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Les risques juridiques et fiscaux encourus par le dirigeant social

1. Sur le plan du droit des sociétés

Plusieurs textes du code de commerce prévoient des interdictions pénalement sanctionnées qui visent à garantir le patrimoine d’une société et ainsi protéger les intérêts des créanciers.

La logique sociétaire moderne se fonde en effet sur le principe de la responsabilité limitée aux apports des associés. Les créanciers n’ont alors de gage que ceux de la société elle-même, qu’il convient donc de préserver de la dilapidation qui pourrait être réalisée par l’associé qui en ferait un usage personnel. Le droit des sociétés édicte donc des limites, des obligations auxquelles le dirigeant social doit se conformer pour éviter que le patrimoine de la société ne disparaisse.

L’opération de LBO, lorsqu’elle est uniquement motivée par des considérations financières peut entrer en contradiction totale avec les objectifs et les finalités de la construction sociétaire. Montage de reprise à vocation financière, le LBO a pour objectif de financer partiellement ou totalement la prise de contrôle de la cible au moyen de fonds provenant directement de celle-ci. Mais cette ingénierie financière débouche naturellement sur un endettement très lourd de la cible qui la fragilise et obère sa compétitivité future.

On comprend alors naturellement que les deux logiques peuvent directement entrer en conflit dès lors que le LBO, n’est plus seulement financé par des dividendes (qui sont du bénéfice distribué) mais lorsqu’il entame la substance même de la société cible.

C’est ce conflit permanent entre les deux mouvements qu’illustrent les risques qui pèsent sur le dirigeant social qui est devenu actionnaire d’un holding de rachat.

Etudions précisément les différentes dispositions en cause :

 Le risque de violation de l’article L225-116 du code de commerce

Aux termes de l’article L. 225-216 du Code de commerce, « une société ne peut avancer

des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté, en vue de la souscription ou de l’acquisition de ses propres actions par un tiers. Les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux opérations courantes des entreprises de crédit, ni aux opérations effectuées en vue de l’acquisition par les salariés d’actions de la société ou de l’une de ses filiales ».

La violation de cet article est sanctionnée non seulement sur le plan pénal, par une amende de 9 000 euros44à l’encontre des dirigeants de la société cible, mais également par la nullité de la fusion du fait de la violation d’une disposition impérative de la loi45.

Se pose pourtant la question de savoir si ce texte s’applique à notre cas d’espèce : lorsqu’une cible est rachetée par voie d’endettement par le biais d’un holding d’acquisition, est-ce que l’opération contrevient à la prohibition qu’à une société de financer l’acquisition de ses propres titres ? Notre dirigeant social pourrait-il être condamné ?

A ce sujet, les avis divergent : Certains auteurs sont réservés quant à la validité d’un montage de LBO, au regard de l’article L225-216, en particulier lorsque est décidée une fusion de la cible et du holding d’acquisition. En effet, « si des garanties sont consenties

après la fusion et qu’au surplus cette fusion intervient immédiatement après la création de la holding ou dans un délai très court, il n’est pas raisonnable de croire qu’un juge éventuellement saisi accepterait d’ignorer le caractère artificiel du montage pour ne pas remettre en cause l’opération pour fraude46».

44

L242-23 du Code de commerce sur renvoi de l’article L.242-24

45

L235-1 du Code de commerce

46

Selon ces mêmes auteurs, même si aucune garantie n’est accordée postérieurement à la fusion, le montage aboutit, par un procédé indirect, au même résultat que ce que le droit interdit.

Cependant, d’autres auteurs47, s’opposent à l’application du texte dans ce type d’opération : Pour eux, l’article 225-216 ne viserait que les prêts, avances et garanties… et non l’opération de fusion. Or la fusion est réalisée sans esprit de retour, sans espérance de restitution et ne rentrerait donc pas dans le champ d’application du texte. Ensuite, l’argument tiré du caractère rapide de la fusion (rapidité qui rendrait illégale l’opération), ne repose sur aucune disposition du Code de commerce. Et, pour A. Viandier, l’enjeu

« n’est pas une question de calendrier mais une question de principe : l’article 217-948 n’est pas applicable en cas de fusion et il importe peu que la fusion suive immédiatement ou de quelques mois l’acquisitions des titres49».

C’est semble-t-il l’orientation suivie par la Cour de cassation. En effet, dans un arrêt du 15 novembre 199450, la chambre commerciale a jugé que l’engagement de remboursement pris envers la banque prêteuse par la holding d’acquisition, sur des fonds provenant de la « distribution de réserves non obligatoires et de dividendes » de la société cible, « n’était pas irrégulière au regard de l’article 217-9 », la holding ne pouvant engager d’elle même les biens de la société cible.

Il s’agit cependant, pour éviter tout risque de s’attacher à faire primer le « caractère réel

sur le caractère artificiel de la fusion51» : ainsi, par exemple, la constitution, juste après la fusion d’une garantie sur certains actifs de la cible en vue de garantir l’emprunt contracté par l’ex-holding ou bien la vente de certains actifs de l’ex-cible dans le même but, nécessitera la plus grande méfiance, tant juridique que fiscale.

Mais cette question renvoie plus largement à celle de la question de l’abus de bien social dans le montage.

47

Viandier A., L’article 217-9 et les rachats d’entreprises., JCP éd. E 1990, II, n°15821. LE NABASQUE H., A propos de l’article 217-9 de la loi de 24 juillet 1966, JCP éd. E 1992, I, p. 17

48

Devenu L225-216

49

Viandier A., précité.

50

Cass. Com., 15 novembre 1994, n°2073, Petite C/Caisse centrale des banques populaires, RJDA 2/1995, p. 137 à 139.

51

 L’abus de bien social

Le législateur sanctionne pénalement l’abus de biens ou du crédit52. Cette notion désigne le fait pour les dirigeants sociaux d’utiliser, de mauvaise foi, les biens et le crédit de la société, contrairement à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. L’abus de bien social est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 euros53.

Ce risque apparaît naturellement aux repreneurs d’une entreprise, qui y exercent parallèlement des fonctions d’administration ou de direction. En effet, dans une opération de reprise par le biais d’un holding, tout transfert indu de la propriété des actifs de la société cible vers le holding est susceptible de constituer une forme d’abus de bien social dès lors que le dirigeant de la cible possède une participation dans le holding. Bien évidemment, il convient de tempérer ces propos au regard de la jurisprudence dite Rozenblum, de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui, le 4 février 198554a posé un certain nombre de critères permettant d’appréhender avec réalisme cette question au sein des groupes de sociétés. Aux termes de cette jurisprudence, certaines conditions doivent être scrupuleusement respectées aux fins d’éviter l’incrimination pénale :

- les deux sociétés doivent appartenir au même groupe

- l’opération doit avoir été dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour le groupe en son entier

- le concours financier ne doit pas être dépourvu de contrepartie pour la société qui en supporte la charge

Cependant, il apparaît clairement que ces conditions sont difficiles à réunir si c’est la société elle-même qui a accordé un prêt pour que le dirigeant finance sa participation. Parallèlement, d’aucuns critiquent l’aspect fictif du groupe ainsi crée : selon J.P. Bertel55, « même si juridiquement on est en présence d’une mère et d’une fille, le groupe (…) est

d’autant plus artificiel qu’à l’issue du remboursement des emprunts, il n’est pas rare, 52

L242-6 alinéa 3 du code de commerce pour les SA, L241-3 pour les SARL

53

L242-6 alinéa 1 du code de commerce

54

D1985 p478

55

Bertrel, Acquisitions de contrôle et « vampirisme financier ». Droit et patrimoine, janvier 1993, p. 52 et suiv.

dans un tel montage, que la holding et la société reprise fusionnent ». D’ailleurs, la Cour

de cassation a, à plusieurs reprises, refusé d’admettre l’existence d’un groupe pouvant justifier des avances de trésorerie lorsque différentes sociétés en cause n’étaient liées entre elles que par des jeux d’écritures et qu’il n’existait aucune politique décidée en conseil d’administration ou en assemblée générale56.

Les dangers d’infractions sont donc élevés. Certains auteurs ont avancé un argument pour faire obstacle à l’incrimination. Selon eux, l’infraction ne sanctionne, que les faits commis par les dirigeants de droit ou de fait57. Or, la décision portant éventuellement atteinte aux biens sociaux d’une des sociétés n’est pas une décision prise par les dirigeants seuls, mais par les actionnaires, les dirigeants votant en leur qualité d’actionnaires. Seule l’exécution de cette décision incombe aux dirigeants.

Pourtant, la jurisprudence considère au contraire que les dirigeants peuvent parfaitement être poursuivis ou condamnés sur ce fondement ou sur celui, plus général de l’abus de pouvoir58.

A cet égard, l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 10 juillet 199559 dans l’affaire Delattre-Vivier est particulièrement éclairant et permet de délimiter les comportements délictueux : dans cette affaire, une société holding acquiert la quasi-totalité des actions de la société Delattre Vivier. Ce holding est entièrement détenu par un homme, qui en est également président directeur général. Alors que le prêt contracté auprès de l’établissement bancaire s’élève à 30 millions de francs, la cible avance 60 millions de francs pour l’achat de ses actions par le holding. Le conseil d’administration du holding prend ensuite la décision de fusionner les deux entités. Par l’effet de la fusion, la créance de la cible sur le holding est compensée avec la dette de la seconde sur la première. Les juges du fonds considère cette fusion comme déséquilibrée et condamne le président directeur général pour abus de biens social et abus de pouvoir, à quatre ans d’emprisonnement (dont 18 mois fermes) et à 2,5 millions de francs d’amende. En l’espèce, les tempéraments de la jurisprudence Rozenblum ne pouvait jouer : un expert judiciaire ayant considéré que les « sacrifices » consentis par la cible n’avaient pas

56

Cass. Crim. 23 avril 1991, RJDA 7/91, n°602

57

L245-16 du code de commerce

58

Article 437-4 du code de commerce

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été faits dans l’intérêt du groupe mais seulement pour permettre au holding d’acquérir les actions. Toujours selon l’expert, ces avances étaient dépourvues de contrepartie (en particulier le taux d’intérêt prévu était inférieur à celui du taux de base bancaire).

La contrainte pénale n’est donc pas seulement une hypothèse d’école mais doit constamment être intégrée par les dirigeants dans leurs schémas de reprise aux fins de limiter les risques de l’opération.

Une partie de la doctrine60 invite donc à distinguer deux situations dans lesquelles l’élément intentionnel de l’infraction d’abus de bien social sera plus ou moins facilement rapporté :

1ère situation : la société cible distribue l’intégralité de ses bénéfices, en dividendes et permet ainsi au holding de rembourser la totalité de l’emprunt. L’élément matériel est alors rapporté, mais l’élément intentionnel de l’infraction est moins évident. En effet, en distribuant l’intégralité du résultat, les dirigeants n’ont fait qu’user de leur pouvoir légal de gestion.

2èmesituation en revanche : là, les dirigeants, pour dégager des liquidités supplémentaires, vendent certains actifs de la société cible. Là, l’élément intentionnel est lui aussi rapporté.

Pourtant cette casuistique n’est pas encore suffisante pour rassurer l’intégralité des promoteurs de montages LBO qui militent pour l’introduction en droit français d’un véritable « guide » sur le modèle de la procédure de « white whash61» prévue par le droit anglais. Cette procédure est un « safe harbor62» au sens du droit américain, c’est-à-dire une méthode, qui si elle est respectée, évite à ses utilisateurs toute remise en cause civile ou pénale de leur montage.

A cet effet, la procédure de white whash intervient comme exception à la section 151 du « Companies Act » de 1985, qui interdit à toute société du Royaume Uni ou à toute filiale de celle-ci d’utiliser ses actifs pour financer l’achat de ses propres actions. Cette interdiction, au même titre que l’abus de bien social de droit français vise à éviter tout

60

« LBO : utilisation de l’effet de levier juridique et financier lors d’une acquisition » Bulletin Joly mai 1990 n°5 p415 §24

61

« Financial Assistance and Whitewash » an overview for lenders January 2006 Fiel Fisher Waterhouse Ed. The European Legal Alliance

62

montage qui conduirait une société bénéficiaire à s’appauvrir au détriment de ses créanciers. Ce texte pose donc de sérieuses difficultés aux promoteurs de LBO, dans la mesure où il est rédigé très largement, et est assorti de sanctions sévères (amende et peines de prison sont ainsi prévues, sans compter la nullité de l’acte litigieux, qui peut entraîner le remboursement des sommes avancées pour l’achat des actions et donc conduire à des situations désastreuses).

C’est dans ces conditions qu’intervient la procédure de « white whash » qui donne une liste précise de situations dans lesquelles l’assistance financière entre les deux sociétés sera valide.

Ses conditions d’applications sont relativement strictes : ouvertes aux seules sociétés privées, elle valide les pratiques dans lesquelles la société cible ne s’appauvrit pas mais distribue des excédents bénéficiaires (dividendes, réserves distribuables). Elle impose un rapport rédigé par les commissaires aux comptes de la société cible ainsi qu’une déclaration légale effectuée par les dirigeants sociaux de la cible et de la société financée. La décision doit être approuvée par les actionnaires existants réunis en assemblée. L’assistance financière doit alors intervenir dans les 2 mois de la décision des actionnaires.

Si toutes ces conditions sont remplies, la convention d’assistance financière est alors validée et ne peut plus être remise en cause. Bien évidemment, cette procédure de sécurité se fonde sur une tradition juridique encline à utiliser de tels outils. Gage de sécurité juridique, elle a le mérite de distinguer clairement les situations problématiques et ainsi de donner une grille de lecture efficace permettant de baliser les pratiques valides financièrement et juridiquement. D’aucuns militent donc pour son introduction dans notre droit aux fins de favoriser encore plus les montages financiers dont les risques légaux peuvent parfois décourager. D’autant plus que si certains risques juridiques existent, d’autres risques fiscaux peuvent également apparaître dans le cas spécifique des opérations de fusion de la cible et du holding.

La fusion de la société cible et du holding d’acquisition permet, par l’effet de la confusion de patrimoines, d’atténuer, voire d’éluder, la charge fiscale qu’aurait dû normalement supporter la société cible. D’une part, elle permet d’éviter les contraintes de l’intégration fiscale qui impose un seuil de détention de 95% des titres de la cible, mais surtout, elle permet l’imputation des charges financières de la holding sur les bénéfices de la cible et procure ainsi une optimisation fiscale. Elle permet également de contourner la difficulté liée à l’application, dans certains cas, de l’article 223-B alinéa 7 du CGI (« l’amendement Charasse ») qui limite la déductibilité des charges d’emprunts lorsqu’une société du groupe fiscal a acheté, aux personnes qui contrôlent directement ou indirectement le groupe, les titres d’une société qui devient membre du groupe.

C’est pourquoi, elle est souvent envisagée plus ou moins longtemps après le rachat de la cible. Pourtant, pour le dirigeant de la cible, cette opération est source de risques.*

Dans une importante instruction en date du 3 août 2000, l’administration a précisé que « l’acquisition d’une société […] suivie de sa fusion avec la société qui l’acquiert […]

peut avoir pour but exclusif d’imputer fiscalement les frais d’acquisition sur les bénéfices acquis ou constituer pour la société acquise puis fusionnée une opération déséquilibrée, sans contrepartie suffisante pour elle. Ces opérations peuvent être remises en cause, selon le cas, conformément à la procédure de répression d’abus de droit ou sur le fondement de l’acte anormal de gestion. »

A cet égard, l’administration précise que la possibilité pour les deux sociétés d’opter pour le régime de l’intégration fiscale est sans incidence au motif que l’option pour un tel régime ne saurait modifier les intérêts patrimoniaux respectifs des deux entités et que la fusion manifeste la volonté des parties de se fixer en dehors du régime légal de l’intégration. En conséquence, il convient de raisonner comme si les sociétés étaient autonomes fiscalement.

Le risque fiscal de ce type d’opération est donc important et le dirigeant social de la cible doit être conscient des risques encourus, qui peuvent être de nature à remettre en cause sa gestion et plus généralement la viabilité économique du montage envisagé:

La fusion fragilise la structure financière de la société cible et obère ses capacités d’investissement. Ces inconvénients ne sont contrebalancés par aucun avantage : en effet,

le holding d’acquisition ne possède généralement aucun actif, et n’exerce aucune activité propre. L’administration, forte de cet état de faits pourrait rejeter la déduction des charges d’emprunt de la nouvelle entité fusionnée. Plus encore, à supposer que la conformité de la fusion à l’intérêt social ne soit pas contesté, la fusion pourrait encore être remise en cause fiscalement sur le fondement de la jurisprudence du Conseil d’Etat, dite Loiseau63aux termes de laquelle un acte qui n’a pas été effectué dans un but étranger à l’intérêt de l’entreprise peut néanmoins être considéré comme anormal s’il lui fait courir un risque excessif.

Aux termes de cette analyse, il apparaît donc que l’investissement du dirigeant social, s’il est souvent lucratif, n’est pas dénué de risques. Il convient maintenant de mettre en lumière les conflits d’intérêts naissants, auxquels il doit faire face.

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