perturbée. En effet, des phénomènes biogéochimiques contemporains peuvent être le résultat d’influences anthropiques ou environnementales passées, comme le mentionne Worrall et al. (2006) au sujet de l’impact annuel voire décennal de certaines sécheresses sur les flux de COD dans les tourbières britanniques.

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Cette dimension historique met toutefois en évidence la résilience des systèmes tourbeux. Malgré les actions de l’homme et les transformations paysagères résultantes, les tourbières ont continué à accumuler de la matière organique au gré des années. A terme il serait intéressant de mettre en parallèle des taux d’accumulation de matière organique issus des études de carottes de tourbe pyrénéennes avec les datations des évènements anthropiques précédemment mentionnés pour connaître leur influence a posteriori sur le bilan carbone des tourbières. Des variations d’accumulation pourraient être expliquées en partie par la modification des exports fluviaux, conceptuellement détaillés au chapitre 5.1. En continuité, des reconstructions historiques des niveaux de nappes phréatiques dans les tourbières, via l’emploi de marqueurs fossiles de végétation ou de microorganisme (Schnitchen et al., 2006; Väliranta et al., 2012) pourraient renseigner sur les évolutions hydrologiques induites par ces activités et leurs répercussions potentielles sur les exports organiques fluviaux. Néanmoins il semble nécessaire de cibler les évènements anthropiques considérés, comme les plus intenses (brulis important, coupe forestière « blanche ») pour faciliter la détection de variations historiques.

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