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CHAPITRE 4 IDENTIFICATIONS PAR RÉFÉRENCES COMMUNAUTAIRES : LES NATIONS

IV. É CHELLE RÉGIONALE : LA NATION GUADELOUPÉENNE

3. Représentations de la mixité ethnique

Dans un premier temps, nous avons remarqué que les points de vue divergent au sujet de la mixité ethnique dans les discours de ceux qui représentent des frontières ethniques « larges » et des ancêtres guadeloupéens multiethniques.

Matthieu semble représenter l’ensemble de la société guadeloupéenne par la notion de mélange, alors que Manuel parle de métissage pour une seule partie de la population. Effectivement, Matthieu décrit la Guadeloupe par « la diversité culturelle » qu’il définit par « le mélange de toutes ces ethnies qui sont arrivées en Guadeloupe et qui ont créé la Guadeloupe de maintenant ». Il explique que la Guadeloupe « est dans le Nouveau Monde, en Amérique, et c’est le mélange de tous ceux qui viennent du Vieux Continent et de l’Afrique ». Il parle également de « métissage de plusieurs cultures », de « melting-pot » et de « plusieurs cultures qui sont mélangées ». Il donne l’exemple du colombo, épice importée par les travailleurs migrants indiens, devenu emblématique de la tradition culinaire guadeloupéenne. Sans nommer le terme « créole » ou « créolisation », sa description fait explicitement le lien avec ces notions. Comme nous l’avons expliqué dans le chapitre 1, la créolisation fait en partie référence à la notion de mixité ethnique et culturelle, de nouveauté en rupture avec l’Ancien Monde et d’une particularité géographique. Rappelons la définition d’Édouard Glissant :

La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments. On prévoirait ce que donnera un métissage, mais non pas une créolisation. (Glissant, 1997 : 37)

Ainsi, tous les éléments caractéristiques de la créolisation semblent être présents dans le discours de Matthieu qui représente une créolisation de la population guadeloupéenne tant au

niveau culturel qu’ethnique. De plus, cela correspond également à ses représentations ouvertes des frontières ethniques du groupe « Guadeloupe » et à ses représentations pluriethniques des ancêtres des Guadeloupéens.

Comme nous l’avons vu, Manuel partage le même point de vue au sujet des représentations des frontières et des ancêtres, toutefois, le concept de créolisation est absent de son discours. Il parle de métissage pour désigner certaines personnes uniquement, en donnant l’exemple de la mulâtresse Solitude47 :

C’était la fille d’un esclavagiste et d’une esclave, je crois, je pense que si c’est arrivé une fois, c’est arrivé plusieurs fois, donc ça a donné des générations de mulâtres, comme ça. Aujourd’hui, il y a des gens métis, ça vient de là.

Le métissage ne correspond pas au concept de créolisation, ce dernier est beaucoup plus complexe et imprévisible selon Glissant (1997). Cette différence de représentation dans leurs discours sur la mixité ethnique nous permet de suggérer que la représentation ouverte des frontières ethniques et celle pluriethnique des ancêtres ne semble pas être systématiquement synonyme d’une représentation mixte ou créole de la société guadeloupéenne.

De surcroît, comment la mixité ethnique est-elle représentée par les répondants qui ont une représentation floue des frontières ethniques guadeloupéennes ?

La mixité ethnique est également évoquée par ces répondants, toutefois la représentation de cette mixité semble se situer entre les concepts de créolisation et celui de métissage tout en représentant des frontières entre certains groupes ethniques. Examinons cela de plus près avec deux exemples.

Stevens évoque la notion de « créolité » et de « melting-pot » pour parler de métissage, mais cela ne semble pas refléter le reste de son propos, puisque selon lui, chaque groupe ethnique semble avoir des frontières bien marquées.

Alors voilà ce qui est encore difficile, c’est qu’il y a beaucoup de métissage en Guadeloupe, avec les blancs, avec les Indiens, c’est pour que, je sais plus dans quel livre, on parlait de créolité, c’est un grand melting-pot d’une certaine manière. C’est pour ça, quand tu me demandes ancêtres, c’est difficile, parce que chaque ethnie va retrouver son ancêtre direct, les Noirs, les Africains, les Indiens, alors les Indiens c’est difficile, car ils sont à 40 % mélangés aux Noirs, ils ont quand même leurs petites communautés séparées. Si tu regardes

les communautés, ils sont séparés en Guadeloupe. Il y a des zones où tu trouves majoritairement des Noirs très Afros, Africains, tu verras d’autres parties avec des Indiens, et d’autres parties avec des Blancs.

S’il mentionne la notion de mixité ethnique entre les Indiens et les Africains, il revient sur le fait que l’ethnicité indienne prime sur celle africaine dans ce type d’union mixte : « si c’est un

Bata-zindien48, tu sens qu’il a du Noir en lui, mais il y a son côté Indien ». Son propos ne semble

pas refléter, à proprement dit, la notion de créolité de Bernabé, Chamoiseau et Confiant (1993) qui met de l’avant une revendication identitaire créole en reconnaissant une pluralité ethnique et culturelle, tout en s’éloignant des différentes ethnicités européennes, africaines ou asiatiques. Nous avons remarqué que cette notion de créolité semble davantage se rapprocher des propos de Dylan :

Je crois que c’est les Amérindiens qui sont arrivés avant, et après il y a les Indiens de l’Inde qui sont arrivées après les Africains, en tout cas, dans tout ça, il y a eu plein, plein de métissage en fait, donc au final on ne peut pas dire, « ouais on est tous des Africains, ouais on est tous des Indiens », non, on est des Guadeloupéens, c’est tout.

La revendication identitaire guadeloupéenne évoquée ici suggère la notion de créolité, sans que celle-ci soit nommée. De plus, il mentionne le terme de « métissage », pourtant son discours rappelle davantage le concept de créolisation. Or, il est intéressant de remarquer que Dylan fait une distinction entre les Guadeloupéens « métissés » qu’il semble décrire dans le sens de la créolité, et les Guadeloupéens authentiques « Békés »49 :

Les Békés sont autant guadeloupéens que nous. Justement, ça me rappelle le gros débat de l’année dernière pour Miss Guadeloupe, parce que la Miss Guadeloupe c’était une Béké tu vois, et il y a des Guadeloupéens qui se sont levés : « Ouais, ce n’est pas une Guadeloupéenne, elle ne peut pas être Miss Guadeloupe ». Donc moi j’en ai dit à pas mal, « mais tu fermes ta bouche, si tu connais l’histoire de la Guadeloupe deux minutes, tu saurais que les békés, ils sont autant, voir plus Guadeloupéens que nous-mêmes ». Parce qu’au final, nous, on est tous métissés de gauche, droite, machin, alors que le béké ils sont restés comme ils étaient dès le départ, c’est eux qui étaient là, c’est même eux qui nous ont même fait venir ici. Donc voilà. Ils ont autant leur part de la Guadeloupe que nous.

48 Terme utilisé dans le langage courant pour désigner une personne issue d’un couple mixte entre un parent

d’origine africaine et l’autre d’origine indienne. Nous développons cette notion dans le chapitre suivant.

49 Terme désignant une personne blanche d’origine européenne dont la famille est présente en Guadeloupe depuis

Une frontière ethnique semble encore être représente, cette fois entre les Guadeloupéens « métissés » pour reprendre ses termes, ou créoles, si on se fie au concept de créolisation, et les Guadeloupéens békés. Néanmoins, il est intéressant de remarquer que le Béké semble être un Guadeloupéen plus authentique que les autres dans ses propos.

Enfin, la notion de mixité ethnique n’est pas présente dans les discours de tous ceux qui représentent la société guadeloupéenne par une pluriethnicité, même si cela est le cas en majeure partie. Par exemple, nous avons remarqué que Jonathan ne semble représenter aucune mixité dans sa représentation pluriethnique de la société. Il ne fait jamais mention de notions de mélange, de métissage ou autres dans son entretien.

Finalement, les répondants qui représentent leur société par une seule ethnicité n’excluent pas entièrement la notion de mixité ethnique, mais elle reste très minoritaire dans leur discours et elle n’est pas représentative de l’ensemble de la société, selon eux. Ils sont conscients d’un certain métissage pour quelques personnes, mais cela n’est pas généralisé à toute la société.