• Aucun résultat trouvé

Un renversement de fardeau essentiel pour les immigrants qualifiés

CHAPITRE 4 : INTERACTIONS ENTRE LES NORMES FORMELLES ET INFORMELLES

A. Un renversement de fardeau essentiel pour les immigrants qualifiés

Les auteurs que nous avons présentés jusqu’à maintenant proposent différentes solutions pour remédier aux problèmes d’intégration des immigrants qualifiés au marché du travail canadien. Nous avons remarqué que la façon de qualifier le problème aura un impact sur les solutions proposées par les auteurs. En effet, nous adhérons à l’argument avancé par White selon lequel le langage « est une force en soi » [notre traduction]300 et donc que les mots qu’on utilise pour se représenter une situation portent en eux une vision du monde particulière qui influence les solutions envisagées.

300 James Boyd White, Justice as translation: an essay in cultural and legal criticism, Chicago, University of

88

D’abord, plusieurs auteurs ont identifié que le principal problème à l’intégration des immigrants était la discrimination301. Pour ceux qui estiment que la discrimination est principalement causée par une division entre les groupes du « nous » et du « eux », la solution réside dans la création d’une coopération entre les groupes302. Gaertner et al. suggèrent qu’une des solutions pour mettre fin au aversive racism est de créer des relations intergroupes positives, entre autres par l’entremise du Common Ingroup Identity Model303. Ces auteurs rapportent une étude où des participants étaient incités à se percevoir comme des individus séparés ou comme membres d’une équipe. Lorsqu’ils se percevaient comme une équipe, les partenaires Noirs étaient évalués de façon beaucoup plus positive304.

De même, les auteurs de l’Étude sur les motifs et attitudes des employeurs suggèrent aux entreprises de mettre sur pied un programme de formation interculturel afin de développer des compétences en communication, en négociation et en médiation interculturelles305. Ces auteurs croient donc que des contacts plus fréquents entre les membres de groupes ethniques différents et une meilleure connaissance des différentes cultures permettront de diminuer les barrières à l’intégration au marché du travail des immigrants. La CDPDJ a d’ailleurs identifié que la

proximité avec des membres de groupes visés par les lois anti-discrimination était un facteur très

important dans le développement de la tolérance306. Ainsi, plus une personne fréquente des individus d’origines étrangères, moins elle risque de les discriminer.

301 Eid, supra note 24; Chicha & Centre Métropolis du Québec-Immigration et Métropoles, supra note 22;

Oreopoulos, supra note 50; Oreopoulos & Dechief, supra note 3.

302Portenseigne et al, supra note 29 à la p 18; Gaertner et al, supra note 59 à la p 385. 303 Gaertner et al, supra note 59 à la p 391.

304 Ibid à la p 388.

305 Portenseigne et al, supra note 29 à l'annexe 3.

306 Jacques Frémont, « The Quebec Charter of Rights & Freedoms at 40: éléments de perspective et de

89

D’autres auteurs estimaient que la problématique de la discrimination devait se résoudre par les outils juridiques que sont les lois anti-discrimination307. Notre étude de la jurisprudence dans le second chapitre nous a permis de constater que le système de plaintes comportait plusieurs limites, qu’elles concernent le fardeau de preuve général de la discrimination ou la non- concordance entre les éléments favorisant une conclusion de discrimination et la situation vécue par les immigrants. Le fardeau de prouver la discrimination s’alourdit sans cesse pour les plaignants, particulièrement lorsqu’ils vivent de la discrimination dans l’embauche, comme c’est le cas pour les immigrants qualifiés.

Les tenants de l’hypothèse économique suggèrent d’autres types de solutions. Les auteurs de

La surqualification des travailleurs salariés d'origine immigrée résidant sur l'île de Montréal308

avancent des solutions axées sur le marché du travail et, pour cette raison, ils sont plus près idéologiquement de l’hypothèse économique. Ils proposent, par exemple, de mettre sur pied des programmes d’intégration spécialement destinés aux immigrants récents et aux minorités visibles afin d’assurer une meilleure adéquation entre le marché du travail et la formation de ces derniers309. De plus, ils remettent en question les critères de sélection des programmes d’immigration pour travailleurs qualifiés. En effet, ils suggèrent qu’une valeur moins grande soit accordée aux diplômes obtenus à l’étranger, car leur valeur ne se reflète pas sur le marché du travail canadien et qu’un plus grand pointage soit accordé aux individus qui parlent très bien le français et qui ont une bonne connaissance de l’anglais310.

307 Hamilton Krieger, supra note 33; Gaertner et al, supra note 59. 308 Ledent, Bélanger & Marois, supra note 15.

309 Ibid à la p 126. 310 Ibid à la p 127.

90

Les auteurs Lejeune et Bernier estiment, quant à eux, que la solution passe par une meilleure évaluation des compétences et qualifications des immigrants. Ils suggèrent de faire passer différents tests qui permettront de voir comment la personne performe véritablement au travail, sans égard à ses diplômes311. En s’inspirant de ce qu’il se fait dans d’autres pays, ils avancent l’idée que des « tiers garants » soient désignés dans une entreprise pour garantir que la personne immigrante est compétente dans son travail312. Par exemple, en ce qui concerne la reconnaissance des compétences pour accéder aux métiers, les immigrants en Finlande doivent avoir un diplôme professionnel, qui peut être obtenu par une certification des compétences suite à la réussite d’un examen313. La prémisse de ces auteurs semble donc être que ce sont aux immigrants de démontrer qu’ils sont compétents et ils cherchent des moyens de faciliter cette démonstration.

Or, notre étude des obstacles informels que les immigrants rencontrent sur le marché du travail nous a permis de constater que la non-reconnaissance du capital humain des immigrants par les employeurs se fonde surtout sur une dévaluation de leur capital culturel, ce qui mène à une forme de racisme culturel. Ce refus de reconnaitre les diplômes et compétences acquis à l’étranger a d’importantes répercussions sur chacun des immigrants individuellement, qui doivent réussir à se canadianiser, de même que sur le groupe dans son ensemble, qui se retrouve empêché de participer à la société.

Les limites posées par le droit formel à l’égalité et par les normes informelles rencontrées sur le marché du travail ont pour résultat de faire peser un très lourd fardeau sur les épaules des

311 Lejeune, Bernier & TELUQ, supra note 92 à la p 26. 312 Ibid à la p 112.

91

immigrants. Les premières favorisent inévitablement les défendeurs, qui seront souvent des employeurs, alors que les secondes sont directement imposées par ces mêmes acteurs. Nous affirmons que le fardeau de l’intégration au marché du travail doit être mieux partagé entre les immigrants et les employeurs. Cela est contraire à ce que proposent les tenants de l’hypothèse économique, puisque ces derniers suggèrent entre autres d’adapter le système d’immigration aux besoins du marché du travail. C’est d’ailleurs la solution qui a été préconisée par le gouvernement canadien, puisqu’il a créé un nouveau système d’entrée pour les immigrants qualifiés qui accorde plus de valeur aux aspects du capital humain qui sont favorisés sur le marché du travail canadien314. Or, sachant que les demandes des employeurs concernant le capital humain des immigrants sont fondées sur un manque perçu de capital culturel chez les immigrants qualifiés, nous croyons que les préférences des employeurs ne sont pas de bons indicateurs sur lesquels aligner la sélection des immigrants. En fait, avant même de chercher les problèmes dans notre système de sélection, nous croyons que la lumière devrait se tourner vers les employeurs. Ces derniers devraient d’abord réussir à changer leur culture organisationnelle afin de s’assurer qu’elle est équitable pour les futurs travailleurs.