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Chapitre 4 : Synthèse de l’analyse des entretiens

5. La reprise des études : pourquoi ?

A ce stade de notre synthèse, il nous faut évoquer les éléments revêtant du sens par rapport à notre question de recherche initiale :

« Pourquoi des travailleurs/praticiens installés dans leur vie professionnelle décident-ils d’interrompre en partie ou totalement leur activité professionnelle pour entreprendre des études universitaires ? »

Il y a autant de raisons d’entamer une formation universitaire, après l’âge « classique », qu’il y en a pour y renoncer, mais tout engagement est réfléchi et vu comme une solution à un problème qui se pose, bien souvent, en amont. Que ce soient pour des raisons privées, familiales ou professionnelles, il ne nous appartient pas de juger de la pertinence de ces choix.

Nous avons ainsi repéré plusieurs motifs amenant nos interviewés à entrer dans une dynamique de formation.

75 En premier lieu, la formation est perçue comme une issue à une carrière professionnelle qui stagne et où toute évolution de poste est refusée sous le couvert d’une licence universitaire absente du parcours de formation. La licence ouvre alors l’accès à davantage de postes dits de niveau supérieur nettement plus stimulants avec, à la clé, des responsabilités accrues. Fond-Harmant (1996) le souligne d’ailleurs très bien : « … les individus sont particulièrement sensibles à l’aspect finalisant d’une formation diplômante et attendent, de l’institution universitaire, une certification et un niveau de reconnaissance sociale. » (p. 74)

La reconnaissance professionnelle est également un des principaux moteurs de la reprise des études et, par là même, d’une reconversion professionnelle. Cloé a d’ailleurs bien souligné l’importance de cette reconnaissance. Paradoxalement, aucun des interviewés ne met l’accent sur un désir de revanche sociale ou de promotion socio-économique. Est-ce imputable au milieu d’origine sociale plutôt élevé chez nos interviewés ?

Cette quête de certification rejoint alors l’hypothèse suivante :

« Le fait de reprendre des études correspond à la volonté d’obtenir un diplôme dans le but de se réinsérer dans la vie active, parfois suite à une longue absence sur le marché du travail. »

Nous constatons que le diplôme est la condition sine qua non pour amorcer une nouvelle carrière et surtout pour la rendre légitime aux yeux des autres membres de la société. Le diplôme atteste des compétences et du savoir-faire de celui qui le détient.

A ce niveau, nos trois interviewés convergent, tous ont ce besoin de légitimation. Cloé l’a d’ailleurs exprimé, elle sait très bien que l’Université est la « voie royale » pour être reconnue comme formatrice d’adultes. Elle écarte ainsi, volontairement, toutes les autres formations certifiantes s’y rapprochant, mais qui ne sont pas dispensées par l’Université. Elle a besoin de se plonger dans le milieu académique.

Quant à Dorothée, étant déjà diplômée en psychologie, elle exprime une grande satisfaction d’avoir obtenu ce titre à plusieurs reprises. Son diplôme lui a donc permis de retrouver un emploi de qualité après une longue absence sur le marché du travail. De plus, pour devenir psychologue, il n’y avait pas d’autres solutions que de se former à l’Université, au sein de la faculté de Psychologie et d’obtenir, ainsi, son Master.

Pour Rémy, étant plus jeune, il n’est pas question d’absence sur le marché du travail, mais il insiste, peut-être encore davantage que les autres, sur la nécessité d’être diplômé pour trouver un travail intéressant, où il pourra mobiliser ses nouvelles compétences de formateur. Il est également le seul à avoir rapidement ressenti une certaine désillusion. En effet, aucun métier ne pourra jamais lui offrir une vue d’ensemble aussi vaste et complète de la formation des adultes que celle perçue durant ses études. Il ressent même de la déception, à plusieurs reprises, lorsqu’il postule et prend conscience de la tâche réelle qui l’attend. Cependant, il ne regrette à aucun moment, ni ne remet en cause le choix, de s’être formé à l’Université. On lui a trop souvent fermé la porte au nez en prétextant l’absence d’un Master pour qu’il regrette cette décision.

Le diplôme universitaire semble donc être une très bonne solution pour s’insérer professionnellement. En effet, le chômage touche davantage les personnes trop peu qualifiées.

76 Un retour dans le monde professionnel est ainsi accéléré lorsque la personne est au bénéfice d’un diplôme, comme l’exprime Jacques Delors (1996) : « un système plus flexible permettant la diversité des cursus, des passerelles entre divers ordres d’enseignement ou bien entre une expérience professionnelle et un retour en formation sont des réponses valables aux questions posées par l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail. » (p.16)

Pour revenir à notre question de recherche, la volonté d’entamer un processus de formation, permettant de côtoyer des personnes se retrouvant dans la même situation, est également recherché. L’étudiant vit alors de manière très positive ce sentiment d’appartenir à un groupe où de l’entraide et du soutien se développent, parfois même au-delà de l’Université, avec la création d’un futur réseau professionnel. Ce phénomène est particulièrement visible en Sciences de l’éducation, contrairement à la Faculté de psychologie, où règne, visiblement, un climat de compétition impropre à toute entraide.

L’intérêt cognitif pour les études est également une source d’engagement. Nos trois étudiants éprouvent une grande attirance pour les concepts théoriques. Cela a directement une incidence sur l’apprentissage. En effet, selon Fenouillet (2003), « L’intérêt semble malgré tout permettre à la fois une meilleure acquisition des connaissances et de développer une plus grande qualité d’apprentissage. » (p. 134)

Dans certains cas, l’entrée en formation peut également être perçue comme une fuite en avant, une échappatoire permettant de dépasser une épreuve ou une situation familiale particulièrement éprouvante, telle que, par exemple, une séparation ou un divorce.

Suite à ce tour d’horizon, il est important de préciser encore certains points. En effet, l’entrée en formation, outre les motifs que nous venons de citer, peut également être à l’origine de raisons beaucoup plus personnelles. Bourgeois (2000) le souligne d’ailleurs très bien dans l’ouvrage : Constructions identitaires et mobilisation des sujets en formation :

« On entre en formation, par exemple, pour développer des compétences, pour nouer des liens avec autrui, ces objectifs étant mus par des enjeux plus profonds tels que par exemple, assurer une plus grande autonomie de vie, mieux assumer son rôle de parent, de travailleur, de citoyen, négocier un tournant important de sa trajectoire de vie, sortir de la solitude, établir ou enrichir des liens familiaux, etc. » (p.94)

Ces raisons sont parfois clairement exprimées lors des entretiens, parfois à peine énoncées, d’autres fois, nous pouvons nous demander si, en effet, des raisons plus personnelles n’entreraient pas en ligne de compte. Ces raisons peuvent être dissimulées par pudeur ou par crainte de se révéler dans ce type d’entretien.

Une charge émotive est également associée à l’entrée en formation, qui peut rapidement prendre des allures de challenges que le sujet se lance à lui-même : Est-ce que je vais parvenir à mener à terme cette formation, vu mon âge et mon parcours d’études ? En suis-je capable ? Cet énoncé nous renvoie, à nouveau, aux enjeux identitaires : estime de soi, confiance en soi, persévérance sont autant de sentiments qui vont être revisités et mis à l’épreuve durant la formation.

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Chapitre 5 : Conclusion

La formation met à l’épreuve le nouvel étudiant dont la réussite dépend de ses capacités à se déjouer des difficultés qui se dressent sur son chemin. Une profonde autodétermination est une des conditions nécessaires à la réussite de son projet. On constate que la famille joue alors un rôle extrêmement important, car c’est cette dernière qui va agir sur la tournure que va prendre la situation d’apprentissage. La troisième hypothèse - à savoir : « Le fait de pouvoir reprendre des études permet de se libérer du diktat parental. Choisir le type d’études que l’on souhaite poursuivre suscite alors un sentiment d’autodétermination et de réalisation de soi. » - s’est donc avérée juste, compte tenu des conclusions que nous avons pu tirer de l’analyse des interactions familiales.

L’environnement social, quant à lui, est pris en compte dans un souci de légitimation et d’intelligibilité. En effet, lorsqu’un individu s’engage dans une formation, il apprécie que son entourage partage sa position et son point de vue afin de demeurer dans une certaine norme propre à la société, en se basant sur des significations partagées. Le diplôme obtenu est donc la preuve de cette légitimité et nous renseigne sur son nouveau statut socioprofessionnel.

L’ancien étudiant adopte ainsi un nouveau rôle social : psychologue ou formateur d’adultes.

Notre première hypothèse - « Le fait de reprendre des études correspond à la volonté d’obtenir un diplôme dans le but de se réinsérer dans la vie active, parfois suite à une longue absence sur le marché du travail. » - portait précisément sur la réinsertion rendue possible grâce à ce titre universitaire et s’avère donc correcte.

Au niveau de la sphère individuelle, nous avons pu constater que la problématique identitaire est un élément central dans toute démarche d’engagement en formation : « A travers sa formation, l’adulte forme et transforme son identité. Cette phase intensive de construction de soi débute dès l’émergence, encore fragile, du besoin ressenti de retourner en formation. » (Bélanger, 2007) L’entrée en formation s’inscrit alors dans une démarche de stratégies identitaires visant à réduire ces tensions, résultant d’un décalage entre l’image de soi perçue et l’image de soi désirée. Ces moments de crises et de tensions vont être propices à l’orientation du sujet vers un projet de formation visant à réduire, au mieux, l’écart entre les différentes perceptions du soi. L’importance accordée au développement personnel et à la construction d’une image positive de soi ressort de façon significative tout au long de ces entretiens.

Un autre élément essentiel pour entrer dans une dynamique de formation est la motivation.

Cette dernière s’avère nécessaire pour que l’effort perdure dans le temps et que la première difficulté ne se solde pas par un abandon. Il faut que l’envie de se former vienne de soi, Carré (2005) le dit fort bien : « Les individus ne planifieront des actions cohérentes d’éducation et de formation tout au long de leur vie qu’à la condition d’avoir envie d’apprendre. » (p. 121) Schwartz (1994), quant à lui, va même jusqu’à dire : « Un adulte n’accepte de se former que s’il peut trouver dans la formation une réponse à ses problèmes, dans sa situation. » (cité par Carré, 2005, p. 122)

Le retour en formation, à l’âge adulte, montre bien que tout parcours professionnel n’est pas irréversible, la formation universitaire n’appartient pas seulement à la jeunesse, fort heureusement.

De même, l’Université joue un rôle non négligeable dans l’aide à la restructuration biographique. En effet, chaque étudiant voit son existence chahutée par les différents événements surgissant tout au long de sa vie (rupture sentimentale, crise, reconversion

78 professionnelle, etc.). Il s’agit de cas typiques illustrant un retour en formation, car la normalisation des cycles de vie est de moins en moins courante dans notre société, comme le souligne Fond-Harmant (1996) :

« Cette contre-tendance contemporaine est inhérente aux transformations de la vie professionnelle (alternance de périodes de formation-chômage-emploi…) comme à celle de la vie familiale (différemment de l’âge au mariage et à la procréation, développement des séparations divorces et remariages etc…). (…) les Universités jouent un rôle important et original s’agissant de rendre possible cet assouplissement des relations entre l’âge et l’activité, ce recul des limites de l’irréversible en matière de vieillissement. » (p.266)

L’Université permet à ces personnes de retrouver un certain contrôle, grâce à l’acquisition de nouvelles valeurs leur permettant, peu à peu, de réguler leur existence tout en se ressourçant.

Elles occuperont un autre rôle professionnel, mettant alors en route une nouvelle socialisation.

Nous pouvons distinguer également un rôle politique que joue l’Université, comme Fond-Harmant (1996) le souligne en guise de conclusion dans son livre, Des adultes à l’Université :

« En formant des hommes et des femmes à des savoirs et à des capacités de réflexion des plus hauts niveaux de qualification, les Universités remplissent un rôle socio-économique incontestable. Tout en participant à l’élaboration de restructurations existentielles, elles remettent sur le marché du travail des individus formés et qualifiés, et qui ont encore à accomplir une bonne partie de leur vie professionnelle. Elles permettent des conversions professionnelles vers des secteurs en développement et elles actualisent des connaissances rendues obsolètes. » (p. 268)

Cette citation démontre bien que la deuxième hypothèse de notre travail – « Le fait de reprendre des études permet de se reconvertir professionnellement lorsqu’il n’y a plus de perspective professionnelle ou lorsque l’ambiance, ou l’ennuyeuse routine, n’apporte définitivement plus aucune satisfaction. La reprise des études correspond alors au désir de reprendre en main son avenir professionnel. » - s’avère être fondée. L’Université, via la formation qu’elle offre, peut permettre aux apprenants de se reconvertir afin de quitter un domaine professionnel qui ne leur convient plus, que cela soit dû à une routine lancinante ou à un contexte de travail qui n’est plus en adéquation avec les valeurs portées par l’employé.

Dans ce contexte économique saturé, il est donc important que l’Université continue à s’intéresser, en plus des étudiants traditionnels, à ce nouveau public visant une reconversion professionnelle utile, voire nécessaire, à leur régulation biographique ainsi qu’au maintien de leur équilibre. L’heure de la formation tout au long de la vie tend à devenir le principal enjeu politique des secteurs de l’emploi.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la reprise des études, intervenant suite à une rupture professionnelle, est un pari difficile, audacieux mais également coûteux. L’étudiant va prendre de réels risques, d’autant plus qu’il est de moins en moins facile, en prenant de l’âge, de retrouver un emploi.

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