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5. Modèles conceptuels de TMS

5.1. Revue de la littérature

Les premiers modèles conceptuels de TMS étaient des modèles biomédicaux qui reposent principalement sur les acquis de la neurobiologie et de la biomécanique des tissus mous (Armstrong et al. 1993; Hagberg et al. 1995; Kumar 2001). Selon ces modèles, les TMS sont consécutifs à une sollicitation biomécanique, c’est-à-dire que sans sollicitation biomécanique, il n’y a pas de TMS (Aptel et Vézina 2008). Cependant, ces modèles se sont avérés insuffisants pour expliquer le risque de TMS dans de nombreuses situations de travail, par exemple celles exigeant une charge physique de travail modérée ou faible (employés de bureau, etc.). Les facteurs psychosociaux ont été ensuite intégrés dans le cadre d’un modèle biopsychosocial. Ce modèle, développé par Engel, propose une conceptualisation de la maladie en intégrant des aspects psychologiques et sociaux. Enfin, les facteurs organisationnels ont été considérés. Alors que le modèle biomédical porte sur des facteurs de risque d’incidence des TMS, le modèle biopsychosocial porte principalement sur les facteurs de chronicité de TMS.

Comme l’a montré la partie précédente, les facteurs organisationnels sont peu étudiés dans la littérature épidémiologique, ainsi cette partie s’intéressa particulièrement à ces facteurs. Les modèles présentés sont basés sur des données biomédicales, biomécaniques, épidémiologiques et ergonomiques. Neuf modèles conceptuels expliquant les mécanismes de survenue des TMS ont été retenus, ils font tous apparaître la notion de facteurs organisationnels : « variables de nature organisationnelle », « work organization », « organizational factors » et « organisation du travail ». Pour faciliter la comparaison entre les modèles, un code couleur a été utilisé : vert pour les facteurs organisationnels, violet pour les facteurs psychosociaux, bleu pour les facteurs physiques et rouge pour les TMS.

Bodin Julie | Déterminants professionnels des troubles musculo-squelettiques de l’épaule : intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels 52 Le modèle proposé par Hagberg et al. comprend quatre catégories de facteurs (Figure 6) : les caractéristiques du milieu de travail, les facteurs de risque généraux, la physiopathologie et les résultantes (Hagberg et al. 1995). Les facteurs externes n’ont pas été inclus par les auteurs bien qu’ils soient importants selon eux. Ce modèle suppose que tous les éléments sont liés entre eux et créent des réactions en chaîne, cela suppose qu’agir sur un élément a des effets sur d’autres éléments. Les caractéristiques du milieu de travail (supervision, rotation des tâches, etc.) sont les facteurs qui constituent l’objet principal de l’ergonome. Les facteurs de risque généraux (charge statique, charge musculo-squelettique, etc.) sont les facteurs considérés comme étant associés aux TMS et ils génèrent directement des phénomènes physiopathologiques. Les facteurs organisationnels et psychosociaux sont regroupés en une seule ellipse, les auteurs précisent que l’organisation du travail a des effets par exemple sur la charge mécanique, mais aussi sur les mécanismes du stress.

Figure 6 : Reproduction du modèle de Hagberg et al. 1995

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Sauter et Swanson ont proposé un modèle applicable aux employés de bureaux (Figure 7) (Sauter et Swanson

1996). Ce modèle fait l’hypothèse que la technologie (les TIC, technologies de l’information et de la communication) a un effet direct sur l’organisation du travail et les exigences physiques. Ce modèle suggère que l’organisation du travail a d’une part un effet direct sur les exigences physiques et la « charge psychologique » (psychological strain) et, d’autre part, un effet indirect sur la « charge biomécanique » (biomechanical strain) via les exigences physiques et la charge psychologique. L’effet de la charge biomécanique sur les TMS serait médié par une composante cognitive (rectangle gris). Ce modèle suggère aussi que la charge psychosociale modérerait la relation entre la charge biomécanique et l’apparition de symptômes (flèche fine). Enfin, il y aurait un effet rétroactif des TMS sur la charge psychologique et l’organisation du travail.

Figure 7 : Reproduction du modèle de Sauter et Swanson 1996

Dans le modèle proposé par Carayon et al., l’organisation du travail définit l’exposition aux facteurs de risque physiques et psychosociaux (Figure 8) (Carayon et al. 1999). Ces derniers peuvent mener à des réactions de stress, qui si elles sont prolongées, peuvent générer des TMS. Le stress est donc un médiateur dans la relation entre les facteurs professionnels et les TMS. Le modèle émet aussi l’hypothèse d’un effet direct des facteurs de risque physiques sur les évènements de santé indépendamment des réactions de stress. De plus, les caractéristiques individuelles peuvent influencer les trois éléments de ce modèle et modérer les relations entre ces trois éléments. Enfin, des boucles de rétroactions montrent que les TMS peuvent influencer l’organisation du travail et les réactions de stress.

Bodin Julie | Déterminants professionnels des troubles musculo-squelettiques de l’épaule : intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels 54 Le modèle proposé par un consensus d’experts réunis par le National research council (NRC) inclut des interrelations entre le lieu de travail et l’individu (Figure 9) (National research council 2001). Dans le niveau « lieu de travail », les facteurs organisationnels interagissent avec les charges externes et le contexte social et ces trois éléments agissent directement sur la charge biomécanique et les événements indésirables tels que la douleur et le handicap, du niveau « individu ». Au niveau « individu », la charge biomécanique, les tolérances internes (sollicitation mécanique et fatigue) et les événements indésirables (douleur et incapacité) interagissent entre eux. Enfin, les facteurs personnels exercent un effet sur la charge biomécanique, les tolérances internes et les événements indésirables.

Bodin Julie | Déterminants professionnels des troubles musculo-squelettiques de l’épaule : intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels 55 Le modèle de Bellemare et al. montre que les facteurs de risque de TMS (postures, effort, répétitivité, facteurs psychosociaux, etc.) peuvent être engendrés par des déterminants techniques, organisationnels et humains (Figure 10) (Bellemare et al. 2002). Les auteurs donnent l’exemple d’un opérateur contraint de tenir une posture pénible (facteur de risque), cette posture peut être due « à l’aménagement inadéquat de son poste de travail (déterminant technique), amplifié par les contraintes de temps (déterminant organisationnel). »

Bodin Julie | Déterminants professionnels des troubles musculo-squelettiques de l’épaule : intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels 56 A partir de plusieurs modèles conceptuels présentés dans sa revue de la littérature, Karsh a proposé son propre modèle (Figure 11) en incluant le contexte social, l’organisation du travail, l’environnement de travail, les exigences psychologiques, les exigences physiques, les facteurs personnels, la « charge » psychologique, la « charge » physique, les changements psychologiques, la « détection » des symptômes, la « labellisation » des symptômes (le fait de mettre un nom sur les symptômes) et les TMS (Karsh 2006). Dans ce modèle, l’organisation du travail détermine directement les facteurs de risque physiques ③ et psychosociaux ④ et ces derniers interagissent entre eux ⑦. Le contexte social et culturel détermine l’organisation du travail, comme proposé par le modèle du NIOSH ① (Figure 5 p 22).

Figure 11 : Reproduction du modèle de Karsh, 2006

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MacDonald et al. ont proposé un modèle centré sur l’organisation du travail (Figure 12) (MacDonald et al. 2008).

Celui-ci suppose que l’organisation du travail détermine les risques professionnels (chimiques, biologiques, ergonomiques et psychosociaux, flèche A) et ces derniers ont un effet sur la santé (flèche B). L’organisation du travail agirait directement sur la santé du travailleur (flèche C). Les auteurs donnent l’exemple de liens entre le travail avec des horaires longs ou irréguliers et l’infarctus du myocarde ou le diabète, mais cette association serait médiée par des comportements de santé (tabac, alcool, etc.). Cette relation (flèche C) apparait donc comme indirecte. Le modèle suppose également que l’organisation du travail peut modifier la relation entre les risques professionnels et la santé, en altérant la sensibilité ou la capacité de récupération du travailleur (flèche D).

Figure 12 : Reproduction du modèle de MacDonald et al. 2008

Dans le modèle proposé par Punnett et al. (Figure 13), les facteurs organisationnels (défini comme des facteurs en amont), auraient un effet sur les facteurs physiques et psychosociaux et ces derniers pourraient déterminer certains comportements de santé (tabac, sport, etc.) (Punnett et al. 2009). En effet, il existe une littérature grandissante pour démontrer cette relation, par exemple, il est cité des associations entre les faibles récompenses au travail et la consommation de tabac ou d’alcool. Des relations directes et indirectes (via les comportements de santé) entre les facteurs professionnels et les TMS sont supposées dans ce modèle.

Bodin Julie | Déterminants professionnels des troubles musculo-squelettiques de l’épaule : intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels 58 Le modèle proposé par Franchi (Figure 14) liste plusieurs déterminants susceptibles d’être observés dans une situation de travail à risque de TMS (Aptel et al. 2000), les facteurs psychosociaux et biomécaniques sont des facteurs de risque proximaux de TMS qui interagissent entre eux. Ces facteurs proximaux sont déterminés par des facteurs distaux qui sont l’organisation de la production, la dépendance organisationnelle, la conception d’équipement, l’évolution de carrière, etc.

Figure 14 : Reproduction du modèle organisationnel des situations génératrices de TMS (Aptel et al. 2000), d’après Franchi, 1997

Bodin Julie | Déterminants professionnels des troubles musculo-squelettiques de l’épaule : intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels 59 Le modèle proposé par Stock et al. (Figure 15) est un modèle capitalisant les acquis des études épidémiologiques et ergonomiques sur les TMS (Stock et al. 2013). Il détaille plus précisément que les modèles présentés précédemment l’environnement organisationnel : organisation du travail, organisation de la production, organisation de la formation, organisation de la santé au travail, dispositif technique, culture de l’entreprise et structures et hiérarchies. Dans ce modèle, l’environnement organisationnel a un effet sur les contraintes physiques. Les auteurs citent plusieurs exemples pour expliquer cette relation : des changements dans l’organisation du travail (horaires, rémunération, gestion des absences), dans la production de biens/services (processus à la chaîne), dans l’organisation de la formation (durée de la formation et du statut d’apprenti) et des dispositifs techniques (aménagement des postes et moyens de protection) peuvent avoir un impact sur la charge physique du travail. L’environnement organisationnel a également un effet sur les facteurs psychosociaux au travail. Ces derniers influenceraient l’astreinte psychologique qui elle-même influencerait la détresse psychologique. La détresse psychologique est donc un médiateur dans la relation entre les facteurs psychosociaux et les TMS. De plus, les exigences quantitatives et temporelles, la latitude au travail, le soutien social au travail et les contraintes relationnelles ont des effets sur les contraintes physiques. Les contraintes physiques et l’astreinte psychologique peuvent entraîner des sollicitations des muscles et des tendons et ainsi engendrer des TMS. La relation entre les TMS et la détresse psychologique est supposée bidirectionnelle. Enfin, le modèle intègre les facteurs personnels (FP) dans plusieurs relations pouvant représenter des facteurs de susceptibilité individuelle ou des ressources pour faire face aux contraintes professionnelles.

Figure 15 : Reproduction du modèle de Stock et al. 2013

Bodin Julie | Déterminants professionnels des troubles musculo-squelettiques de l’épaule : intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels 60 Le modèle proposé par Roquelaure (Figure 16) reprend les différents niveaux d’organisation du travail défini par le NIOSH (Figure 5 p 22) : le contexte externe (economic environment et social and politic environments), le contexte organisationnel (organization & management practices) et le contexte du travail (work organization) (Roquelaure 2015, 2016, 2017a). Ce modèle met en avant l’impact des choix sociétaux et politiques sur le risque de TMS-MS dans les entreprises. Selon ce modèle, l’organisation du travail et les pratiques managériales déterminent les conditions de réalisation du travail et ainsi les expositions biomécaniques et psychosociales auxquelles doivent s’adapter les travailleurs. Il intègre les facteurs personnels pouvant représenter des facteurs de susceptibilité ou des ressources dont disposent les individus pour faire face aux contraintes des situations de travail. Le stress favorise la survenue de TMS en perturbant l’activation musculaire, il stimule les mécanismes de l’inflammation et de la douleur, diminue les capacités de réparation tissulaire et favorise la chronicité des douleurs.

Figure 16 : Reproduction du modèle de Roquelaure 2016