« Le but de toute association politique est la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme » (Article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789)« Le but des institutions sociales doit être de maintenir, entre tous les hommes, cet état de justice et de paix que la sagesse maintient entre des hommes modérés. Voilà tout le secret d’une bonne législation. » (Portalis)352
Sur le fond, la qualité d’une loi ne pourra s’apprécier qu’au regard de la fonction qui
lui est attribuée au sein du système normatif. Si, comme l’écrit Jhering, le droit « n’est que le
moyen de réaliser un but »
353, reste donc à savoir quel est le but de la loi.
Dans le cadre d’une analyse rationnelle du système juridique, la fonction de la loi
s’appréhendera au regard de son environnement normatif. Dans un tel cadre, les différents
échelons de la pyramide des normes doivent constituer un ensemble cohérent
354. Le but ou la
fonction de la loi s’appréhendera à partir du positionnement de la norme législative au sein du
système. La loi étant située, au sein de la pyramide, en dessous de la Constitution, c’est au
regard d’un rapport d’articulation entre ces deux échelons que pourra être appréciée la qualité
de la loi. Le but de la loi, dans cette perspective, consistera à permettre l’effectivité des
normes constitutionnelles. Dans cette optique, la pyramide des normes prend une allure
dynamique puisqu’il s’agit pour chacun des niveaux de l’édifice d’être une courroie de
transmission de celui qui lui est supérieur. Directement subordonnée à la norme
constitutionnelle, la loi se voit conférer la fonction de concrétiser les « valeurs
352 PORTALIS, De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIè siècle,chapitre 29.
353 JHERING, L’évolution du droit, paris, Chevalier-Marescq,1901, p.169. Voir également J.HUMMEL, « La volonté dans la pensée juridique de Jhering », Droits n°28, 1999, p.71.
354 Hans Kelsen décrit la pyramide des normes en ces termes : « L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques… »., H.KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p.299.
constitutionnelles »
355. Chaque norme constitutionnelle implique pour sa réalisation effective
l’édiction de normes corollaires. Si l’on pousse plus loin cette analyse, toutes les normes
subséquentes à la Constitution participent à la concrétisation de celle-ci
356. On passe ainsi
d’une vision statique de la pyramide des normes à la vision dynamique d’un réseau de
normes
357. Dans ce cadre, la norme constitutionnelle est ainsi caractérisée par sa dimension de
« norme-objectif » : Elle fixe des buts qui devront être poursuivis par les autorités
compétentes. Corrélativement, la loi est caractérisée par sa dimension de « norme
corollaire » : Elle devra participer à la concrétisation des valeurs posées par la Constitution.
La loi apparaît ainsi comme le trait d’union entre la Constitution et les autres normes. La
qualité de la loi sera ici envisagée sous l’angle d’une cohérence externe de la norme
législative, c'est-à-dire vis-à-vis de son environnement normatif. Cette exigence renvoie ainsi
à un rapport abstrait de norme à norme
358. La Constitution fixe des objectifs, la loi devra les
poursuivre. À cet égard, l’étude de la jurisprudence du Conseil constitutionnel permet de
constater que l’ensemble des obligations imposées par les « Sages » de la rue Montpensier
s’inscrit dans le cadre de cette exigence. Sa mission semble même se réduire à cette
confrontation abstraite entre ces deux normes
359. En effet, le Conseil constitutionnel a
développé un arsenal de techniques destinées à imposer à la loi ce rapport d’articulation
vis-à-vis de la Constitution.
Cette exigence d’effectivité de la Constitution implique, d’un point de vue rationnel la
prise en compte d’une autre exigence : l’efficacité de la législation. Celle-ci est un corollaire
de celle-là, car si la loi n’est pas efficace, les valeurs constitutionnelles ne pourront être
effectivement concrétisées. Une fois déterminé le but de la loi, reste en effet à évaluer ses
capacités à atteindre celui-ci. La logique de l’efficacité succède ainsi à la logique de
355 L’expression « valeurs constitutionnelles » désigne l’ensemble des principes, droits et libertés proclamés par la Constitution.
356 H.Dupeyroux explique à cet égard : « par les actes de pure exécution qui sont les derniers anneaux de la longue chaîne hiérarchisée des règles et des actes juridiques, le monde idéal tend invinciblement à s’enraciner dans le réel ; ce n’est que par l’accomplissement de ces actes que les règles juridiques revêtent ce caractère d’efficacité qui est une des conditions essentielles de leur positivité. Le plan idéal ne peut pas être purement théorique et abstrait ; car il est destiné à informer, non pas des relations idéales, mais la réalité naturelle. », « Sur la généralité », H.DUPEYROUX, « Sur la généralité de la loi », art cit., p.158.
357 Voir à cet égard, F.OST, De la pyramide au réseau, op. cit.
358
Dans ce sens, on peut se référer à la définition donnée à la notion d’effectivité par A. Vidal-Naquet : « En impliquant qu’il est dans la nature de la règle de droit de produire de se réaliser, l’effectivité s’intéresse au développement des virtualités de la règle de droit par le droit lui-même… l’effectivité du droit se situe à l’intérieur même du droit et la question de la réalisation du droit n’impose pas un passage par les faits. », A. VIDAL-NAQUET, Les garanties légales des exigences constitutionnelles dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Thèse Paris II, 2004, p.9.
359 O.Jouanjan considère à cet égard que pour le Conseil constitutionnel « le contrôle ne peut mettre en jeu qu’une relation binaire, la loi et la Constitution, une relation entre les textes ». O.JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, Économica, Paris, 1992, p.327.
l’effectivité. Il s’agit alors d’envisager la cohérence de la loi d’un point de vue interne : son
contenu normatif est-il en mesure de réaliser les objectifs qu’elle s’est fixés. Si cette exigence
d’efficacité s’appuie sur la cohérence interne du dispositif législatif (confrontation des
objectifs poursuivis par la loi et des moyens mis en œuvre pour les atteindre) elle renvoie à la
norme dans son rapport avec le réel (la loi produira-t-elle les effets escomptés)
360. Cette
exigence d’efficacité, de plus en plus présente dans le discours doctrinal, relève d’une
conception nouvelle du droit en général et de la loi en particulier. Les moyens de satisfaire à
cette exigence connaissent un développement dans les pratiques normatives (évaluation et
expérimentation). S’il ne s’y réfère jamais explicitement, le Conseil constitutionnel semble
prendre en compte cette exigence d’efficacité en s’immisçant dans un contrôle de la
cohérence interne de la norme et partant de son rapport avec la réalité
361.
La distinction des notions d’effectivité et d’efficacité est purement stipulative.
L’effectivité renvoie à un rapport de norme à norme alors que l’efficacité renvoie au rapport
de la norme à la réalité
362. Qu’il s’agisse de l’effectivité de la Constitution ou de l’efficacité de
la législation, les exigences portant sur le fond sont placées sous le signe de la rationalité. De
ce point de vue, on peut constater avec G.Drago que « le contrôle de constitutionnalité n’a pas
pour fonction de formuler du droit mais d’assurer sa cohérence »
363. En axant son contrôle sur
la rationalité du rapport d’articulation entre la loi et la Constitution, la jurisprudence du
Conseil constitutionnel portait en germe les évolutions axées sur la rationalité interne de la loi.
L’exigence d’effectivité de la Constitution (Sous partie I) impliquait l’exigence d’efficacité de
la législation (Sous partie II).
360 Pour une telle définition voir notamment A.JEAMMAUD, E. SERVERIN, « Evaluer le droit », D. 1992, p.265. Pour ces auteurs, l’efficacité d’un outil s’entend « de son aptitude à procurer le résultat en vue duquel il a été conçu ». « Dans le domaine qui nous occupe ici, il est plutôt question d’efficacité extra-juridique, socio-économique. Cette qualité doit s’entendre, s’agissant de l’ordre juridique considéré dans son ensemble, de sa réussite dans les missions sociétales générales qu’on lui assigne : il s’avère efficace s’il réalise la justice, assure l’ordre et la sécurité, rend prévisibles les actions et leurs résultats , etc. S’il est question d’une norme singulière ou d’un corps particulier de règles, cette efficacité réside dans l’obtention du résultat recherché par l’autorité qui l’a édicté : la délinquance baisse, la situation de l’emploi ou l’état de l’environnement s’améliore, le flux d’affaires portées devant les tribunaux diminue, le traitement de dossiers ou de litiges s’accélère, l’état de surendettement des particuliers diminue, etc.», ibid. p.265.
361 On peut renvoyer sur l’émergence de cette exigence dans le contrôle de constitutionnalité des lois à la thèse de Jean-Jacques PARDINI, Le juge constitutionnel et le « fait » en France et en Italie, Économica-PUAM, Coll. Droit public positif, 2001.
362 À cet égard, on doit constater que la notion d’effectivité est parfois entendue comme se référant au rapport qu’entretiennent la norme et la réalité. En ce sens, voir notamment J.CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème éd.2001, pp.136-148. L’auteur assimile l’ineffectivité et l’inapplication de la norme par ses destinataires. Ibid., p.137. Dans le même sens G. Cornu explique que : Appliquée au domaine juridique, l’effectivité renvoie au « caractère d’une règle de droit qui produit l’effet voulu, qui est appliquée réellement. ». G.CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 1987. Cette conception large de cette notion englobe ainsi ce que nous plaçons sous le terme d’efficacité.
363