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152 La restauration écologique est définie par la Society for Ecological Restoration

comme « le processus qui initie ou accélère l’auto-réparation d’un écosystème qui a été dégradé, endommagé ou détruit, tout en conservant sa santé, son intégrité et sa gestion durable » (SER 2004). Grâce à elle, les écosystèmes altérés pourraient se rétablir en

récupérant l’ensemble de leurs caractéristiques et de leurs fonctions dans des conditions viables avec un rétablissement de la richesse spécifique, de la composition et de la structuration spatiale et temporelle des écosystèmes ainsi que des fonctions et des interactions de tous les sous-ensembles de ces écosystèmes.

Le principe de restauration écologique préconisé en Nouvelle-Calédonie consiste à démarrer le processus de la succession primaire ou à accélérer/redynamiser le processus de la succession végétale secondaire par l’implantation d’espèces végétales pionnières dans le premier cas où et d’espèces secondaires dans le second (L’Huillier et al., 2010). Ce principe de revégétalisation des sites dégradés doit avoir pour objectif l’installation d’une couverture végétale qui puisse protéger de l’érosion, réguler les débits hydriques, la réintégration des sites impactés dans le paysage ainsi que la reconstitution de la diversité biologique et des fonctions associées. Bien que de nombreux projets de restauration écologique aient permis une amélioration de la biodiversité et/ou une restauration partielle des fonctions des écosystémiques, ils n’ont pas réussi à atteindre totalement la trajectoire visée, l’un des problèmes étant une incapacité à mimer des interactions complexes (Bullock et al., 2011). L'écologie de la restauration doit donc considérer les mutualismes plus explicitement, en particulier ceux impliquant des espèces clés de voûte (ayant un effet disproportionné sur son environnement au regard de ses effectifs ou de sa biomasse) et les ingénieurs des écosystèmes (espèces, indigènes ou étrangères qui créent ou modifient des habitats) (Traveset et Richardson, 2014). Par exemple, si les plantes dépendent des fourmis pour une dispersion réussie de leurs graines et l'établissement des semis, l'absence de relations efficaces entre les fourmis et les graines pourrait représenter un autre obstacle au développement de la végétation (Andersen et Morrison, 1998).

De ce fait, l’ingénierie écologique est proposée comme alternative puisqu’elle partage une partie des objectifs de la restauration écologique, mais s’inspire ou mime des processus écologiques en utilisant par exemple des ingénieurs de l’écosystème.

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a. L’ordre d’arrivée des espèces peut-il bloquer des fonctions comme la

dispersion de graines ?

L’ordre d’arrivée des espèces peut entraîner de grandes différences dans la structure et la fonction des communautés, car les effets sont amplifiés dans le temps et l'espace en raison de la croissance et des interactions des populations (Fukami, 2015). Ces effets sont appelés « effets de priorité » dans lesquels l'effet des espèces les unes sur les autres dépend de l'ordre dans lequel elles sont arrivées dans le milieu (Fukami, 2015).

Nos expériences nous ont montré que deux espèces de fourmis exotiques peuvent avoir un rôle opposé dans la dispersion de graines myrmécochores natives de Nouvelle-Calédonie. De plus, l’une d’entre elle est capable de cohabiter avec la faune native tandis que l’autre vide les écosystèmes de leurs communautés de fourmis et d’arthropodes. Ainsi, l’arrivée de l’une ou de l’autre dans un maquis pionnier pourrait avoir des effets complètement différents sur les capacités de restauration de ces milieux. L’ordre d’arrivée d’espèces envahissantes pourrait donc conditionner leur nuisibilité pour la succession végétale et donc le succès de la restauration. Par ailleurs, la possibilité de cohabitation entre fourmis invasives et natives semble pouvoir reposer sur la génétique des invasives avec des haplotypes aux comportements peu agressifs et peu dominants comme c’est le cas chez Anoplolepis gracilipes (Abbott et al., 2007; Fraser et al., 2015). Ainsi, l’arrivée d’haplotypes plus agressifs pourrait menacer cette cohabitation et amener à des impacts négatifs des invasives sur les communautés natives (Abbott et al., 2007). Pour vérifier l’hypothèse d’ordre d’arrivée sans omettre la génétique, une expérience pourrait être menée dans des sites de maquis pionniers. La myrmécofaune de tous ces sites devrait au préalable être retirée puis certains sites devraient être ensemencés de façon contrôlée avec des gynes de Wasmannia auropunctata ou de Solenopsis geminata qui auraient été piégées durant les vols nuptiaux et dont les comportements associés à l’haplotype seraient connus. Il serait alors possible d’évaluer l’impact de cet ensemencement sur la restauration des sites étudiés en comparant les compositions végétales des sites ensemencés par les deux espèces et non ensemencés.

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b. La succession des grillons a-t-elle un lien avec les successions

végétales ?

La Nouvelle-Calédonie possède une faune de grillon unique, riche et très diversifiée. Ces grillons sont retrouvés dans tous les types d’habitats sur substrats ultramafiques et présentent une succession de communautés dans la succession forestière avec une augmentation progressive de la richesse spécifique et de l‘abondance vers les stades les plus avancés et les plus fermés (i.e., maquis paraforestiers puis forêts denses mixtes) et une spécialisation des espèces pour chaque habitat (Anso, 2016).

Nos expériences nous ont permis de révéler l’existence d’un service de dispersion rendu par une espèce de grillon diurne, Bullita obscura. Cette observation demande à ce qu’une étude plus approfondie soit menée sur le rôle de ces macro-arthropodes dans la dispersion des graines en journée et durant la nuit afin d’évaluer plus précisément leur implication dans la succession végétale. Pour cela, nous pourrions répéter nos expériences de dispersion de graines dans un plus grand nombre de sites et en proposant d’autre graines myrmécochores.

Enfin, dans les maquis pionniers, Anso (2016) a montré que les fourmis folles jaunes Anoplolepis gracilipes sont capables de cohabiter avec les B. obscura ainsi que des fourmis natives. Nous avons pu observer dans nos parcelles d’études que S. geminata est capable de cohabiter avec les fourmis natives dans les milieux qu’elle occupe. Nous pouvons donc supposer que S. geminata, tout comme A. gracilipes, serait capable de cohabiter avec les B. obscura. Nous avons déjà pu observer dans les lisières de milieux fermés étudiées que ces grillons étaient présents lorsque S. geminata envahissait le milieu. Pour répondre plus précisément à ces questions, nous pourrions réaliser une étude des communautés de grillons dans un plus grand nombre de parcelles envahies et non envahies par S. geminata.

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c. Pourrait-on faire de l’ingénierie écologique avec une fourmi introduite ?

Les fourmis sont considérées comme des ingénieurs des écosystèmes par leurs impacts mécaniques et chimiques sur le sol, suceptibles d’entrainer une modification de la composition et l'abondance des espèces de plantes (Woodell, 1974; Folgarait, 1998; Boulton et Amberman, 2006). Ceci s’ajoute à leur rôle d’agent de dispersion important des graines, elles peuvent être utilisées pour des projets de restauration d’écosystèmes. Par exemple, dans le cadre de la réhabilitation d’un chantier de dépollution après une fuite d’hydrocarbures de la plaine de Crau, la fourmi moissonneuse Messor barbarus est apparue comme un ingénieur des écosystèmes potentiel pour compléter le travail entrepris en accélérant la redistribution des graines viables et restaurer ainsi la structuration de la végétation qui fait encore défaut (Bulot, 2014; Bulot et al., 2014). Enfin, les fourmis ont une grande résistance aux différents types de pollution de l'environnement qui accompagnent les activités humaines, en particulier les espèces invasives. Ainsi, elles jouent un rôle très important en tant que colonisatrices des nouveaux habitats résultant des activités anthropiques (Jarešová et Kovář, 2004).

Nos travaux montrent que certaines fourmis introduites ne sont pas toujours « mauvaises » pour les écosystèmes perturbés et qu’elles pourraient être valorisées dans une perspective d’ingénierie écologique. En effet, dans les milieux néo-calédoniens sur substrats ultramafiques dégradés par l’activité minière et où les feux de brousse sont réccurents, la restauration écologique sous forme de revégétalisation a essentiellement favorisé des espèces de fourmis introduites ainsi qu’un recouvrement important du sol par des plantes herbacées, dont certaines sont myrmécochores comme L. perteres. Nos résultats montrent que la revégétalisation initie une nouvelle dynamique écologique fondée sur un néo-assemblage d’espèces intégrant les espèces introduites comme S.

geminata. Cette dernière semble notamment capable de jouer un rôle positif dans la

dynamique de ces habitats (où les niches écologiques perturbées ne sont plus occupées par des espèces natives) en prenant un relai de fonction permettant l’établissement ou le rétablissement de certaines espèces végétales.

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