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Nous avons posé aux artistes la question de ce qu’ils ressentaient face à une œuvre terminée. A travers leur réponse nous avons pu découvrir les points suivants : toutes les œuvres ne se valent pas, une œuvre qui a demandé énormément de travail et de temps peut devenir une tâche dont il cherche à se délester au plus vite : « j’ai tellement travaillé dessus, je ne vois que ça donc ça ne fais plus rien. »125. Ainsi, à force de travail, certains artistes en viennent à ne plus

aimer ce qu’ils font, cherchant une perfection si grande que le travail semble ne jamais finir, comme cela se trouve chez l’artiste dont il est question dans le roman de Zola, L’œuvre.

Mais lorsque le recul est pris, les « belles choses apparaissent » comme l’exprime Mëos. Et Zeyno Arcan ajoute même « une fois finie et vue de loin, ça me fait comme une révélation, une expérience très forte, un « Erlebnis »126 , parfois de la surprise. Souvent je me sens

extrêmement touchée. »127 . Cette révélation me semble capitale dans la peinture, elle est la

compréhension intuitive des mystères par les sens.

Cette compréhension de soi, de la vie, rejoignant l’idée précédemment citée que l’artiste en peignant, répond à une question, laisse apparaitre que l’œuvre agit comme un miroir, permettant d’effectuer un retour réflexif sur soi.

Comment s’effectue cette réflexion de l’œuvre ? Comment cela se fait-il sentir pour le peintre ? Comment la surface plus ou moins plane de l’œuvre, qui pourrait être dite opaque, d’un point de vue purement scientifique peut-elle devenir miroir, reflétant l’âme humaine, le monde, l’artiste ?

123 Annexe III, Entretien avec Sabÿn Soulard, « L’art peut nous permettre de sublimer nos pulsions comme le dit Freud, mais je ne peux envisager la création seulement sous cet angle. » p. 138.

124 ARCAN, Zeyno, De la notion de « vie » dans la danse expressionniste de Mary Wigman à la recherche des «

signes de vie » dans mon travail pictural., Op. Cit, p. 48 à 51 : Elle y étudie comment la danseuse réalise un réel

travail psychique à travers sa danse. 125 Annexe II : Entretien avec Mëos, p. 117.

126 L’Erlebnis, désigne en allemand une expérience de vie, une rencontre, un évènement qui nous forge. Contrairement à l'Erfahrung qui se rapproche de ce que l’on apprend (expérience professionnelle ou école). 127 Annexe I : Entretien avec Zeyno Arcan, p. 113.

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L’ŒUVRE COMME MIROIR

« Peut-on se trouver soi-même dans une œuvre picturale, accéder par le regard porté sur une toile à sa vérité propre ? »128. Zeyno Arcan dans sa thèse129, émet cette idée que l’œuvre est

miroir. A propos de l’œuvre qu’elle réalisa, « Ceux qui peuvent se voir en peintre », elle détaille son expérience : le moment où elle s’est vue et aimée à partir de son image sur la toile sous la forme d’une tête de lion. Le reflet qui lui apparaît après avoir posé son empreinte sur la toile130,

lui fait comprendre quelque chose d’elle-même, ce qui la pousse à affirmer que l’on peut se voir dans l’œuvre et s’aimer par elle131. Cette vision nécessite le désir de se voir réellement, tel que

l’on est. Sinon, l’illusion demeure.

La relation sujet-objet dans l’art permet à celui qui regarde de mieux se comprendre lui- même. L’œuvre ayant un effet de révélateur comme en photographie. L’homme est renseigné par l’œuvre sur ce qu’il est. En effet, l’aspect « miroir » de l’œuvre en fait une voie de compréhension et d’accès à des aspects mystérieux de nous-mêmes, comme de la vie. Klee affirma en ce sens : « L’œuvre est voie. », et Maldiney y ajoutera : « une voie d’accès à l’être. »132

Ainsi, inversant le terme de Platon133, l’art ne serait pas l’imitation de l’apparence du

réel, mais bien une vision plus profonde. La peinture ne serait pas alors une illusion, mais un espace ouvert nous permettant de saisir la vérité.

La série de tableau intitulés « ceux qui… » de Zeyno Arcan s’appuie sur les expressions courantes, démontrant les enfermements intérieurs auxquels nous sommes soumis. Ainsi « Ceux qui sont sages comme des images », « Ceux qui en ont par-dessus la tête », etc. illustrent

128 ARCAN, Zeyno : « Le souffle vital de la création. De la danse expressionniste à la peinture scénographique : cheminement d’une création », In BLOESS Georges (dir.), Destruction, création, ryhtme : l’expressionnisme, une

esthétique du conflit, Op. Cit., p. 64

129 ARCAN, Zeyno, « La toile, révélateur de l’inconscient » In , Empreinte, emprunt et expression : Vers une

peinture scéno-graphique, sur les traces de Pollock, Klein et Bacon, Op. Cit., p. 69 -71. Voir aussi p. 29 « miroir

de la connaissance, de la vérité, de la réflexion et de la lumière » concernant ses recherches sur Mary Wigman et ce qui apparaît dans l’œuvre d’art. L’œuvre d’art apparaît comme un miroir de son être propre comme celui de l’humanité.

130 Il s’agit de sa méthode de travail, nous l’avons abordé en note dans la partie 1 à propos du souffle de vie. 131 ARCAN Zeyno, « Ceux qui peuvent se voir en peinture » In Empreinte, emprunt et expression : Vers une

peinture scéno-graphique, sur les traces de Pollock, Klein et Bacon, Op. Cit., p. 208-212.

132MALDINEY, Henri. Regard Parole Espace, Op. Cit., p. 149.

133 PLATON, La République, Paris : Flammarion, ( collection GF ), 2002, 801 p. : « Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet. Est-ce de représenter ce qui est tel qu’il est, ou ce qu’il paraît tel qu’il paraît ; est-ce l’imitation de l’apparence ou de la réalité ? ».

51 ces expressions en les détournant. Face à ses images, ceux qui y ont participés comme modèle ou qui appartiennent à l’une de ces catégories d’enfermement peuvent alors trouver en l’œuvre un miroir. Ils reconnaîtront alors leur propre vie, leur propre situation et la vision de cette réalité pourra les pousser à changer de vie, à s’aimer tels qu’ils sont, ils pourront encore trouver un autre sens. L’œuvre a une multitude de compréhensions possible mais notre identité est unique.

FIGURE 8 ZEYNO ARCAN, CEUX QUI PEUVENT SE VOIR EN PEINTURE : LE LION

Ces œuvres de Zeyno permettent encore un lien avec le langage, important dans l’œuvre. L’œuvre transmet-elle donc un message ? Que nous dit-elle ? D’où vient sa parole ? Est-ce un sens que nous lui donnons ou un sens déjà présent et donné par l’artiste ?