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La rubrique « Insécurité »

Dans le document L'insécurité en campagne électorale (Page 75-78)

Dès les prémices de la campagne, le mot insécurité est « mis en rubri-que »61, ce qui a d’abord pour conséquence de renforcer l’effet d’évidentialité sur ce qu’il désigne et sur ce à quoi il renvoie. Dans une première configuration sémiotique, le mot est placé en première partie de titres composés de deux segments62 : Segment 1 : Segment 2 (S1 : S2). On relève par exemple les titres suivants :

Insécurité : le couvre-feu n’est pas la solution (Bertrand Delanoë) (Le Monde, 02/08/01)

Insécurité : J’ai péché un peu par naïveté (Lionel Jospin, Le Monde, 05/03/02)

Insécurité : Olivier Besancenot dénonce le retour de l’extrême droite (Le Monde, 16/03/02)

Insécurité : Le ministre délégué à la ville, Jean-Louis Borloo, a annoncé la création de « SAVU », services d’aide d'urgence destinés à aider les victimes d'actes de délinquance. (Le Monde, 21/05/02)

Le Segment 1 (Insécurité, dans les titres cités), réduit à la seule men-tion d’un nom de pays ou de nomen-tion, relève du réseau des « rubriques que constitue l’infrastructure de la mise en page » (Bosredon et Tamba 1992 : 42). Plus précisément, Insécurité remplit la fonction de pseudo -rubrique* : il s’agit d’une rubrique « inventée » en fonction des

61

Je reprends cette expression à Maurice Mouillaud et Jean-François Têtu (1989 : 64). 62

Le terme de bisegmental est utilisé par Bernard Bosredon et Irène Tamba (1992) pour qualifier ce type de configuration sémiotique.

ments en cause (dévoilement des chiffres de la délinquance, actualité de la campagne électorale, etc.)63.

Une deuxième configuration sémiotique correspond justement à celle de la pseudo-rubrique ou rubrique de niveau 264 (en haut de page) à pro-prement parler :

FRANCE [RUBRIQUE]

INSÉCURITÉ [PSEUDO-RUBRIQUE]

Quelques heures après le suicide de Richard Durn, le tueur du conseil

municipal de Nanterre […] [CHAPEAU]

La tuerie de Nanterre exacerbe l’affrontement Chirac-Jospin [TITRE] (Le Monde, 30/03/02)

En quoi ces rubriques confortent-elles l’équivalence

insécuri-té/délinquance ? L’organisation en rubriques livre une « grille sémantique

dont les cases [sont] remplies par les événements du jour » (Véron 1981 : 83), et les rubriques sont autant de références « selon lesquelles les contenus peuvent se distribuer ; ces références [n’existant] que dans la mesure où le journal lui-même les institue, les constitue comme réfé-rences » (Mouillaud et Têtu 1989 : 64). Les rubriques structurent ainsi l’information en thématiques et classes d’événements.

En France, l’actualité suppose la rubrique « Délinquance » qui inter-vient comme une politisation du fait divers. Les quatre titres cités ci-dessus classent des commentaires et des prises de positions d’hommes politiques dans une thématique « insécurité ». Certains éléments du titre ou le corps même de l’article permettent en fait généralement de recontextualiser ces propos par rapport au sujet politisé et médiatisé de la délinquance :

Insécurité : le couvre-feu n’est pas la solution (Bertrand Delanoë) [TITRE] FAUT-IL instaurer un couvre-feu estival dans certains quartiers de Paris ? Après la décision rendue récemment par le Conseil d’État au sujet d’Orléans, la question est posée. [...] Le contexte d’abord. Se trouve-t-on aujourd’hui, à Paris, dans une situation à ce point inédite qu’elle justifie-rait d’évidence une telle mesure ? La réponse est non. Les chiffres de la délinquance parisienne révèlent 295 655 faits enregistrés en 2000, soit

63 Voir aussi É. Véron (1981).

une hausse de 1,7 % par rapport à l’année précédente. [ARTICLE] (Le Monde, 02/08/01)

Insécurité : J’ai péché un peu par naïveté [TITRE]

Sécurité. L’insécurité a progressé pendant ces cinq années. C’est une ten-dance qui avait commencé avant nous, mais enfin nous ne l’avons pas fait reculer. […] Il est clair que la sécurité pour moi est un défi prioritaire. L’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants a déjà été modifiée dans le passé et elle le sera encore. Nous envisageons des structures fer-mées pour les jeunes qui ont des problèmes de violence. [ARTICLE] (Le Monde, 02/03/02)

Insécurité : Olivier Besancenot dénonce le retour de l’extrême droite [TITRE]

Olivier Besancenot, candidat de la ligue communiste révolutionnaire (LCR), a estimé, mercredi 20 mars sur Europe 1, que « l’extrême droite est en train de faire un retour en force, parce qu’il y a une dérive sécuri-taire ». « Du coup, a-t-il ajouté, Le Pen n’a pratiquement plus un mot à dire pour rafler la mise politique. » [ARTICLE] (Le Monde, 21/03/02) Insécurité : Le ministre délégué à la ville, Jean-Louis Borloo, a annoncé la création de « SAVU », services d’aide d'urgence destinés à aider les victimes d’actes de délinquance. [TITRE] (Le Monde, 21/05/02)

Dans la pseudo-rubrique citée plus haut (page 74), l’association

insé-curité/délinquance semble un peu moins évidente. La pseudo-rubrique

Insécurité est créée à la fin du traitement médiatique du fait divers « La Tuerie de Nanterre ». Plus précisément, elle apparaît au moment où cet événement devient une affaire politico-médiatique : après avoir a été rangé dans la catégorie « insécurité » par certains hommes politiques (Bruno Mégret, Jacques Chirac et juste au moment où débute une polé-mique sur le suicide du meurtrier Richard Durn et sur la défaillance du ministère de l’Intérieur qui n’a pu empêcher ce suicide. Au début du trai-tement de l’événement, c’est pourtant la section* « Fait divers » qui est utilisée :

FRANCE [RUBRIQUE]

FAITS DIVERS [SECTION]

Avant de tuer huit personnes à la fin du conseil municipal […] [C HA-PEAU]

Richard Durn affirmait dans trois lettres vouloir tuer des gens (TITRE) (Le Monde, 29/03/02)

De plus, si dans le discours du Monde le lien est fait entre cet événe-ment et la thématique de l’insécurité comme thématique qui renvoie au sujet de la délinquance, c’est dans un acte de dénégation, comme en

té-moigne cet extrait de l’éditorial du quotidien publié la veille de l’apparition de la pseudo-rubrique :

Le chef de l’État [Jacques Chirac] n’a pas hésité à déclarer, au soir de la fusillade, que « l’insécurité, ça va de l’insécurité ordinaire au drame que nous avons connu cette nuit à Nanterre ». On n’ose attribuer cette décla-ration malheureuse à un lapsus, comme on l’a fait pour plusieurs propos discutables de Lionel Jospin, mais elle constitue assurément une faute. Une faute intellectuelle d’abord, car il n’y a pas grand-chose de commun entre un acte de folie meurtrière et la délinquance ordinaire. Une faute morale ensuite, car il y a quelque indécence à faire entrer un crime aussi particulier dans un argumentaire de campagne. (Le Monde, 29/03/02) La rubrique éphémère « Insécurité » naît de la politisation d’un fait divers et de la tentative – réussie – de certains discours à imposer à tout prix dans le débat politique la thématique de l’insécurité, considérée dans sa relation au phénomène de la délinquance. Ainsi l’événement « Tuerie de Nanterre » appelle-t-il sous cette rubrique plusieurs articles qui traitent de l’affrontement des candidats Chirac et Jospin sur le thème de l’insécurité. Y sont cités des dires antérieurs qui abordent la lutte contre la délinquance et la violence et qui nouent la relation d’équivalence

insé-curité/délinquance. Dans un certain nombre d’énoncés, la défaillance du

gouvernement de Jospin en matière de sécurité intérieure est pointée du doigt par les politiques dont les propos sont rapportés… comme par le journal lui-même qui prend position65 mais se trouve en quelque sorte piégé par les mots du débat. L’émergence de cette rubrique peut être en-fin vue comme le signe de l’évidement sémantique et notionnel et, en somme, de la déproblématisation que subit « l’insécurité » dans son trajet médiatique.

Dans le document L'insécurité en campagne électorale (Page 75-78)