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Les retournements de conjoncture comme motif d’une persévérance dans le

Annexe 8 – Données sur la concentration dans le secteur Conseil en systèmes

11.3 Les retournements de conjoncture comme motif d’une persévérance dans le

A ce compte, il est significatif que les informaticiens en chômage de longue durée tendent à s’en remettre à leurs propres « boussoles », en particulier aux outils qu’ils élaborent eux-mêmes pour appréhender les tendances de leur marché.

La perspective de retournements de conjoncture nourrit un certain attentisme. Ainsi, parce qu’elle était relayée par les médias spécialisés, il apparaît qu’en 2004-2005, de nombreux informaticiens seniors aient fondé beaucoup d’espoir dans l’annonce de départs massifs à la retraite à compter de 2006 : « j’espère que le futur papy-boom annoncé va m’ouvrir des portes » (témoignage Journal du net, novembre 2004). En effet, comme il a été déjà plusieurs fois souligné, les informaticiens ont une connaissance d’expérience « des hauts et des bas » des conjonctures en informatique :

« Après ce licenciement, je suis tombé de haut parce que c’est des marchés en dents de scie. A un moment, l’économie va bien et il y a besoin d’informaticiens, puis il y a des périodes très difficiles où il y a des licenciements. Le marché de l’info, ça a toujours été ça. Les périodes difficiles ont été en 93-94, puis avec les attentats de 2001, des périodes très difficiles, également d’un point de vue boursier. Entre 2001 et 2003. Même 2004. Donc j’ai mis presque un an pour retrouver du boulot. » (46 ans, responsable de service passé récemment par un épisode de

chômage, n°38).

Aussi les outils sophistiqués d’analyse des offres d’emplois qu’ils mettent au point permettent-ils à certains informaticiens en recherche d’emploi non seulement de sentir le marché mais d’échafauder des anticipations sur les besoins à venir, et d’ajuster leur positionnement en fonction. Un enquêté raconte comment il est rentré un temps dans une interprétation au second degré des petites annonces pour tenter de placer sa candidature :

« Je travaillais pas mal par analogie, c’est-à-dire que si je voyais qu’une boîte recrutait par exemple des techniciens hotline, c’est pas le profil auquel je postulais, mais qui dit techniciens hotline, dit encadrement techniciens hotline, et donc potentiellement un poste là aussi, parce

que s’ils agrandissent leurs équipes, il va peut-être falloir un peu d’encadrement. Donc sur des raisonnements de ce type-là, j’ai envoyé pas mal de candidatures spontanées, assez ciblées du coup, puisque je savais qu’ils étaient dans le secteur de métier dans lequel je suis et je savais qu’ils étaient plutôt en période recrutement qu’en période dégraissage, quoi. » (53 ans, en

recherche d’emploi interrompue par des missions en portage, ancien responsable technique, n°16)

Les demandeurs d’emploi s’appuient systématiquement sur le Web pour conduire leur recherche d’emploi, c’est-à-dire non seulement les sites d’offres d’emploi tels que Monster, mais aussi des sites plus sophistiqués tels que ceux qui proposent de développer un réseau professionnel, voire les sites de place de marché spécialisés dans l’informatique où les

entreprises du secteur viennent proposer et rechercher des profils61. Inscrits facilement sur une

vingtaine de sites de ce type, certains enquêtés ont créé des crawlers (moteurs de recherche spécifique) pour leur signaler systématiquement les offres correspondant à leur profil.

C’est aussi dans le but d’accumuler des connaissances sur la manière de procéder des recruteurs qu’ils peuvent chercher à multiplier les entretiens même si ceux-ci ne donnent pas de résultats :

« Parce que ça permet de connaître les attentes, de confirmer… d’assurer son discours par rapport à ce qui intéresse l’interlocuteur. Vous avez de temps en temps des retours intéressants des personnes qui vous ont interviewé. C’est rare. Mais de temps en temps, y en a et c’est très instructif.

Oui, par exemple ?

J’ai des exemples qui me sont arrivés plusieurs fois sur la question de l’âge et sur la question du salaire. Les gens qui osent le dire… Le salaire, ils le disent assez facilement. L’âge, beaucoup plus difficilement mais de temps en temps, mettons une fois sur cinq, une fois sur dix. Donc j’ai eu ce retour. Et puis une personne aussi m’a dit : ‘ce que vous faîtes, c’est très bien. Mais vous n’êtes pas assez passionné sur l’expérience que vous avez eue’. Ça, j’ai su changer mon comportement sur certains entretiens par rapport à ça. (…) C’est beaucoup l’attitude que vous avez, le ton de la voix que vous prenez qui vous rendent persuasif. » (50 ans, depuis peu

DSI après trois ans de chômage perlé, n°25)

Dans cette stratégie visant l’accès à l’entretien coûte que coûte, des ruses multiples sont déployées pour contourner les modes de sélection automatique des C.V. sur critère d’âge, ou sur critère indirect permettant de le repérer. Mais à ce jeu aléatoire du recrutement à distance, de nombreux enquêtés s’épuisent et finissent par renoncer.

« Ça fait trois ans que je suis au chômage. Fin de droit, ça veut dire que je vais tomber au RMI. (…) y a plusieurs choses qui me font des réactions vraiment épidermiques : c’est l’idée d’arriver – là, je vous raconte avec plaisir – mais d’arriver devant un recruteur, un DRH qui n’en a rien à faire, qui va me faire répéter le C.V. en me disant : ‘mais vous êtes instable, vous avez changé d’entreprises tant de fois. C’est toujours la même chose et j’en ai marre. Et puis, des petits jeunes recruteurs qui n’ont pas le niveau que j’ai ou qui ne connaissent pas du tout les sujets que j’ai abordés et qui vont me poser des questions complètement idiotes, à côté de la plaque, j’ai plus du tout envie de supporter ça. » (51 ans, ancien consultant pour le compte

de SSII, en recherche d’emploi longue, n°10).

Dans ces circonstances, des canaux de recrutement réputés pour ne pas tenir compte de l’âge sont explicitement envisagés et essayés pour cette qualité : postuler à certains postes de la fonction publique qui ne mettent pas de limite d’âge à l’accès aux concours correspondants, candidater exclusivement auprès de sociétés anglo-saxonnes. Créer son activité, et plus largement s’essayer dans « l’autonomie professionnelle », est une autre alternative pour sortir

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des périodes d’incertitude auxquelles expose la recherche d’un emploi salarié en informatique passé 40 ans.

12. Créer son activité

Un quatrième ensemble de pratiques relatives à l’employabilité est constitué par les diverses formes d’auto-emploi dans lesquelles les informaticiens de plus de 40 ans interviewés ont pu s’engager.

Elles correspondent à un spectre de situations diverses du point de vue juridique et du point de vue des relations de dépendance économique, qui n’ont en commun que de se différencier du salariat classique. Comme le rappelle une étude récente sur les déterminants de l’emploi non-salarié en France, « le non-salariat est une catégorie statistique mal identifiée, généralement définie ‘en négatif’ comme le complémentaire, dans l’emploi total, du salariat, retenu comme la catégorie centrale de l’analyse statistique de l’emploi ou du droit du travail » (Lurton & Toutlemonde, 2007). Nos investigations confortent en tout cas, pour le cas du secteur des TIC, l’importance des deux mécanismes explicatifs que cette étude teste dans le cadre d’un modèle de simulation de l’emploi non-salarié : « Le non salariat ‘entrepreneurial’, d’une part, se développe quand l’espérance des gains non-salariés augmente ; le non-salariat ‘par défaut’, d’autre part, traduit un comportement d’activité qui se développe lorsque les perspectives sur le marché du travail salarié se dégradent » (ibid.).

En effet, la dimension fortement « cyclique »62 du marché de l’informatique se traduit dans

les entretiens par la distinction entre deux types de conjonctures :

- des conjonctures hautes : face à l’importance de certains besoins utilisateurs, ou à une vague d’engouement technologique (bulle Internet), le salarié informaticien peut être incité à démissionner seul ou « en bloc » avec une petite équipe de collègues, et à créer une structure ad hoc pour répondre à son propre compte notamment aux besoins de clients

de son ancien employeur63 ;

- des conjonctures à l’inverse déprimées (1993-94 notamment) ou verrouillées par les pratiques de référencement des grands comptes (années 2007-2008 de l’enquête) : l’indépendance apparaît davantage comme un statut imposé, notamment par les SSII sous forme d’une sous-traitance qui vise à se substituer à l’embauche de salariés.

Ce distinguo général entre une modalité offensive et une modalité défensive de l’auto-emploi, dont le caractère est particulièrement lisible en informatique en raison de sa forte réactivité conjoncturelle, doit être spécifié ici en tenant compte de deux autres dimensions qui ressortent de l’analyse des comptes rendus d’expériences :

- une dimension de profil : elle distingue ceux qui ont acquis des dispositions à l’autonomie professionnelle au cours de leur parcours antérieur, de ceux pour qui la sortie du salariat classique marque le début, plus ou moins assuré, d’une seconde partie de carrière, exigeant une conversion dans leur façon d’envisager leur rapport à l’emploi ;

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Le terme même de « cycle » est discutable et discuté en informatique, en raison de la régularité repérable de tendances qu’il sous-entend, et qui n’a rien de vérifiée sur le plan économique. Sans doute est-il plus juste de parler d’« à-coups » conjoncturels touchant par ailleurs inégalement les différents segments du marché des logiciels et services informatiques.

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- une dimension de positionnement : elle tend à départager ceux qui vivent leur indépendance dans l’ombre de SSII et/ou d’un ancien employeur, de ceux qui veulent ou doivent compter sans cette tutelle pour vendre, hors du salariat classique, les compétences qu’ils ont acquises dans leurs emplois d’informaticiens.

Comme pour les trois volets précédents de l’employabilité, on peut tenter de rendre compte des démarches d’engagement dans les dispositifs divers d’« autonomie professionnelle » en distinguant régimes routinier, planifié et aléatoire.

12.1 Devenir « professionnel autonome » comme mode naturel de