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RETOUR SUR LES RESULTATS ATTENDUS ET PERSPECTIVES

Circulation globalisée et relocalisation de signes culturels afrodescendants

IV. RETOUR SUR LES RESULTATS ATTENDUS ET PERSPECTIVES

Dans le projet rédigé en 2007, nous souhaitions aboutir à une « meilleure compréhension des phénomènes de circulation mondialisée et de relocalisation des signifiants identitaires contribuant à construire une histoire commune des populations « afrodescendantes » liée à lřhistoire de lřesclavage ». Les résultats présentés ont permis de mettre en perspective un certain nombre dřavancées :

- Discussion de la notion de circulation culturelle en faisant un bilan critique des analyses portant sur la globalisation et des théories « postmodernes » ;

- Identification de différents vecteurs de circulation culturelle (les logiques institutionnelles impulsées par le développement de grands programmes internationaux en matière culturelle ; les logiques commerciales et industrielles liées à la consommation de biens culturels et dř« identités » ; les circulations dřacteurs engagés dans la reconnaissance dřidentités transnationales) et de mener des recherches empiriques sur chacun dřeux, tout en tenant compte des influences mutuelles quřils ne manquent pas de provoquer ;

- Développement dřune problématiques des mobilités permettant de croiser différentes approches analytiques : branchements culturels, migrations internationales, tourisme, consommation culturelle, politiques culturelles, réseaux sociaux...

Ces différents éléments abordés à partir des recherches empiriques présentées ci-dessus ont été discutés dans le cadre de colloques, séminaires, conférences, symposiums organisés conjointement avec des instituts culturels (Instituto de Patrimonio y Cultura à Cartagena,

47Cette hypothèse est également au cœur de lřanalyse dřautres pratiques religieuses « traditionnelles » en contextes

transnationaux et translocaux. Voir notamment lřouvrage coordonné par K. Argyriadis, R. De la Torre, C. Gutiérrez Zúñiga et A. Aguilar Ros intitulé Raíces en movimiento. Prácticas religiosas tradicionales en contextos translocales

Instituto Veracruzano de Cultura à Veracruz), des universités (Universidad de Cartagena,

Universidad de Veracruz, UNAM) et des centres de recherches (INAH, CIESAS, IRD).

Le découpage effectué de lřanalyse des circulations culturelles « afrodescendantes » en trois dimensions nous a permis dřen faciliter lřexamen empirique. Mais au final, il sřagit bien de voir aussi comment ces trois dimensions se renforcent mutuellement ou sřaffrontent, contribuant ou non à « faire système » autour dřun « système culturel et politique » (quřon lřappelle « diaspora noire », « Atlantique noir » ou autre).

Plusieurs chercheurs de ce programme ont pu observer comment ces différentes dimensions pouvaient se renforcer mutuellement. Ils ont montré également que les acteurs impliqués dans lřune ou lřautre de ces logiques pouvaient lřêtre aussi à dřautres titres dans les autres. Que ce soit dans les domaines du tourisme, des pratiques religieuses ou de la musique, nous avons tous pu souligner les implications croisées de certains acteurs qui interviennent à la fois comme chercheurs, comme promoteurs culturels, comme artistes ou comme militants. Mais, on a pu voir aussi comment ces convergences de rôles et de points de vue dessinent certaines définitions du tourisme (le tourisme culturel plutôt que le tourisme de masse), quitte à ce que ces définitions ne renvoient à aucune réalité concrète ; ou encore comment ces convergences dessinent certaines définitions de la culture populaire (la culture populaire vue par les élites qui rejettent la culture de masse dont la circulation, et les réappropriations passent par dřautres circuits...), quitte, là encore, à ce que ces définitions ne fassent pas sens dans les milieux populaires.

Au final, les travaux menés soulignent incontestablement lřexistence de pratiques culturelles en mouvement, pouvant être qualifiées de « noires » ou « africaines », pouvant être associées à la présence passée ou actuelle dřindividus ou de groupes sřidentifiant comme « noirs » ou « dřorigine africaine », pouvant renvoyer à des « origines africaines », etc. Et ces pratiques culturelles peuvent faire lřobjet de transferts, de réappropriation, de réinterprétation, de marginalisation ou de stigmatisation selon les contextes.

Mais ces travaux soulignent aussi une coupure récurrente entre les logiques de marché qui relèvent des industries culturelles, et les logiques propres aux politiques culturelles et aux élites culturelles transnationales. Cette coupure est notamment celle qui distingue le « populaire » entendu comme ce qui plait aux masses et le « populaire » comme vision élitiste, romantique et parfois essentialisante de la culture. Et cřest bien cette coupure, nous semble-t-il qui empêche de « faire système » et de déboucher sur une logique diasporique.

A partir de ces résultats, nous pouvons identifier au moins deux prolongements possibles de ces

recherches :

En premier lieu, une analyse socio-historique portant spécifiquement sur les institutions culturelles internationales et les programmes quřelles ont mis en place ces vingt dernières années reste à faire : lancement du programme La Route de l‟esclave en 199448 ; organisation de la

Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l‟intolérance

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Rappelons que ce programme sřétait donné les objectif suivants au moment de sa création : « briser le silence sur la tragédie de la traite négrière et de lřesclavage en contribuant à une meilleure compréhension de ses causes profondes, de ses enjeux et de ses modalités dřopération par des travaux scientifiques pluridisciplinaires » ; « mettre en lumière ses conséquences sur les sociétés modernes... » ; « favoriser la réflexion sur le pluralisme culturel, la

en 2001 à Durban, marquée notamment par la reconnaissance de la traite négrière et de lřesclavage comme « crime contre lřhumanité », mais aussi par la reconnaissance des personnes dřascendance africaine comme un « groupe de victimes spécifiques qui continuent à souffrir de la discriminations liées à lřhistoire du commerce transatlantique dřesclaves » ; célébration par lřUNESCO en 2004 de l‟Année internationale de commémoration de la lutte contre l‟esclavage

et de son abolition marquée notamment par le lancement dřune nouvelle phase du projet de La

Route de lřesclave avec son élargissement à lřOcéan indien, la Méditerranée et les régions transsahariennes ; proclamation par lřAssemblée Générale des Nations Unis de lřAnnée

internationale des personnes d‟ascendance africaine en 2011 ; construction dřun Mémorial permanent de l‟ONU en l‟honneur des victimes de l‟esclavage et de la traite transatlantique des esclaves qui devrait être achevé en 2012 au siège de lřONU à New York. Nous avons pu

constater dans les différentes recherches menées à quel point cette dynamique culturelle impulsée à lřéchelle mondiale était en relation avec la redéfinition des politiques culturelles nationales et locales. Il reste toutefois à mettre en œuvre des recherches spécifiques portant sur lřorganisation de ces programmes, le rôle joué par les acteurs impliqués, lřinfluence quřils exercent dans leur pays, etc. Le projet initial de Dimitri Bechacq était, suite à la soutenance de sa thèse de doctorat évoquée ci-dessus, dřanalyser le programme de lřUnesco « La Route de lřEsclave » en interrogeant le processus dřinstitutionnalisation de lřhistoire et de la mémoire de lřesclavage à lřéchelle globale par lřinstitution onusienne ainsi quřau niveau local en Haïti. Cette analyse devait permettre de montrer comment sřarticulent les pratiques commémoratives globales et les enjeux politiques, économiques et intellectuels locaux. Cependant, suite au violent séisme qui a frappé Port-au-Prince et plusieurs villes du sud-ouest le 12 janvier 2010, lřagenda et les priorités de lřUnesco en Haïti ont été considérablement bouleversés et ce projet nřa pu être mené à terme dans le cadre de ce programme.

Une autre perspective qui sřouvre à lřissu de ce travail consiste à engager de nouvelles recherches empiriques autour des pratiques de consommations, évoquées plus avant, pour comprendre les logiques dřaltérisation et dřethnicisations qui sont à lřœuvre dans les grands centres urbains aujourdřhui définis comme des lieux « cosmopolites ». Ces grandes villes sont marquées tout à la fois par lřarrivée ou le passage de nouveaux migrants, par la présence de jeunes de troisième ou quatrième génération des immigrations en provenance des pays du Maghreb et dřAfrique de lřOuest en France, et de « population dřorigine africaine » ou « indigène » en Amérique Latine, victimes du racisme, de discriminations ethniques et de phénomènes de ségrégation urbaine qui les marginalisent socialement tout en les marquant ethniquement. Lřobjectif est de centrer lřanalyse sur lřunivers de la consommation plutôt que sur les questions politiques (intégration, reconnaissance, lutte contre les discriminations...) ou sur les enjeux sociaux du monde productif (entrée sur le marché du travail, inégalités salariales, blocage des carrières, chômage...). De ce point de vue, bien quřobjectivement marginalisées, les populations altérisées des grandes villes peuvent devenir un élément essentiel dans le développement de nouveaux marchés dans différents secteurs industriels qui utilisent leur image valorisée pour vendre une large gamme de produits et de services et/ou créer des offres spécifiquement markétisées pour elles. Les définitions ethniques de ces populations renvoient alors à la fois à des fournisseurs de produits achetés et vendus sur des marchés spécifiques, et à des consommateurs sur lesquels les industries veulent pouvoir compter. Un tel programme porterait alors sur le développement de pratiques et de phénomènes marchands liés à différents secteurs industriels, centrés sur la valorisation de ces « populations » altérisées et des produits qui leurs sont associés. Ces secteurs sont notamment celui du marketing et de la publicité, de lřindustrie cosmétique, de lřindustrie culturelle et du divertissement, de lřindustrie du tourisme.

V. FONCTIONNEMENT DE L’EQUIPE