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II. Lorsque ce lien est remis en cause : la séparation

II.2. Séparation avec ses pairs

II.2.1 Séparation familiale

La famille ordinaire procure un environnement favorable et stable où l’enfant peut se construire et se développer sereinement. L’hospitalisation interfère cet environnement.

Durant l’hospitalisation, tout tourne autour de celle-ci et la vie sociale est mise de côté. Les journées sont rythmées par les soins apportés au bébé et par les coups de téléphone qui sont centrés sur l'état de santé du bébé. Les parents parlent d’un moment hors du temps, comme si leur vie du quotidien a été mise en pause. Cette hospitalisation vient faire rupture avec la vie habituelle de la famille. Dans le service dans lequel nous sommes, les visites sont réglementées. Seuls les parents peuvent rentrer. Les frères et sœurs et la famille proche n’y ont pas accès pour des raisons d’hygiène. L’enfant est donc isolé de tout le reste de sa famille excepté ses parents. Pourtant, cet enfant, en arrivant au monde, n’a pas qu’une histoire avec ses parents, il est aussi inscrit dans une fratrie et dans un arbre de vie, comme le dit S. Lebovici60. Bien heureusement, cette réglementation varie selon les hôpitaux. Une enquête nationale réalisée par l’association SPARADRAP61 montre la répartition des visites de façon systématique (en pourcentage) autre que celles des parents. Il y a en grande majorité, les grands- parents (75%) et la fratrie de plus de quinze ans (73%). 40% des frères et sœurs de moins de quinze ans sont admis systématiquement pour les visites, et 13% n’y sont jamais admis. L'hospitalisation peut donc être marquée par l’absence, plus ou moins transitoire, de certaines de ces figures d’attachement.

Cette séparation peut avoir lieu de manière précoce, dans ce cas, le lien entre la mère et son bébé n’est pas encore établi. Il va donc essayer tant bien que mal, de se tisser dans cet espace hospitalier. Le début de vie imaginé par les

60 P. BEN SOUSSAN, 2013

61 Enquête nationale sur la place des parents à l'hôpital, octobre 2004 :

http://www.sparadrap.org/content/download/3770/34326/version/1/file/Synt.+enquete+SPARADRAPversion+j an2009.pdf

45 parents est totalement chamboulé. L’arrivée d’un enfant n'étant pas toujours évident pour les parents, quand s'ajoute une pathologie ou un incident, cette période peut être vécue de manière traumatique. L’hospitalisation vient s'immiscer dans ces premiers instants de vie et d'échanges. La rencontre entre ces deux êtres est plus difficile. La symbiose entre la mère et son bébé est entravée par la présence de soins, des soignants….

Cette séparation précoce peut être illustrée par le cas clinique d’Aïcha. Elle est arrivée dans le service à quatre jours de vie pour une fracture de ses deux fémurs. Ces fractures ont eu lieu lors de l’accouchement du fait d’une manipulation de la sage femme. Aïcha ayant un frère jumeau, elle est sortie la seconde, dans l’urgence, la sage femme a dû agir vite et de manière plus brutale, ce qui a été l’origine de cet accident. Lorsque nous rencontrons Aïcha pour la première fois le vendredi 24 mars, le jour de son arrivée, elle est seule dans sa chambre. Les parents ne sont pas présents. Elle est allongée sur le dos, les deux jambes plâtrées à la verticale, tractées par des poids. Ses jambes qui sont normalement la zone corporelle qu’elle aurait investi plus tardivement du fait de la loi céphalo-caudale, devient la partie du corps la plus sollicitée. D’après G. Haag62, lors de l’étape de l’individuation et de la séparation, le bas du corps apparaît comme le dernier bastion d’indifférenciation constituant une zone de clivage horizontal. De plus, dans cette position, l’enroulement physiologique d'Aïcha ne peut s’installer. Ses jambes subissant une extension permanente du fait du plâtre, ne peuvent se regrouper pour permettre l’enroulement de son bassin. Ses bras sont plaqués en chandelier63 contre le matelas du fait de la pesanteur. Elle est donc figée dans cette position qui lui est imposée et qui est contraire à sa physiologie et donc à son bien être. Lorsque nous l’observons, elle est toute petite par rapport à la taille de son lit à barreaux et des poids qui lui tractent les jambes. Quand nous nous approchons elle ne peut encore qu'entrouvrir légèrement ses paupières. Une naissance ordinaire est déjà un véritable bouleversement pour le nouveau-né du fait du passage du milieu utérin liquidien où le repli fœtal domine, au milieu aérien où les sensations changent et la pesanteur s’impose. Pour surmonter cet

62 G. HAAG, S. TORDJMAN, A. DUPRAT, 1995 63 Glossaire

46 événement, le bébé doit être soutenu et enveloppé d’où l’importance de la fonction maternelle. Dans le cas d’Aïcha, en plus de l'impossibilité physique de se regrouper du fait de la position qui lui est imposée, le soutènement de la fonction maternelle semble plus compliqué. Cette séparation précoce, prive Aïcha de la contenance affective de sa maman. En effet, sa maman devant s’occuper de son frère jumeau ne peut passer qu’une ou deux heures par jour. Du fait du matériel médical, elle est dans l'impossibilité de porter sa fille et donc de lui procurer cette contenance à la fois physique et psychique dont elle a besoin. La maman d’Aïcha nous fait part à la fois de sa frustration de ne pas pouvoir porter sa fille dans ses premiers jours de vie ainsi que de sa culpabilité de ne pas pouvoir être constamment auprès de sa fille. Elle dit «je n’aurais jamais imaginé cela, une grossesse normale mais un accouchement catastrophique qui a tout chamboulé».

Ce type d’hospitalisation précoce, impacte à la fois le nouveau-né d’un point de vue psychomoteur et psycho-affectif. Il est donc essentiel de soutenir la construction du lien d’attachement au cours de l’hospitalisation précoce afin de limiter ses conséquences néfastes. Cette citation de F. Decoopman illustre bien l’impact de la séparation précoce : «cette fonction nous la possédons tous de façon plus ou moins développée mais il arrive que des incidents souvent précoces la fragilisent et il est alors nécessaire de la restaurer.». 64

Nous avons pu constater, que la présence des pères est plus rare dans le service. Le nourrisson est donc éloigné de cette autre figure d’attachement qui permet de faire tiers dans la dyade fusionnelle qui est renforcée dans le cadre de l’hospitalisation. Dans cette dyade quelle est la place du père ? Quelle place prend le père pendant l’hospitalisation ? L’hospitalisation vient-elle mettre à l'écart le père ? En effet, quand père il y a, ce dernier doit continuer ses obligations quotidiennes telles que le travail et gérer les conséquences extérieures de l’hospitalisation (garde des autres enfants…). Pourtant, des «recherches ont montré que le père et la mère sont tout autant capables l’un que l’autre de témoigner de l’affection à leurs enfants et d’être sensibles à leurs besoins. De fait,

64 F. DECOOPMAN, 2010, p. 141

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les bébés s’attachent à la fois au père et à la mère à peu près à la même époque pendant la première année de vie» cependant, «la plupart d’entre eux manifestent une préférence pour la mère dans les situations qui génèrent un stress». (M.E. Lamb, 1997)65

Dans une situation compliquée et douloureuse telle que l’hospitalisation, le père épaule donc sa femme mais a généralement peu de contact direct avec l’enfant. Le père représente un soutient psychique pour la mère et indirectement pour l’enfant hospitalisé. Durant ce stage, on a remarqué que les mères ayant le soutien du père étaient plus disponibles et plus soutenues psychiquement pour affronter cet événement pouvant être traumatique.

Parfois, les parents sont amenés à se vêtir d’une blouse stérile et d’un masque durant les soins afin de respecter les mesures d’hygiène. La figure d’attachement, par ses vêtements, s’apparente alors aux soignants. Le parent peut ainsi devenir parent soignant.

Comment l’enfant perçoit-il son parent ? Sa présence est-elle indispensable durant les soins ?