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V. Discussion à propos de la prise en charge

V.2 Retour sur la clinique, lorsque les trois médiations prennent tout leur sens :

J’ai choisi de présenter cette séance en dehors de la partie consacrée à ma clinique car il s’agit d’une séance très représentative de l’intérêt d’utiliser un dispositif mêlant les trois médiations : dessin, histoire et jeu scénique.

Cette séance a lieu peu avant les vacances de Noël, les enfants participent au groupe depuis quelque temps déjà et semblent avoir pris leurs marques au sein d’un dispositif dans lequel ils sont les deux seuls patients. Trois semaines plus tôt, en salle d’attente, le père de Yacine nous avait annoncé qu’il pensait judicieux de travailler sur la phobie de son fils envers les médecins. Nous avions alors envisagé de proposer aux enfants une séance axée autour de la peur.

Nous prévoyons donc d’évoquer la peur des chiens de Théo (selon les dires de la maman), celle de Yacine, envers le corps médical, et également d’autres dont nous n’aurions pas encore connaissance. Selon les parents, rien de particulier n’est à signaler à propos de cette semaine.

A peine le sujet évoqué, Yacine parle de fantômes tandis que Théo essaye de nous dire quelque chose. Il parle doucement et nous avons du mal à le comprendre, nous entendons les mots « coincé », ce qui nous fait penser qu’il aurait pu être bloqué quelque part, et « eau », j’imagine alors que Théo pourrait avoir peur de l’eau ou de la noyade.

Nous lui proposons de dessiner pour mieux nous expliquer. Théo gribouille en orange le bas de sa feuille (ce qui me fait penser à de l’eau) puis la met en boule et la jette à la poubelle en riant. Il prend une deuxième feuille, un feutre bleu et dessine de l’eau. Dans cette eau il dessine des têtes qui semblent malheureuses, apeurées (bouche ouverte, vers

le bas) et il explique qu’elles sont « coincées ». Au-dessus, il dessine un bonhomme rempli d’eau et il dit : « c’est Louis » (son petit frère). Il fait un deuxième personnage identique mais plus gros et nous dit alors qu’il pensait que son frère allait « exploser » à cause de toute cette eau. Pendant ce temps, Yacine cherche à capter notre attention et répète l’histoire de Théo comme si cela était arrivé à lui ou à son frère : « moi aussi ».

Théo ajoute un troisième personnage explosé (selon ses mots), vide, dont les limites sont perforées. Nous émettons l’hypothèse qu’il représente Louis, explosé après avoir avalé tant d’eau. Corinne lui explique que lorsqu’on boit beaucoup d’eau, on n’explose pas forcément et qu’on peut faire pipi pour se vider. Du coup Théo prend un autre feutre (rouge), et fait un quatrième bonhomme, vide mais pas éclaté, entouré de pipi et qui en remplit la piscine (comme s’il avait bu toute la piscine et qu’il la remplissait à nouveau).45

De son côté Yacine semble affecté par ce récit et cela se ressent dans son dessin. Sa production est très « chaotique », il trace des gros traits épais qui prennent tout l’espace de sa feuille et qui recouvrent ses dessins précédents. Son tracé semble traduire de ses ressentis internes.45

Théo a beaucoup de mal à quitter la table pour passer à l’histoire et insiste pour faire deux visages souriants au dos de la feuille (peut-être reprend-il l’activité de la séance du volcan et qu’il fait un côté de peur et un côté de sérénité, comme pour dire que tout fini bien).

Nous lisons « Quand j’ai peur »46, une histoire présentant de façon très imagée la

représentation de la peur et de ses sensations. La première image du livre est particulièrement « violente » (un personnage aux traits d’un lapin est tellement apeuré qu’il en a le cœur qui sort de sa poitrine) et provoque une cascade de questions de la part de Yacine : « Pourquoi il a un trou ? Pourquoi son cœur sort ? … ». Théo de son côté se tape la poitrine, comme pour faire le battement du cœur. Quelques pages plus loin, un dessin représente l’ombre d’un monstre dans une chambre et un autre une énorme araignée. Cette page semble les atteindre encore plus, et on peut lire de la peur sur leur visage. Théo et Yacine affichent des mines inquiètes, ils sont immobiles avec quelques

45 Voir Annexe D 46 PICCOLIA, 2006

mouvements de réassurance.

A l’image suivante un personnage crie au secours, Jennifer leur explique que lorsqu’on a peur on peut crier. Théo et Yacine, répète en cœur les propositions de Jennifer : « MAMAN ! PAPA ! AU SECOURS ! ». Lors de la dernière proposition, la voix de Théo part haut dans les aigües, comme si son cri n’était plus contrôlé et qu’il appelait réellement au secours. A la fin de la lecture, Théo essaye de nous mesurer, comportement que je soupçonne d’être un palliatif à l’angoisse.

Nous passons donc à la partie jeu scénique. Je ne développerai ici que la scène jouée par Théo. Il décide de jouer sa propre histoire, à la piscine. Il prend le rôle de sa mère et Corinne joue Louis. Yacine, désireux de faire partie de la scène jouera une personne extérieure à la situation, qui se contente de nager. Nous installons un drap au sol pour figurer le bassin dans le but de favoriser le jeu, une délimitation claire et symbolique de l’espace devrait aider les enfants à se représenter la scène.

Théo semble dans l’attente que Corinne saute et se noie, il ne joue pas avant ça. Elle saute dans l’eau, mimant la noyade et appelant à l’aide, Théo la tire hors de l’eau, il ne semble pas seulement impliqué corporellement, mais aussi émotionnellement. Yacine vient alors l’aider et ajoute « en fait je suis le papa ». Après le sauvetage, Théo annonce que les personnages « rentrent à la maison », ils sortent tous de la piscine et quittent la scène. Théo salut d’abord seul dos au public, puis prend la main de Yacine et tous les acteurs font un salut collectif.

Lorsque nous revenons à l’oral sur le déroulé de la scène, Théo et Yacine nous écoutent sans interagir. En salle d’attente la mère de Théo sera très surprise qu’il nous ait raconté cette histoire, mais aussi très fière. A priori la veille, la famille était en sortie à la piscine et à la suite d’une dispute, le mari qui surveillait Louis est parti en pensant que la mère était avec lui. Nous ne comprenons pas tout le détail mais visiblement c’est le maître-nageur qui aurait récupéré Louis, lequel aurait vomi de l’eau. C’est donc très probablement cette dernière scène qui est à l’origine de l’inquiétude de Théo, ce dernier a bel et bien cru, à juste titre, que son frère risquait d’éclater après avoir avalé autant d’eau.