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Repr´esentation de phrases normatives avec CO

Nous allons ´etudier dans cette section la repr´esentation de phrases normatives, i.e. de phrases portant sur des obligations, des permissions, des interdictions. Nous allons consid´erer que les obligations, permissions et interdictions ne porteront que sur des ´etats du monde et non pas sur des actions par exemple. Ainsi, on pourra ´ecrire « il est obligatoire que α soit vraie » si α repr´esente une description du monde. On ne pourra pas exprimer par exemple qu’« il est interdit de faire a » o`u a repr´esente une action.

Nous avons vu dans le chapitre 3 que l’on pouvait repr´esenter des phrases normatives, en particulier les Contrary-to-Duties, en utilisant une s´emantique fond´ee sur un ordre sur les mondes possibles. Nous allons donc utiliser CO pour mod´eliser les phrases normatives, puisque nous disposons grˆace `a CO d’un pr´eordre sur les mondes. Dans cette ´etude, nous allons distinguer trois types de phrases normatives : tout d’abord les phrases normatives non conditionnelles sans exception qui sont les plus simples, puis les phrases normatives avec exception et enfin les Contrary-to-Duties. Ces travaux ont ´et´e pr´esent´es dans [34], [36] et [38].

5.2.1 Phrases normatives non conditionnelles sans exception

Les phrases normatives non conditionnelles sans exception sont des phrases qui peuvent ˆetre de trois types :

– une obligation, comme par exemple « il est obligatoire que α soit vraie ». Nous consid´erons que l’interpr´etation de cette phrase est la suivante : les mondes les plus pr´ef´er´es v´erifient α ;

– une permission, comme par exemple « il est permis que α soit vraie ». La s´emantique de cette phrase est la suivante : il existe un monde parmi les mondes les plus pr´ef´er´es qui v´erifie α ;

– une interdiction, comme par exemple « il est interdit que α soit vraie ». Dans ce cas, nous consid´erons que le sens donn´e `a cette phrase est le suivant : les mondes les plus pr´ef´er´es v´erifient ¬α.

La s´emantique que nous donnons `a la notion d’obligation est assez proche de celle de SDL. En effet, dans SDL, la seule contrainte impos´ee `a la relation d’accessibilit´e entre les mondes est la s´erialit´e. On peut donc voir notre interpr´etation comme utilisant une relation d’accessibilit´e qui associe `a un monde le monde le plus pr´ef´er´e du mod`ele (elle est ´evidemment s´erielle).

Dans cette optique, on peut supposer que l’on utilise l’op´erateur d’id´ealit´e I(−|>) pour repr´esenter une obligation du type pr´ec´edent. Par exemple, mod´elisons la phrase « il est obligatoire que les murs de la maison soient blancs » par I(B). Les mod`eles de I(B) ≡↔3 2B sont tels que qu’il existe un monde w0 qui v´erifie B et tels que tous les

mondes au moins autant pr´ef´er´es que w0 v´erifient B. Si on consid`ere une autre variable

propositionnelle C, alors le mod`ele suivant est un mod`ele de I(B) : B C ≤ ¬B C ≤ ¬B ¬C ≤ B ¬C

On peut remarquer que le moins pr´ef´er´e des mondes est un monde qui v´erifie B et donc l’obligation. On pourrait penser que tous les mondes qui v´erifient B devraient ˆetre pr´ef´er´es aux mondes qui v´erifient ¬B. Dans ce cas, on exprime une pr´ef´erence stricte (cf. [13]). Or, l’obligation doit ˆetre vue en terme d’id´ealit´e : dans tous les mod`eles de I(B), B doit ˆetre vraie dans le monde le plus pr´ef´er´e. On peut remarquer comme nous l’avons pr´ecis´e auparavant que la s´emantique de SDL est bas´ee sur une relation d’accessibilit´e s´erielle : la seule contrainte qu’il existe sur la relation est qu’`a partir d’un monde il y a toujours au moins un monde accessible. En particulier, il existe des mod`eles dans lesquels il n’y a qu’un seul monde v´erifiant B accessible et non pas tous les mondes v´erifiant B. On peut enfin remarquer que I v´erifie plusieurs propri´et´es identiques `a l’op´erateur O de SDL :

Propri´et´e 5.2.1. L’op´erateur I v´erifie les sch´emas d’axiomes et la r´egle suivants : OC I(α) ∧ I(β) → I(α ∧ β)

ON I(>)

OD ¬I(⊥)

ROM `I(α)→I(β)`α→β

L’utilisation de l’op´erateur I(−) comme op´erateur d’obligation ne nous permettra donc pas d’´echapper aux contradictions g´en´er´ees par SDL. Comme nous l’avons pr´ecis´e dans le chapitre 3, trouver un op´erateur qui ne respecte pas les sch´emas d’axiome et les r`egles d’inf´erences engendrant les paradoxes de SDL n’est pas un travail ´evident. Nous allons donc choisir I(−) comme op´erateur d’obligation, tout en sachant que nous pouvons g´en´erer des paradoxes avec cette approche.

D´efinition 5.2.1. Les op´erateurs d’obligation, de permission et d’interdiction que la pro- position α soit vraie sont d´efinis respectivement par I(α), ¬I(¬α) et I(¬α).

5.2.2 Phrases normatives avec exception

Nous allons maintenant nous int´eresser `a la mod´elisation de phrases normatives avec exception. Par phrases normatives avec exception, nous entendons une des deux phrases suivantes :

– « α est interdite, mais si β est vraie, alors α est permise » ; – « α est interdite, mais si β est vraie, alors α est obligatoire »

Remarquons que dans ces deux phrases, la premi`ere interdiction n’est plus en effet d`es que β est vraie. En particulier, si β est vraie, on ne viole pas la premi`ere interdiction si

α est vraie. Nous allons profiter des propri´et´es de I(−|−) qui est `a la base un op´erateur permettant d’exprimer des pr´ef´erences r´evisables pour mod´eliser ce genre de phrases nor- matives.

D´efinition 5.2.2. Une phrase « il est interdit que α soit vraie, mais si β est vraie, alors α est autoris´ee » sera mod´elis´ee par la formule I(¬α) ∧ ¬I(¬α|β).

Une phrase « il est interdit que α soit vraie, mais si β est vraie, alors α est obligatoire » sera mod´elis´ee par la formule I(¬α) ∧ I(α|β).

Int´eressons nous `a la premi`ere phrase. Soit M = hW, ≤, vali un CO-mod`ele de I(¬α) ∧ ¬I(¬α|β). Les mondes les plus pr´ef´er´es pour ≤ seront des ¬α-mondes, car M est un mod`ele de I(¬α). Par contre, comme M est un mod`ele de ¬I(¬α|β), quelque soit le monde que l’on consid`ere, soit il v´erifie ¬β, soit il existe un monde plus pr´ef´er´e que lui qui v´erifie β ∧ ¬α. Donc, si on ne consid`ere que les situations o`u β est vraie, les mondes les plus pr´ef´er´es ne verifieront pas obligatoirement ¬α. La mod´elisation propos´ee est donc judicieuse (et c’est normal, car le comportement de I(−|−) est fait pour raisonner avec des exceptions).

5.2.3 Contrary-to-Duties

Nous nous int´eressons maintenant `a la mod´elisation de Contrary-to-Duties. Nous avons vu dans le chapitre 3 que SDL ne permettait pas de mod´eliser correctement les CTDs car elle ne propose qu’un niveau d’id´ealit´e : les mondes sont soit id´eaux, soit non id´eaux. Or dans le cas du CTD, il existe des mondes parmi les mondes moins id´eaux qui sont meilleurs que les autres (celui ou il y a un chien et un panneau par exemple). Une approche en terme de mondes ordonn´es permet de repr´esenter ces diff´erents niveaux d’id´ealit´e. Rappelons le sc´enario du chien :

(a) il ne doit pas y avoir de chien ;

(b) s’il n’y a pas de chien, il ne doit pas y avoir de panneau ; (c) s’il y a un chien, il doit y avoir un panneau ;

(d) il y a un chien

Supposons que l’on dispose d’un langage propositionnel `a deux variables c et p et d’un pr´eordre sur les mondes possibles ≤ (w0 ≤ w1 signifie que w0 est au moins autant pr´ef´er´e

que w1). Examinons la traduction s´emantique des diff´erentes phrases :

(a) il ne doit pas y avoir de chien signifie que le monde id´ealement pr´ef´er´e est un monde qui falsifie c. Il existe donc deux candidats qui peuvent ˆetre le monde id´eal : {¬c, p} et {¬c, ¬p} ;

(b) s’il n’y a pas de chien, il ne doit pas y avoir de panneau. Donc le monde {¬c, ¬p} est un monde plus id´eal que {¬c, p}. On en d´eduit en particulier que {¬c, ¬p} est le monde le plus pr´ef´er´e ;

(c) s’il y a un chien, il doit y avoir un panneau. On en d´eduit donc que le monde {c, p} est pr´ef´er´e au monde {c, ¬p}.

¬c ¬p ≤ ¬c p ≤ c p ≤ c ¬p ¬c ¬p ≤ ¬c p ≈ c p ≤ c ¬p ¬c ¬p ≤ c p ≤ ¬c p ≤ c ¬p ¬c ¬p ≤ c p ≤ c ¬p ≤ ¬c p ¬c ¬p ≤ c p ≤ c ¬p ≈ ¬c p

On pourrait l`a encore se demander pourquoi ne pas imposer au monde {¬c, p} d’ˆetre pr´ef´er´e `a {c, p}. Ce serait alors consid´erer que la violation du fait de ne pas avoir de chien est plus importante que la violation de ne pas mettre de panneau s’il y a un chien. Dans [36, 38], nous supposions que le sc´enario du chien n’induisait qu’un seul pr´eordre sur les mondes qui est le suivant :

¬c ¬p ≤ ¬c p ≤ c p ≤ c ¬p

Dans ce cas, n’importe quel ¬c-monde sera toujours pr´ef´er´e `a tous les c-mondes. Nous pensons que la contrainte que nous avions impos´e sur les mondes (i.e. que les ¬c-mondes sont toujours pr´ef´er´es `a tous les c-mondes) est trop forte. L’interdiction d’avoir un chien est une interdiction sans exception et doit ˆetre mod´elis´ee comme telle. Si l’on reprend la mod´elisation que nous avons faite d’obligations sans exceptions, nous avons utilis´e l’op´erateur I(−) et il se pouvait donc tr`es bien qu’un des mondes v´erifiant l’interdiction soit un des mondes les moins pr´ef´er´es. Le fait de rajouter une deuxi`eme r`egle particuli`ere, le CTD, ne doit pas modifier ce point de vue.

D´efinition 5.2.3. Soit le CTD exprim´e par les phrases suivantes : – il est interdit que α soit vraie ;

– si α est vraie alors il est obligatoire que β soit vraie.

Ce CTD est mod´elis´e par l’ensemble de formules de CO suivant : {I(¬α), I(β|α)}. Le sc´enario du chien va donc ˆetre mod´elis´e par les formules suivantes :

(a) I(¬c) (b) I(p|c) (c) I(¬p|¬c) (d) c

Les CO-mod`eles2 des trois premi`eres formules sont les suivants : ¬c ¬p ≤ ¬c p ≤ c p ≤ c ¬p ¬c ¬p ≤ ¬c p ≈ c p ≤ c ¬p ¬c ¬p ≤ c p ≤ ¬c p ≤ c ¬p ¬c ¬p ≤ c p ≤ c ¬p ≤ ¬c p ¬c ¬p ≤ c p ≤ c ¬p ≈ ¬c p On obtient bien le pr´eordre intuitif que l’on cherchait.

Propri´et´e 5.2.2. La mod´elisation propos´ee du sc´enario du chien respecte les postulats (i) `

a (iv) de Carmo et Jones.

La d´emonstration est ´evidente. Nous montrerons dans la partie III que cette mod´elisation accompagn´ee du mod`ele d’agent que nous proposons respecte les autres postulats de Carmo et Jones.

Revenons sur l’approche propos´ee dans [36]. Dans cet article, nous avions choisi de repr´esenter le sc´enario du chien par l’ensemble de formules suivant :

(a) I(¬c)

(b) I(p|c) ∧ (p ∧ ¬c) ≤P (p ∧ c)3

(c) I(¬p|¬c) (d) c

Cette fois ci, il n’existe qu’un seul mod`ele de cet ensemble de formules. L’ajout de (p ∧ ¬c) ≤P (p ∧ c) permet de restreindre le pr´eordre et de sp´ecifier que les ¬c-mondes

doivent ˆetre quoiqu’il arrive meilleurs que les c-mondes. Supposons maintenant que l’on utilise cette approche pour mod´eliser le mˆeme sc´enario, mais en supprimant la phrase (c). On obtient alors :

(a) I(¬c)

(b) I(p|c) ∧ (p ∧ ¬c) ≤P (p ∧ c)

(c) c

Dans ce cas, le monde {p, ¬c) sera toujours pr´ef´er´e au monde {p, c}. Mais il existe des mod`eles de cet ensemble de formules o`u le monde le moins pr´ef´er´e est {¬p, ¬c}. Il existe alors des ¬c-mondes qui font partie des mondes les moins pr´ef´er´es. L’utilisation de

2Ce sont en fait des CO-mod`eles car on consid`ere que pour chaque formule satisfaisable il existe un

monde qui la satisfait.

3Rappelons que α ≤

P β≡def ↔

(p ∧ ¬c) ≤P (p ∧ c) ne fonctionne que dans le cas pr´ecis du sc´enario du chien. Nous pensons

donc que l’ajout de (p ∧ ¬c) ≤P (p ∧ c) est purement artificiel et que le fait que {p, ¬c}

et {p, c} soient deux mondes indiff´erents est la traduction correcte du sc´enario du chien. Remarquons de plus que l’ajout de (p∧¬c) ≤P (p∧c) empˆeche la mod´elisation de respecter

le postulat (iv) de Carmo et Jones.

5.2.4 Conclusion

Rappelons la mod´elisation des diff´erentes phrases normatives possibles : il est obligatoire que α soit vraie I(α)

il est autoris´e que α soit vraie T (α) ≡ ¬I(¬α) il est interdit que α soit vraie I(¬α)

il est normalement interdit que α I(¬α) ∧ ¬I(¬α|β) mais si β est vraie, alors α est

autoris´e

il est normalement interdit que α I(¬α) ∧ I(α|β) mais si β est vraie alors α est

obligatoire Contrary-To-Duty :

(RP) Il est interdit que α soit vraie I(¬α) (CTD) Mais si α est vraie, alors il est I(β|α)

obligatoire que β soit vraie

L’approche que nous proposons permet de mod´eliser un grand nombre de phrases nor- matives de nature diff´erente. La s´emantique de CO en terme de mondes ordonn´es permet de repr´esenter des obligations, permissions et interdictions « classiques », mais aussi des normes avec exceptions et des Contrary-to-Duties. Enfin, l’utilisation de l’op´erateur I(−) pour mod´eliser une obligation classique dans tous les cas apporte un avantage certain : on peut facilement rajouter un CTD par exemple, sans ˆetre oblig´e de r´e´ecrire les normes d´ej`a existantes.

Remarquons tout de mˆeme que cette formalisation ne nous permet d’´echapper aux paradoxes classiques de SDL. De plus, certains th´eor`emes d´eduits sont contre-intuitifs. Ainsi, ` I(¬α) ∧ I(α|β) → I(¬β). Notre souci ´etait d’obtenir un premier formalisme permettant de mod´eliser toutes les notions pr´esent´ees dans ce chapitre, mais il reste bien sˆur `a affiner.