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4. résultats – présentation des trajectoires

4.2 les femmes ‘laissantes’ (artemisia, chiara, consuelo, dolores)

4.2.4 la rupture conjugale

Ce tissage, ou retissage, de liens sociaux significatifs, rapports de confiance avec les experts, les amis, la famille influe donc sur le bien-être identitaire de ces femmes, confirmant la légitimité de leurs démarches, de leur existence.

Arrive la rupture conjugale. La trajectoire semble assez linéaire : un lien conjugal pathogène lequel provoque une rupture biographique laquelle mène à user de stratégies thérapeutiques lesquelles mènent à la rupture conjugale.

Mais, justement, qu’en est-il de ce dernier maillon? La rupture conjugale émane-t-elle effectivement de ces stratégies thérapeutiques? Y a-t-il un lien entre ces stratégies thérapeutiques, ce début de confirmation de soi et de sa démarche et la rupture conjugale subséquente? Les récits de certaines de ces femmes laissent présager que oui. C’est d’ailleurs Chiara qui évoquait l’impact de la présence de son amant dans sa décision de rompre. Et c’est Dolores qui nous informait de l’importance de savoir la présence de ressources d’entraide dans sa trajectoire de rupture. On pourrait effectivement y voir un lien direct entre les stratégies thérapeutiques entreprises et la rupture conjugale subséquente. Cependant, pour d’autre femmes, le lien n’est pas aussi direct. D’autres éléments perturbateurs viennent initier la fracture, notamment des épisodes de violence psychologique. Malgré que dans quelques situations le lien soit indirect, on ne peut nier l’influence, aussi allusive soit-elle, des stratégies thérapeutiques sur la rupture conjugale.

4.2.4.1LIBÉRATION

Aussi, faut-il garder en tête que la rupture conjugale constitue en soi une stratégie thérapeutique. En effet, pour trois d’entre elles, Artemisia, Chiara, Consuelo, de franchir cette étape constitue une véritable libération. Elles ne tarissent pas d’épithètes : ‘exhilarated!’ nous dit Consuelo lorsqu’elle évoque le sentiment ressenti lors de la rupture conjugale.

Elles se libèrent mais aussi se tournent vers la suite des choses, reprendre une vie...

Après avoir quitté [X] je me sentais tellement soulagée, je me revois dans la piscine de ma sœur, seule, oh mon dieu que je me sentais légère ... c’était fait, enfin c’était fait, pis j’allais pas revenir en arrière, fait que là, je pouvais recommencer à reprendre une vie...[Chiara]

(Chiara recommence effectivement à reprendre une vie, cessant peu de temps après sa prise d’antidépresseurs et, éventuellement, emménageant avec son amant, devenu conjoint par le fait de la rupture.)

C’était si incroyable de réaliser, wow! je suis à moi, je m’appartiens, je n’ai plus de comptes à rendre, j’existe pour moi-même, tu ne peux pas imaginer ce que ça peut faire comme feeling quand ça fait 25 ans que tu es coincée quelque part et tout à coup, ce n’est pas un rêve, tu ne dépends plus du regard d’un autre, c’est extraordinaire...[Artemisia] Voilà, pour Artemisia cette étape est cependant baignée d’ambivalence : autant libération que culpabilité.

Les deux semaines qui ont suivi cela je me sentais vraiment euphorique, un état d’euphorie incroyable, une libération, je ne portais pas par terre, c’était mitigé mais j’avais beaucoup de ces moments là (...) j’avais changé d’univers et là je me suis rendu compte, mon dieu, comment se fait-il que j’ai vécu cela 25 ans? Pourquoi je ne suis pas sortie de là avant? Je ne pouvais pas comprendre, ça m’a pris des mois à me pardonner d’avoir été aussi nulle, comme si j’avais jeté ma jeunesse aux poubelles, j’avais gaspillé un quart de siècle de ma vie par ignorance.[Artemisia]

Mélange d’euphorie et d’incompréhension, le chemin à parcourir pour Artemisia reste énorme, l’entreprise de réappropriation de soi, entamée par la massothérapie, suivra son cour bien après la rupture conjugale. Nous y reviendrons sous peu.

4.2.4.2TRAUMATISME

Toutes ne vivent pas cette ‘libération’.

Hélas, d’initier la rupture conjugale pour Dolores provoque davantage de violence psychologique de la part de son conjoint. Harcèlements téléphoniques, traque, nombreuses présences à la cour, l’épreuve durera deux années. Il en a été question précédemment : angoisse, points au cœur, insomnie, choc post-traumatique, exclusion sociale sont le lot de son existence.

Celle-ci se tourne donc vers d’autres stratégies thérapeutiques, entreprenant une thérapie de ‘dévictimisation’, consultant son médecin...

J’étais trop pris par cela, j’étais toute seule pris avec mes affaires, avec mes problèmes. J’en parlais avec mes amis avec ma mère mais j’avais pas d’activités non plus, de sorties pour me distraire, c’était toujours juste cela, la cour, lui qui n’arrêtait pas, les conditions, les policiers.[Dolores]

Ainsi, va-t-elle voir son médecin sachant qu’il pourrait lui prescrire des antidépresseurs...

c’est pourquoi je voulais qu’il me donne des antidépresseurs, je n’étais plus capable par moi-même d’aller dans les magasins ou aller voir mes amis, je ne sentais pas assez bien pour y aller ... je vivais de la panique à l’intérieur de moi, de l’angoisse...moi j’attendais, il m’en avait proposé sûrement avant mais moi je voulais attendre...[Dolores]

Les quatre femmes ‘laissantes’ en viennent finalement à rompre le lien conjugal problématique. Pour la majorité d’entre elles cela constitue une libération. La libération d’un lien social pathogène. On le rappelle, on ne peut faire l’adéquation entre stratégies thérapeutiques et rupture conjugale qu’avec prudence : chez certaines le lien est direct et chez d’autre, supposé, indirect. Certes, de recevoir support de l’entourage, de l’expert, ont une incidence sur soi, ce qui a sûrement contribué à la subséquente rupture conjugale. Cependant, il est possible aussi de voir que la rupture conjugale ne constitue pas en soi la résolution de la rupture biographique liée au lien conjugal problématique. Avec elle ressortent les séquelles biographiques d’une vie antérieure. Les démarches thérapeutiques ne sont donc pas tout à fait terminées pour certaines des femmes. Ni elles ne sont terminées pour cette femme toujours en prise avec la violence psychologique de son ex-conjoint.

4.2.5LES STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES

La visée des stratégies thérapeutiques est sensiblement la même que précédemment à la rupture conjugale où on cherchait une confirmation d’existence, un soulagement et une légitimation de sa souffrance. La différence réside plutôt dans un désir prononcé d’inclusion sociale. On veut à la fois remédier à cette souffrance et ‘rejoindre le monde’, réintégrer, reprendre une vie sociale.

4.2.5.1LE TRAVAIL

Certaines des femmes persistent à travailler afin d’éviter la solitude. Artemisia nous mentionnant que suite à la rupture conjugale, elle n’avait pas prise de vacances pour ne pas rester seule.

4.2.5.2LE MÉDECIN(ET L’ANTIDÉPRESSEUR)

L’épuisement subséquent à une union de raison et de violence psychologique où on a ‘acheté une définition de [soi] pendant 25 ans’ catapulte Artemisia dans une profonde dépression. À bout, elle consulte son médecin, lequel la met en arrêt de travail et lui prescrit des antidépresseurs.

Dolores, toujours prise par la traque de son ex-conjoint, va aussi consulter son médecin. La proximité ressentie envers lui la porte à le consulter. Elle va le voir pour qu’il lui prescrive des antidépresseurs afin d’apaiser ses souffrances mais aussi de réintégrer la vie...

Ça bien été avec le Paxil. Le neuf du un 2001... anxiété, insomnie, panique descendues, fait que ça allait beaucoup mieux...aussi je pouvais fonctionner, je pouvais marcher dehors, je n’avais plus de crises de panique, je pouvais aller faire mes commissions, c’était moins pire...[Dolores]

4.2.5.3LES THÉRAPIES

On se dirige également vers divers types de thérapies. La visée? Donner sens à cette expérience et la réappropriation identitaire.

4.2.5.3.1LA PSYCHOTHÉRAPIE

On cherche toujours à comprendre le pourquoi, à donner un sens à cette expérience. Pour cette raison, on entreprend une thérapie psychologique, afin d’y trouver des clés...

Le suivi avec la psychothérapeute a aidé beaucoup parce qu’il y a des choses que je ne comprenais pas dans la relation avec lui pis je voulais comprendre, je cherche toujours à comprendre le pourquoi...[Dolores]

4.2.5.3.2LA THÉRAPIE PSYCHOCORPORELLE

Toujours dans une optique de réappropriation de soi, amorcée avant la rupture conjugale, on cherche à reprendre possession de son corps...

j’ai entrepris une thérapie psychocorporelle et pendant la première année la colère que j’ai extériorisé liée à mon vécu conjugal c’était intense...le travail psychocorporel ça peut être un travail qui est très peu verbal avec une libération des charges alors les coups de pieds, les coups de poings, les hurlements, les cris ... c’est comme si toutes tes charges émotionnelles se logent dans ta musculature (...) moi j’étais une femme qui avait l’air absolument douce et souriante, tout le monde me disait mon dieu comme tu fais parce que [X] il avait l’air pas évident et je ne réagissais pas, j’avais le sourire, j’encaissais mais ça ne veut pas dire que je n’en vivais pas de la colère donc pendant un an ça sorti et surtout la colère liée aux rapports sexuels ... d’être dépossédée de soi sexuellement, oui. C’est énorme, ça fait des ravages. [Artemisia]

Cette femme, dont l’éveil identitaire démarre par le massage, continue par la thérapie psychocorporelle cette reconstruction de soi. L’éloquence de son récit illustre l’ampleur de cette réappropriation de soi, du corps sensuel, du corps sexuel.

4.2.5.4LA SPIRITUALITÉ

Aussi, préconise-t-on les stratégies alternatives, un peu en réaction à une représentation négative de la médication mais aussi afin de rester en contact avec un corps, une identité que tranquillement on se réapproprie. De ce fait, on va alors dans une contrée lointaine pour méditer.

(...) pour moi ce n’était pas une voie de guérison les antidépresseurs, j’étais plus dans l’esprit des démarches thérapeutiques profondes [...] je suis même allée en Inde l’hiver, 1 mois. [Artemisia]

[Les antidépresseurs c’est] se geler pis ne pas prendre en charge ce qu’on est et ce qu’on vit... c’était embarquer dans le rouleau compresseur de la médication, dans une société, une culture qui produit tellement de gens dépressifs pis qu’on roule sur ce modèle culturel là pis on devient consommateurs d’antidépresseurs à vie pis la vie continue ... c’était vraiment tomber bas...[Artemisia]

la peur que ça me gèle ... je voulais rester en contact avec ce que je ressens, je ne voulais pas perdre ce lien là avec mes émotions, avec mon corps, je redevenais vivante, je reprenais possession de moi, il n’était pas question que ça disparaisse. [Artemisia]

Au travers de ces stratégies thérapeutiques, on cherche à adoucir une souffrance, à la comprendre. Il en émane aussi une volonté de (ré)intégrer le monde... Persister au travail malgré l’épuisement, reprendre contact avec son identité sensuelle, sexuelle, revoir ses amis, magasiner et, à la limite, s’adjoindre, dans une quête culturelle, à un autrui, témoignent tous, semble-t-il, d’un profond désir d’inclusion.