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4 Biologie de la Truffe, ou comment se reproduit-elle ?

4.3 Reproduction de la Truffe : découvertes récentes et points non résolus

Les facteurs induisant la reproduction sexuée de la Truffe ne sont pas connus, et de nombreux brûlés, pour lesquels la présence végétative de la Truffe a été vérifiée, restent non-producteurs. Des études en laboratoire sur des Ascomycètes unicellulaires et filamenteux ont mis en évidence l’importance de facteurs comme la modification du substrat (notamment la restriction en nutriments), de la luminosité, du pH et des conditions atmosphériques, induisant la reproduction soit végétative, soit sexuée (Debuchy et al., 2010). Pour les champignons dont la fructification est visible à l’œil nu (les macromycètes), très peu d’études ont caractérisé les facteurs induisant la fructification, et il semblerait que des variations abruptes de disponibilité en eau et en nutriments, ainsi que de température puissent affecter le développement du mycélium, initiant la formation des fructifications (Oei, 2003 ; Kües & Liu, 2000). Pacioni et al. (2014) ont montré que l’initiation des jeunes ascocarpes chez la Truffe est favorisée par un stress hydrique et que leur formation est précédée par une intense activité du mycélium (mesurée par émission de CO2). De manière générale, il semblerait qu’un stress hydrique modéré soit bénéfique au développement végétatif de la Truffe (taux de mycorhization ; Olivera et

al., 2014), ce qui indique que l’irrigation doit être menée avec parcimonie pour favoriser l’entretien

des truffières.

b- Formation de l’ascocarpe & mode de reproduction de la Truffe

Comme typiquement chez les Ascomycètes (Fig. 6), les ectomycorhizes de Truffe sont formées par le mycélium haploïde (Rubini et al., 2014). Lors de la reproduction, les génets présents localement au niveau des ectomycorhizes vont jouer le rôle de l’individu maternel, formant la gléba, chair stérile des ascocarpes (Rubini et al., 2011b) à la nutrition desquels ils participent (Fig. 9). Une expérience de marquage isotopique de CO2 a en effet permis de suivre le carbone issu de la photosynthèse de l’arbre hôte, mettant en évidence que la nutrition carbonée de l’ascocarpe provient de l’arbre en transitant par les ectomycorhizes, liés à l’ascocarpe par des liens encore non observés (Le Tacon et al., 2013). La source d’autres composés (azote, phosphate, etc.) n’a pas pu être identifiée par cette technique, mais ils pourraient être absorbés directement dans le sol par les houppes mycélienne de la Truffe (Barry et

al., 1994) et/ ou impliquer des bactéries, notamment fixatrices d’azote, de l’ordre des

Bradyrhizobiaceae (Antony-Babu et al., 2014 ; pour T. magnatum, Barbieri et al., 2010).

Englobé par la gléba, l’ascocarpe contient des milliers de spores fortement mélanisées (Fig. 8), ainsi rendues résistantes à un passage dans un tube digestif (Piattoni et al., 2014). Il est établi que ces spores résultent de reproduction sexuée hétérothallique (Rubini et al., 2011b), alors que la Truffe avait longtemps été considérée comme homothallique. Cette hypothèse avait été avancée à cause de

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l’absence d’hétérozygotie observée lors d’une des premières études utilisant des marqueurs génétiques codominants (deux marqueurs microsatellites permettant de détecter des allèles différents, c’est-à-dire des hétérozygoties [Encadré 8]; Bertault et al., 2001). La présence d’hétérozygotie aurait alors ouvert l’hypothèse d’un croisement entre deux individus chez cette espèce haploïde. Cependant, il est vraisemblable que seul l’ADN de la gléba avait été extrait et/ou les deux marqueurs microsatellites utilisés étaient trop peu polymorphes (porteurs de peu de variabilité génétique). Quelques années plus tard, le séquençage du génome de la Truffe (souche haploïde Mel28 ; Martin et al., 2010) a révélé la présence d’un allèle de type sexuel (MAT 1-2-1, abrégé en MT2 pour la suite) caractéristique d’hétérothallisme [Encadré 10]. La séquence du type sexuel opposé, MAT 1-1 (abrégé en MT1), a pu ensuite être identifiée (Rubini et al., 2011b). La Truffe est donc un champignon hétérothallique, comme le confirme la présence des deux types sexuels au sein des ascocarpes lorsque que l’ADN des spores est extrait par un procédé spécifique (Paolocci et al., 2006), qui 1) concentre les ascospores et 2) rompt les asques et la paroi des spores (Fig. 8). Ainsi, le génotype maternel est identifié en travaillant sur l’ADN de la gléba, et celui du père peut être déduit en soustrayant le génotype maternel à celui du zygote, obtenu en travaillant sur l’ADN des spores. Cette particularité de la Truffe en fait un modèle biologique fongique original, car les génotypes parentaux ne peuvent pas être atteints directement chez d’autres espèces.

Figure 8. a. Ascocarpe de Truffe (T. melanosporum) ouvert en deux (a.) et broyat d’un échantillon de

cet ascocarpe avec présence de fragments de gléba avant isolement des asques (grossissement x 100 ; M. Sauve, b.) et spores isolées et éclatées (grossissement x 400 ; A. Guillen, c.).

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c- Ségrégation spatiale des types sexuels

Les deux premières études cartographiant les génotypes présents sur des brûlés indiquent que plusieurs génotypes peuvent coexister autour d’un même arbre, partageant curieusement souvent le même type sexuel (Rubini et al., 2011a ; Murat et al., 2013). Les types sexuels sont donc distribués en plages homogènes dans les populations. Lorsque de jeunes plants sont inoculés par un broyat de plusieurs truffes (avec des spores des deux types sexuels), les ECMs sont formées par des génotypes haploïdes des deux types sexuels. Mais après plusieurs mois, l’un des types sexuels prend le dessus (Rubini et al., 2011a). Etant donné que la fructification nécessite la rencontre des deux types sexuels opposés, ces observations ont été interprétées comme un élément possiblement limitant pour la production d’ascocarpes (Rubini et al., 2014 ; Zampieri et al., 2012 ; Murat et al., 2013), mais cela nécessite de plus amples études ; de plus, la distribution agrégée des types sexuels, observés visuellement (Rubini et al., 2011a ; Murat et al., 2013), reste encore à être vérifiée par des analyses statistiques spatiales (Chapitre III, Article 4). Les mécanismes impliqués, comme des incompatibilités végétatives qui seraient liées au type sexuel, ainsi que les processus évolutifs en cause restent spéculatifs et sont discutés dans le troisième chapitre de cette thèse.

d- D’où viennent les génotypes paternels ?

Alors que les génotypes maternels sont présents localement au niveau des racines (Rubini et al., 2011a ; Murat et al., 2013), la provenance des gamètes paternels impliqués dans la reproduction reste inconnue (Fig. 9). Ces individus pourraient être présents localement, colonisant des supports qui n’ont pas été examinés jusqu’à présent. La présence de mycélium libre dans le sol est moins probable, du fait des capacités saprotrophes limitées de la Truffe (Martin & Bonito, 2012). La présence de spermaties dispersées par voie aérienne pourrait être une autre possibilité, récemment découverte chez de nombreuses espèces de l’ordre des Pézizales, dont des Tuber (Urban et al., 2004 ; Healy et al., 2013). Ces spermaties ne semblent pas germer en un mycélium libre, ce qui renforce l’hypothèse de leur rôle gamétique. Leur existence n’a cependant jamais été observée chez T. melanosporum (Fig. 9).

e- Structure des populations et la main de l’homme

Il est communément considéré que la Truffe, champignon hypogé, disperse ses spores principalement par endozoochorie (passage dans le tube digestif d’animaux mycophages), mais il est possible qu’une dispersion aérienne de spermaties (Urban et al., 2004 ; Healy et al., 2013) contribue à la dispersion génétique. La question d’un éventuel flux génétique lié au déplacement des gamètes mâles a été abordée par l’analyse de la structure génétique des populations de Truffes à différentes échelles dans l’Article 4 (Chapitre III). De plus, la structure des populations présentes sur les brûlés des truffières spontanées n’a jamais été décrite de façon exhaustive et il est probable que l’utilisation de plants inoculés par un broyat composé de nombreuses truffes modifie cette structure. Au-delà de potentielles différences liées à l’inoculum initial, il est probable que des pratiques culturales telles le travail du sol et le réensemencement (Fig. 5c) intensifient la dispersion et augmentent la diversité des individus qui s’apparient. A plus vaste échelle, il est possible que la diversité génétique soit globalement appauvrie et surtout homogénéisée spatialement du fait de l’utilisation de plants inoculés issus de quelques grandes pépinières, au moins en truffières plantées. L’impact du phénomène de proto-domestication sur la structure génétique des populations de Truffes n’a jamais été étudié. L’Article 4 (Chapitre III) proposera une première comparaison des truffières spontanées et plantées.

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Figure 9. Cycle de la Truffe illustrant les différents mécanismes biologiques possibles impliqués dans la reproduction, inspirés d’autres cycles

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