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UN INCONNU RéFLéChIT

REPRENONS LES BASES

Le Hacker, ce personnage nébuleux qui faisait autrefois plutôt partie des romans de fiction, n’est pas tout à fait tel que l’imaginaire commun le dépeint aujourd’hui. Car malgré la très fameuse troisième loi d’Arthur C. Clarke [209], il n’est pas encore ce magicien manipulateur tout puissant reclus dans son antre technologique et il n’est pas non plus, d’après quelques figures diplomatiques, ce dangereux cyber-terroriste qui nuirait à la société et à l’intérêt de toute personne qui ne sécuriserait pas assez bien ses données (je risque de faire un peu de vulgarisation mais c’est qu’il est trop changeant pour être défini par des mots alors je vous conseille de lire entre les lignes, ça sera plus compréhensible).

Notons rapidement que les hackers, pour moi, préexistaient bien avant l’invention du réseau mondial, mais leur façon de penser, leur rapport au monde et aux choses, leur manière de vivre n’a pu se diffuser correctement que depuis l’apparition de « l’idéologie Internet » faite de partage et d’ouverture, de savoir et de diversification.

Alors, avant tout, le hack, qu’est ce que c’est ? En anglais « to hack » revêt plu- sieurs significations, la première étant simplement « tailler, trancher, couper » et la seconde, plus récente et désormais plus populaire, concerne l’informatique : « pirater, rentrer par effraction, altérer ou modifier (un programme), accéder à (un réseau, un ordinateur) sans avoir d’autorisation » [210]. Il est donc très facile, avec ce genre de définition assez floue, de confondre le hacker avec un simple cambrioleur (mais ici ce n’est pas un mal que de laisser les concepts ouverts à toute possibilité).

« To hack » peut aussi être traduit par les verbes suivants « bidouiller ou bricoler » qui finalement se rapproche bien plus de ce qu’est un véritable hacker : en réalité l’intérêt du hack ne se situe pas dans le dérobage de données mais plutôt dans la capacité de pé- nétrer les systèmes sans y être invité, de les détourner, et cette démarche peut dévoiler les failles existantes en leur sein et peut ouvrir sur de nouvelles possibilités.

[208] Alain Damasio, Op. Cit.

[209] « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie », loi trouvable dans sa révision de 1973 de Hazards of Prophecy: The Failure of Imagination, paru originellement en 1962 dans Profiles of the Future. [210] Appuyé par les définitions disponibles en ligne issues de wordreference et du wiktionary.

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40 // hacklab.to Le hacklab de Toronto en 2015 Photographies de Quitterie Largeteau

ET L’AUTRE

Le concept du hack peut donc être vu à tout niveau (architecture matérielle, informa- tique, biologique, sociologie, politique...) et s’applique tant qu’on essaye de comprendre des systèmes et parfois d’améliorer ou juste de bouleverser des situations.

Bien sûr certains échappent à la règle et à mes propos, le hacker sait porter différents chapeaux (wink), mais voyons l’ensemble du mouvement et admettons qu’ils effraient ceux qui ne les comprennent pas, ceux qui écartent la nécessité (ou la simple envie) de sonder les profondeurs d’un système, ceux qui trouvent leur place sans aucune vérification de l’endroit où ils se sont assis, mais la vérité est simple : ces citoyens, souvent marginaux, possèdent un véritable attachement pour l’exploration, pour l’expé- rimentation et la liberté.

Ils ont certes une grande aisance à remettre les choses en cause mais ils possèdent aus- si un très fort attachement au jeu et au plaisir de créer quelque chose, sans contrainte. Dans tous les groupes de hacking, dans tous les hacklabs (fig. 40) ce sont des choses que l’on retrouve facilement, il y a toujours des dizaines d’objets uniques et improbables, cassés ou démontés, et il n’est pas rare de voir quelqu’un hacker quelque chose par jeu ou par défi : l’important c’est d’ouvrir le champs des possibles.

S’il était possible de résumer succinctement la pensée-hack ça donnerait quelque chose comme : « à chacun son code moral, ses envie de création, son ouverture et sa tempo- ralité, nous sommes multiples et sans limites ».

D’ailleurs peu importe le sujet ou l’action entreprise, les hackers sont là pour com- prendre, améliorer ou détériorer le fonctionnement de tout ce qui passe à portée de connexion... ou à portée de main (du moins tant que c’est amusant ou digne d’intérêt). Ils ne s’imposent quasiment rien et se laissent souvent guider par leurs envies du moment, ce qui, d’une certaine manière, témoigne d’un rapport au monde bien loin de l’idéologie du travail comme composante principale des individus et cela démontre rapidement leur non-appartenance à la norme.

« Modifier les formes du travail est un sujet lié à la fois au respect des travail- leurs, mais aussi au respect des êtres humains en tant que tels. Les hackers ne sous- crivent pas à l’idée que ‘‘ le temps c’est de l’argent ‘‘, préférant affirmer ‘‘ c’est ma vie ‘‘. C’est précisément cette vie que nous devons embrasser pleinement et pas une version bêta et creuse. » [211]

C’est pour ça qu’ils sont si importants pour la société et qu’ils tiennent une place prédominante ici même : ils questionnent le monde. Ils savent reculer, détourner, s’amu- ser, casser les codes et la norme, ils pensent en marge, ils élargissent la réflexion et ne se contente pas de papiers verts, préférant l’idéologie d’un monde libre et gratuit.

Quoi qu’il en soit, puisque les hackers ont toujours existé d’une manière ou d’une autre, presque en parallèle d’un monde tourné vers l’hyperactivité et l’hypercontrôle, la seule chose qui leur a permis de vraiment prendre de l’ampleur c’est la connexion des savoirs et la multiplicité des flux. En somme, Internet devient le terreau sur lequel pousse les idéologies de partage, de libre accès à la connaissance, d’open source intel- lectuel. L’envie de bidouillage et d’appropriation des technologies a été instantanée : voir où tout cela peut conduire, arpenter un chemin nouveau. Et à mesure que les machines sont devenues essentielles au fonctionnement de nos sociétés, les hackers ont pris de l’importance parce qu’ils comprennent leur fonctionnement, ils savent lire le Code et, dans le cyberespace naissant, ils taillent un chemin à travers les données.

[211] Pekka Himanen, L’Éthique Hacker, Broché, 2001 (trad. Claude Leblanc)

ET L’AUTRE

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