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Revendication de la liberté

Chapitre I: La négritude dans l’espace luso-africain

A- L’expression de la Négritude dans les littératures d’Afrique

3- Revendication de la liberté

Avant d’entreprendre le travail d’analyse de quelques poèmes, il est essentiel de définir d’abord la notion de liberté. Dans un second temps, il convient de mettre en lumière les véritables causes de l’urgence d’agiter la question de la liberté du colonisé chez les poètes d’Afrique lusophone. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre les écrits poétiques se référant à la condition des Africains durant l’occupation portugaise. En d’autres termes, il s’agit de montrer combien le triste vécu des colonisés a-t-il pu inspirer un discours poétique libérateur.

Définir la notion de liberté nous semble être un exercice assez complexe. Cependant, il est remarquable de préciser qu’elle contribue à l’émancipation de l’homme dans le milieu où il vit. Dans cette perspective, la philosophe brésilienne Marilena Chaui apporte quelques éclaircissements à ce sujet. Dans son ouvrage intitulé Convite à filosofia, elle soutient la thèse suivante :

A liberdade é a capacidade para darmos um sentido novo ao que parecia fatalidade, transformando a situação de fato numa realidade, criada por nossa ação. Essa força tranformadora, que torna real o que era somente possίvel e que se achava apenas latente como possibilidade, é o que faz surgir uma obra de arte, uma obra de pensamento, uma ação heróica, um movimento anti-racista, uma luta contra a discriminação sexual ou de classe social, uma resistência

La liberté c’est la capacité de donner un nouveau sens à ce qui semblait une fatalité, en transformant la situation de fait dans une réalité, concrète grâce à notre action. Cette force transformatrice, qui rend réel ce qui était seulement possible et ce qu’on pensait à peine latent comme possible, c’est ce qui fait surgir une œuvre d’art, une œuvre de pensée, une action héroïque, un mouvement antiraciste, une lutte contre la

184 à tirania e a vitória contra

ela.1 classe sociale, une résistance à la tyrannie et une victoire

contre elle2

Chez Marilena Chaui, la liberté renvoie à un acte par lequel l’homme tente d’offrir une nouvelle condition à sa vie − une sorte d’émancipation face à la complexité de la vie. Ce qui porte à croire que l’homme aspire à être libre. Par cette aspiration, l’homme devient acteur de sa vie ou de son existence. Ce qui lui permet de faire un dépassement de soi devant les obstacles quotidiens, ou encore de lutter contre toute idée visant à lui priver de façon arbitraire la liberté. Une telle attitude indique que la liberté est une nécessité humaine. C’est cela qui fait jaillir une œuvre d’art, pour reprendre l’expression de Marilena Chaui.

La littérature s’inspire de cette notion de liberté assez complexe pour transmettre ou véhiculer un message. Cela revient à dire qu’elle ne contente pas de la reproduire de façon abstraite. Elle exploite une situation précise pour la transformer en une œuvre de création. Elle tend à indiquer son impact au sein d’une société, elle peut exprimer des valeurs humaines et vise finalement un équilibre social. Voilà pourquoi il convient maintenant d’analyser quelques poèmes pour vérifier de quelle façon illustrent-ils ces différents paramètres en les reliant avec la question de revendication de la liberté durant l’époque coloniale. Il nous semble que ces auteurs tentent de donner un sens particulier à leur revendication, comme on peut le voir, à la façon dont ils expriment un désir ardent de quête de liberté face à l’occupation portugaise. Analysons à présent le poème, « Havemos de voltar », d’Agostinho Neto :

1 Chaui, Marilena, Convite à filosofia, São-Paulo, Ática, 1999, p.364-365. 2 Traduction personnelle.

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Às casas, às nossas lavras às praias, aos nossos campos havemos de voltar

Às nossas terras vermelhas do café brancas do algodão verde dos milharais havemos de voltar

À bela pátria angolana nossa terra, nossa mãe havemos de voltar

Havemos de voltar à Angola libertada

Angola independente Cadeia de Aljube, Outubro, 1960.1

Nous voulons retourner A nos maisons, à nos labours A nos plages, à nos champs nous voulons retourner A Nos terres rouge de café, sous l’éclat du coton blanc aux champs de mil

reverdissant

Nous voulons retourner à nos champs de mil, à nos mines de diamants, d’or, de cuivre, de pétrole

nous voulons retourner à nos fleuves, à nos lacs, à nos montagnes, à nos forêts nous voulons retourner à la fraicheur de nos mulembas, à nos traditions, à nos rythmes et au clair de la lune nous voulons retourner au marimba et au quissangue, à notre carnaval

nous voulons retourner à notre belle patrie angolaise, à notre terre, à notre mère nous voulons retourner en Angola libérée, Angola indépendante

Prison d’Aljube, 1960.2

Agostinho Neto, à travers ce poème manifeste un désir ardent de retourner au pays natal. Ce retour est vital pour le poète, fervent défenseur d’une édification de la patrie angolaise. Il est à noter que ce poème évoque

1 Neto, Agostinho, op.cit., p.127. 2 Traduction personnelle.

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une question fondamentale en matière de conquête de la liberté. Il y a aussi une reconquête des biens perdus chez la voix poétique.

Apparemment, ce poème est une manière de dire que l’occupation portugaise n’est qu’une usurpation des biens d’autrui, des richesses de l’Angola. Au nom de la liberté, Agostinho Neto se veut le porte-parole de la collectivité avec comme objectif final l’indépendance de son pays. Cette revendication urgente de liberté pour le Noir rappelle bien le combat des penseurs de la Négritude, puisque le poète cherche une reconnaissance, une émancipation en faveur de ses frères Africains. En fin de compte, Neto emboîte le pas aux penseurs de la Négritude dès lors que Senghor chante les vertus de son royaume d’enfance, tandis que Césaire vise l’émancipation des colonisé tout comme Damas.

En célébrant le pays natal, Neto a conscience que la souffrance et la misère continuent sous la domination du régime fasciste portugais. Ce faisant, l’intention anaphorique des vers, « Nous voulons retourner», révèle combien Neto est obsédé par le retour à la terre natale, condition sine qua nun de conquête de liberté, « Nous voulons retourner en Angola libérée», « Angola indépendante.». Par ce vers, le poète manifeste le profond espoir et la forte volonté du peuple pour le retour des exilés. Cela dit, ce poème peut être considéré comme un véritable hymne poétique – une sorte de profession de foi profonde du poète en quête d’un lendemain meilleur pour l’Angola. D’après Nwezeh, ce poème peut être interprété comme étant un « Ardent symbole de liberté irréversible, car la conviction idéologique du poète est la même pour la marche de l’histoire vers le futur radiant et non vers le passé.1». Précisons que Neto exprime dans sa poésie une volonté

manifeste de lutte pour l’indépendance, car la récupération des biens perdus passe nécessairement par la lutte révolutionnaire.

1

A symbol of freedom and not an unbridled return to the past…because the poet’s ideological vision of the march of history is not towards the past but towards the future, (Traduction personnelle), Nwezeh, E.C, Literature and Colonialism in Losophone Africa, Lagos, Centre For Black and African Arts and Civilisation, 1986, p.255.

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Dans un autre poème intitulé, « A renúncia impossivel », Agostinho Neto devient plus vindicatif :

A renúncia impossίvel Eu sou. Existo.

As minhas mãos colocaram pedras nos alicerceres do mundo Tenho direito ao meu pedaço de pão

Sou um valor positivo da humanidade e não abdico, nunca abdicarei!

Seguirei com os homens livres

O meu caminho para a liberdade e Vida.1

La renonciation impossible Je suis. J’existe.

Mes mains ont posé des pierres sur les bases du monde J’ai droit à mon morceau de pain Je suis une valeur positive de l’humanité et je n’abdique pas, je

n’abdiquerai jamais! Je suivrai avec les hommes libres mon chemin pour la liberté et la Vie.2

Agostinho Neto exprime à la face du monde le droit inaliénable de son peuple à l’existence, « je suis », « j’existe.». En ce sens, le poète s’élève et assume son destin. Pour lui, il ne saurait être autrement. C’est dire que la valeur sémantique du verbe, « être » et « exister », suggère un désir d’affirmation de la part du poète. Par conséquence, cette affirmation reste imbriquée à un désir ardent de liberté, à l’imminence de l’indépendance de l’Angola. Et c’est par le mode du refus de sa situation de colonisé, que la voix poétique s’enracine et réclame son droit à la parole, « j’ai droit à mon morceau de pain.». Un tel besoin indique la quête d’une nouvelle condition de vie à son peuple.

Ce qui est remarquable à souligner, c’est le poète qui se veut acteur et non spectateur passif de son destin. Il est conscient de son importance en tant noir et veut participer à la marche du monde, « Je suis une valeur positive de l’humanité». Se mêlent dans ce vers l’éloge de la valeur humaine

1 Neto Agostinho, Poemas inéditos, Luanda, INALD, 1982.p. 22. 2 Traduction personnelle.

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et le refus de l’exclusion. Agostinho Neto donne ainsi plus de sens à sa négritude – une façon de dire que le fait d’être noir ne diminue en rien sa qualité d’être humain capable comme tout autre « race » de contribuer à la civilisation universelle. C’est effectivement un appel à un nouvel ordre du monde. Aussi, l’emploi de l’adverbe et du futur, « je n’abdiquerai jamais » renforce la volonté du poète de baliser son chemin en vue de réaliser un futur meilleur.

En somme, Agostinho Neto utilise de façon intentionnelle des mots qui traduisent la future chute de l’entreprise coloniale portugaise. D’ailleurs, en choisissant le titre du poème, « La renonciation impossible », on perçoit clairement une impossible négation de soi de la part du poète. C’est également la raison qui justifie son désir de liberté et d’émancipation. De même, à la fin du dernier vers, l’énonciateur (le poète) insiste sur la symbolique de l’espoir et le chemin à entreprendre, pour réaliser, « avec les hommes libres mon chemin pour la liberté et la Vie.». Par ce vers, le poète semble préparer le terrain pour offrir une nouvelle perspective à son pays et à l’homme tout court. Ceci pour dire que, chez Neto, l’évocation de la liberté du colonisé reste imbriquée au titre de son ouvrage Sagrada

esperança. Cela qui renvoie aux réflexions d’Omoteso sur la poésie de

Neto, quand il déclare : « Évidemment, le combat de Neto n’était pas seulement pour libérer son peuple, mais aussi lui assurer un futur brillant.1». Dans cette perspective, l’univers de la poésie de libération du colonisé chanté par d’Agostinho Neto peut être rapproché aux réflexions de Noémia de Sousa. En effet, la poétesse mozambicaine lance un appel visant à poser une des premières pierres de la libération :

1 Evidentemente, a luta de Neto não era somente libertar seu povo, mas também assegurar

para ele um futur melhor (in) Omoteso, Ebenezer Adedeji, Ideologia e Engajamento em

Agostinho Neto e Léopold Sedar Senghor : uma perspectiva comparativa, Luanda,

189 Poema

Aqui tens o meu poema, irmão.

Apesar de tudo, irmão, companheiro querido de todas as lutas, nada conseguirá quebrar nossa marcha firme para o futuro. Nada! E não consentiremos que se abafe teu grito humano, recortado em revolta e esperança; não deixaremos que sejam cruelmente amputadas tuas mãos abertas e estendidas [...] Não nos quedaremos inactivos! Lutaremos, irmão!

Continuaremos... E nossas vozes triunfais quebrarão as grades, pedra por pedra demolirão as paredes em que te isolaram, nossas vozes tambores ressoarão noite e dia, sem parar e irão falar-te, atravès de tudo, da vida viva que não pára nunca, da luta que pressegue sempre, cada vez mais firme, cada vez mais certa no caminho sagrado que nos indicaste,

Lutaremos, irmão! Ah, lutaremos!1

Poème

Tu as ici mon poème, frère. Malgré tout, frère, cher camarade de toutes les luttes, rien n’arrêtera notre solide marche vers le futur. Rien ! Et nous n’accepterons pas qu’on étouffe ton cri humain, marqué de révolte et

d’espoir ;

Nous ne laisserons pas que soient cruellement amputées tes mains ouvertes et étendues […]

Nous ne resterons pas inactifs !

Nous lutterons, frère ! Nous continuerons... Et nos voix triomphantes briseront les grilles, pierre par pierre, elles démoliront les murs où ils t’ont isolé, nos voix tambour retentiront jour et nuit, sans arrêt, et te parlerons, partout de la vie dynamique qui ne s’arrête jamais, de la lutte qui se poursuit toujours, de plus en plus solide, de plus en plus certaine dans le chemin sacré que tu nous as montré, Nous lutterons, frère ! Ah, nous lutterons!2

1 Noémia de Sousa, op.cit.,p.107-108. 2 Traduction personnelle.

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Chez Noémia de Sousa, l’énonciation de la fraternité, « Tu as ici mon poème, frère », « frère, cher camarade de toutes les luttes, rien n’arrêtera notre solide marche pour le futur », reste imbriquée au combat de lutte anticoloniale qui permettra de libérer son peuple. C’est précisément là que réside la force de la parole poétique – celle qui anime et vise à émanciper l’Autre. Par ces deux vers ci-dessus, Noémia de Sousa prend conscience que la libération de soi et par soi n’a des lendemains meilleurs que dans la lutte collective contre l’envahisseur. En exprimant un discours collectif, la voix poétique se mue en une autre voix, celle qui féconde, « [la route] vers le futur. ». L’emploi du pronom indéfini, « rien », dans le deuxième vers traduit une solidité de l’engagement, de même que de la détermination chez Néomia de Sousa.

Le déploiement du futur dans la structure du poème rend dans une certaine mesure la lutte explosive, continuelle, « nos voix tambour retentiront jour et nuit, sans arrêt.». Elle ne se donne pas, ni ne s’achète – elle se vit de manière presque obsessionnelle. En un mot, elle part « du soi collectif » pour transcender les barrières de la domination. Cela dit, la lutte pour la libération du sujet dominé ne peut réaliser qu’à travers l’action, « Et nous n’accepterons pas qu’on étouffe ton cri humain, marqué de révolte et d’espoir.». De même, se dessine la symbolique de la résistance commune, ou encore de l’espoir, caractéristiques de ses écrits. C’est aussi une sorte de mise en garde contre le régime colonial.

A travers l’anaphore qui circule dans ce poème, « nous ne tomberons pas inactifs », « nous lutterons, frère », « nous continuerons », Noémia de Sousa s’arme de conviction et s’oppose au régime colonial. C’est par là qu’on perçoit une image de la Négritude combative, « Et nos voix triomphantes briseront les grilles, pierre par pierre, elles démoliront les murs où ils t’ont isolé.». Ce faisant, il ne s’agit donc pas uniquement de dire la libération du colonisé, mais d’entreprendre de façon active et efficace sa libération totale. De ce fait, le colonisé parvient à s’affirmer et à se réaliser en tant qu’individu. Alors apparaît, peu à peu, une nouvelle perspective qui tend vers l’affirmation de l’identité du colonisé.

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L’analyse de ce chapitre montre que la célébration de la Négritude en Afrique lusophone repose sur la remise en cause de la condition du colonisé. Ce qui attire notre attention, c’est la dimension poétique de la résistance contre l’envahisseur pratiquée par les poètes luso-africains. Ils ont tour à tour posé le problème de la souffrance morale et psychologique du sujet colonisé.

Il est à noter que ce régime d’oppression, oblige les poètes à dénoncer l’emprisonnement dans lequel ils se trouvaient. En somme, ce dont il est question, c’est l’état de « semi-liberté » chez le sujet dominé en période coloniale. C’est en cela que réside la lutte pour la liberté et l’indépendance de la par des poètes luso-africains. La lutte pour la liberté du colonisé vise une affirmation de soi, un appel conférant à évoquer l’identité culturelle du dominé en soi et par l’Autre ; par conséquent, elle s’appuie sur la revalorisation de l’identité culturelle des colonisés.

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Chapitre II

Identité culturelle et affirmation de soi