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Retour sur les critères de validation des objectifs de recherche

Rappelons que notre objectif général consistait à développer une méthode d’analyse permettant de déceler les topiques et processus cognitifs sous-jacents à la mise en discours, ainsi que de déterminer comment les topiques et processus cognitifs externalisés par un locuteur sont internalisés par l’autre locuteur. Pour atteindre cet objectif et répondre à notre questionnement, le dispositif proposé a dû aussi répondre à divers critères dont nous évaluons ci-dessous l’atteinte.

7.1.1 Identifier et catégoriser les processus cognitifs sous-jacents à la mise en discours

Le dispositif d’analyse mis en place s’appuie principalement sur l’identification des processus cognitifs. Il se base sur le principe voulant que le discours permette de révéler ceux-ci ou qu’il consiste en l’occurrence en la mise en mots de la pensée (Brassac, 2003; Buysse et Vanhulle, 2009). Ainsi, notre analyse associe les énoncés à un ou plusieurs processus cognitifs, quand ceux-ci en sont révélateurs, et ce, grâce à une analyse fondée sur des indicateurs établis a priori (voir p. 116-119). L’énoncé « et le NPD a justement la semaine dernière annoncé qu'on voulait faire des achats groupés », prononcé à 5 :40, a pu, ainsi, être associé au système de régulation de l’action (Tableau 3).

7.1.2 Considérer le discours de deux locuteurs en prenant pour objet le dialogue se déroulant entre eux

De prime abord, nous avons donc considéré le discours de chacun des locuteurs de manière à repérer les processus cognitifs mobilisés par l’un et l’autre. Par la suite, nous avons pris pour objet d’analyse le dialogue, cherchant à voir l’effet du discours de l’un sur la pensée de l’autre. L’accès à sa pensée est rendu possible par l’analyse du discours. Il est effectivement possible de déceler, dans l’interaction, la trace de l’émergence de tout processus cognitif (Sorsana, 2003). Cela s’est traduit pour nous par la prise en compte du processus d’internalisation des externalisations de May, par Mulcair, tel que cela apparaît dans les critères suivants.

7.1.3 Repérer l’effet produit par la mobilisation d’un processus cognitif par un locuteur sur ceux mobilisés ultérieurement par l’autre

Dans cet ordre d’idées, le dispositif utilisé permet l’identification des processus cognitifs de même type et de mêmes dimensions chez les deux locuteurs. De ce fait, il considère que la pensée d’un locuteur influence celle d’un autre lorsque ces deux locuteurs mobilisent les mêmes processus cognitifs, à des moments différents, par le biais d’énoncés portant sur les mêmes topiques. Cela prend appui sur le fait que « toute fonction cognitive apparaît sous deux formes : d’abord comme une interaction sociale, ensuite, avec le temps, cette fonction sera intériorisée par le jeune et c’est alors qu’il pourra s’en servir de façon autonome comme

d’un outil de pensée » (Barth, 2015, p. 161). Wertsch (1991) mentionne ainsi qu’il est possible de déceler, dans l’univers interpsychique, ce qui a généré les processus intrapsychiques (Wertsch, 1991). Nous en avons conclu que les processus cognitifs mis en œuvre par un locuteur pouvaient influencer ceux déployés par son interlocuteur. À ce propos, notons que May a mobilisé, à 5 :18, le SRA, affirmant que « C’est facile quand on achète en vrac ». Mulcair a mobilisé le SRA à son tour, à 5 :40, alors qu’il a mentionné que « le NPD a justement annoncé la semaine dernière qu’on voulait faire des achats groupés ». Les deux locuteurs traitent alors d’économie (Tableau 3). Le processus mobilisé par May aura donc produit un effet sur celui mobilisé ensuite par Mulcair.

7.1.4 Prendre en compte le sens ou l’information véhiculée par le discours de chacun

À chaque fois que nous avons jugé qu’un processus cognitif avait été internalisé par Mulcair, nous avons vérifié que lui et May abordaient sensiblement le même sujet. Nous avons ainsi pris appui sur le postulat selon lequel « le contenu propositionnel d'un acte de langage représente ses conditions de satisfaction », c’est-à-dire la possibilité de son accomplissement (Trognon et Brassac, s.d., p. 81). L’accomplissement d’un acte de langage, reposant sur l’effet produit sur l’interlocuteur, ne se réalise effectivement que si l’interprétation du contenu propositionnel est respectée lors du passage de l’information d’un locuteur à l’autre (Trognon et Brassac, s.d.). À titre d’exemple tiré de nos analyses, May annonce, à 5 :13, qu’il est possible d’économiser des milliards de dollars avec un système d’assurance- médicaments. À 5 :45, Mulcair affirme aussi qu’il fera économiser des milliards de dollars aux provinces et territoires en faisant des achats de médicaments en groupes. Étant donné que les deux locuteurs se positionnent sur les frais encourus pour l’achat des médicaments, nous avons conclu que Mulcair avait internalisé l’évaluation préalablement formulée par May en lien avec le système proposé (Tableau 3). De manière à analyser le dialogue, nous avons donc pris en compte l’information véhiculée dans le discours de l’un et l’autre locuteur.

7.1.5 Permettre de repérer les topiques en jeu dans le dialogue

Comme parler consiste à échanger des informations (Kerbrat-Orrecchioni, 1980), notre dispositif devait également reposer sur l’identification des topiques présents dans le discours. Nous avons pris en compte les univers de référence identifiés par Tropes pour les déterminer.

Nous avons, par exemple, constaté que May abordait entre autres la santé et l’économie.

Tropes a ainsi associé le mot médicament au champ sémantique de la santé et le mot achat à

celui de l’économie (Tableau 3).

7.1.6 Repérer l’effet produit par les topiques extériorisés par un locuteur sur ceux extériorisés par l’autre

À travers le dialogue, nous avons également repéré les topiques internalisés par Mulcair, puisque l’échange d’informations implique nécessairement le passage d’un locuteur à un autre. Pour ce faire, il s’agit de repérer, dans le discours des deux locuteurs, les mêmes topiques ou univers de référence. Nous avons effectivement vu que Mulcair internalisait le topique qu’est l’économie, repris de l’énoncé « C’est facile quand on achète en vrac. », prononcé par May à 5 :18. Il traite effectivement d’économie à son tour, à 5 :40, mentionnant que « le NPD a justement annoncé la semaine dernière qu’on voulait faire des achats groupés » (Tableau 3).

7.1.7 Considérer la forme que prend le discours de chaque locuteur (p.ex. les classes de mots qu’il comporte, les modes et temps verbaux, les procédés de reprise) en appui à l’identification des processus cognitifs mobilisés

Pour plusieurs catégories de processus cognitifs, l’identification s’accompagne d’une analyse linguistique. Étant donné que le discours consiste en une forme d’externalisation des pensées d’un individu (Brassac, 2003), il s’avère nécessaire de l’analyser pour pouvoir interpréter avec plus de fiabilité ce qui se déroule dans l’esprit. Cette analyse linguistique permet, en l’occurrence, de considérer la forme du message produit dans l’objectif d’identifier les processus cognitifs mobilisés par les locuteurs. Par exemple, la mention connecteur accompagne l’identification d’une mise en relation. Les verbes au passé sont, à l’occasion, associés à des empans autoréférencés (Tableau 3).

7.1.8 Permettre de comparer la propension des locuteurs à faire appel à tels types et dimensions de processus cognitifs

Le calcul des pourcentages de chacun des types et de chacune des dimensions de processus cognitifs permet, effectivement, de procéder à des comparaisons entre ceux-ci. Sur cette base,

nous sommes parvenue à concevoir des diagrammes à bandes verticales, à partir desquels nous avons pu interpréter les différences soulevées. En règle générale, nous avons déterminé qu’il y avait bel et bien des différences entre les locuteurs, en comparant les résultats obtenus pour chacun d’eux. À ce sujet, nous avons noté, entre autres, que Mulcair était le seul à avoir recours au système des sous-jacents et donc, à s’exprimer sur ce qui le motive. Mulcair et May ne font pas non plus appel aux deux types de raisonnement dans les mêmes proportions. Mulcair a davantage recours au raisonnement inductif, alors que May mobilise les raisonnements inductif et déductif dans des proportions équivalentes. Cette distinction entre les locuteurs est très marquée pour certaines catégories de processus cognitifs, mais elle l’est moins pour d’autres, où l’on n’observe aucune différence entre ceux-ci.