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B - Renforcer les moyens des laboratoires va de pair avec un rééquilibrage entre financements sur

projets et financements de base dits récurrents, facteurs de développement et de créativité scientifique

1. Une augmentation du financement sur appels à projets à la défaveur des dotations de base des établissements

La répartition des moyens publics pour la recherche se fait suivant deux modèles complémentaires : d’un côté des financements de base attribués chaque année aux établissements de recherche dans le cadre de leur subvention pour charge de service public, de l’autre, des financements sur appels à projets (AAP) qui proviennent de l’ANR, de nombreux dispositifs d’incitation au développement de la recherche partenariale et de l’innovation (Instituts Carnot, pôles de compétitivité, AAP

32 Cela peut être contradictoire avec l'objectif d'augmenter le nombre de titulaires du master ainsi que le nombre de docteurs et docteures. La StraNES proposait pour répondre aux besoins, d'atteindre un taux par classe d'âge de 25 % de diplômés et diplômées au niveau Master et 20 000 docteurs, femmes et hommes.

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collaboratifs avec des entreprises de l’ANR, CEA33-Tech, IRT, SATT, CVT34, IEED35), du programme d'investissements d'avenir (PIA), de l’Europe (Horizon 2020) ou des collectivités territoriales. Comme cela a été relevé dans un texte proposé par la commission d’études spécialisées du Cneser36 « Financement de l’enseignement supérieur et de la recherche publics, hors du budget de la Mires » à l’ordre du jour de la séance du Cneser du 11 juin 201937, « Cette montée en puissance de ces programmes d’AAP a été conduite en maintenant constante la part du budget de la recherche publique, autour de 0,78 %, dans le produit intérieur brut (PIB). Cette augmentation du financement par AAP s’est donc effectuée au détriment de la dotation de base des établissements, qui ne leur permet plus de conduire une politique scientifique propre, élaborée à travers la réflexion de leurs instances scientifiques. » La baisse progressive des crédits de base à la faveur de crédits concurrentiels prépondérants, voire quasi-exclusifs, induit une mutation du monde de l’ESR et menace son bon fonctionnement.

En créant l'ANR en 2005, le ministère chargé de la recherche a abandonné son rôle d'attribution des financements sur projets avec pour corollaire, la réduction des crédits de base des laboratoires. L'objectif était de financer la recherche sur projet, dans une logique d'alignement sur certaines pratiques internationales : les États-Unis disposent de la National science foundation, l'Allemagne de la Deutsche forschungsgemeinschaft, l'Autriche du Wissenschaftsfonds, la Suisse du Fonds national suisse. Au modèle français collaboratif garanti par des financements pérennes, se substitue progressivement un modèle anglo-saxon individualisé et concurrentiel dont les financements dépendent de la réussite à la réponse à des appels à projets compétitifs.

Lors de la table ronde organisée au Cese, les chercheurs et chercheuses ont tous et toutes fait part d'un fort déséquilibre en faveur du système par AAP. Le professeur Franck Dumeignil qui dirige l'unité de catalyse et de chimie du solide de l'université Lille 1, estime par exemple que les crédits de base de son laboratoire ne représentent plus que 13 % de son budget, le reste étant obtenu sur appels à projets38. A l'inverse, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation, entendue par la section des activités économiques et la section éducation, culture et communication, le 8 avril 2020, a mis en avant un taux de financement de la recherche par AAP de 15 % : « sur 15 milliards d’euros de budget (programme 150 et 172), seul 1,5 milliard d’euros est consacré aux AAP », ce qui ne justifierait pas un rééquilibrage en faveur des dotations des établissements. Mais l'essentiel des

33 Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

34 Consortiums de valorisation technologique.

35 Instituts d'excellence sur les énergies décarbonées.

36 Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche.

37 Voté à 44 pour, 0 contre, 0 abstentions.

38 Entretien du 18 février 2020 avec M. Franck Dumeignil, professeur des universités en chimie, directeur de l’unité de catalyse et de chimie du solide (UCCS) de l’université de Lille 1.

AVISDECLARATIONS/SCRUTINANNEXES dotations des tutelles est en fait affecté à la masse salariale des personnels titulaires

et à l’hébergement des laboratoires, comme l'a analysé la commission d’études spécialisées du Cneser39, ce qui explique cette différence d'appréciation entre la communauté scientifique et son ministère de tutelle. En intégrant ces éléments, la commission a évalué que les dotations de fonctionnement des tutelles, représenteraient environ 21 % du financement total en fonctionnement contre 79 % pour les AAP ; elle précise que « cette moyenne cache des disparités importantes, certaines structures ne pouvant pas fonctionner et assurer l’ensemble de leurs missions sur cette dotation […] et est certainement sous-évaluée », notamment, une partie des 21 % de financement par dotations est utilisée par les tutelles et les laboratoires pour organiser leur propres AAP.

L’augmentation continue de la masse salariale sous l’effet du « glissement vieillesse technicité » (GVT) non compensé, le poids des charges structurelles des établissements et des infrastructures de recherche, la progression des effectifs étudiants dans les universités (+ 10 % sur les seules cinq dernières années d’après les dernières statistiques disponibles), la dégradation du patrimoine immobilier, ont grevé les capacités d’investissement et le financement de la recherche dans les laboratoires.

En outre, le coût social de ce système développé dans la partie suivante (conditions de travail dégradées, contractualisation des emplois, etc.), est particulièrement alarmant et participe à la désaffection envers les métiers de la recherche et à leur manque d’attractivité.

Les chercheurs deviennent en effet des entrepreneurs académiques ainsi que des gestionnaires de projets. Tous et toutes sont progressivement spécialisés dans un travail d'ingénierie de projet aux effets dévastateurs, en consacrant une partie conséquente de leur temps de travail à des appels d'offres dans des guichets démultipliés. Ce fonctionnement affecte particulièrement les jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs contraints de trouver les moyens pour s'autofinancer.

Aujourd'hui, les financements de base s’avèrent insuffisants pour développer la production scientifique, assumer les missions de service public et travailler dans des conditions matérielles permettant de faire face à la compétition internationale. Ceci explique qu'à l’occasion de la consultation citoyenne organisée par la Commission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, la communauté scientifique a exprimé à une très large majorité de 75 % « qu’il faut accorder une priorité au financement récurrent » contre seulement 2 % « qu’il faut accorder une priorité au financement sur projet »40.

39 Commission d’étude spécialisée du Cneser « Financement de l’enseignement supérieur et de la recherche publics, hors du budget de la Mires », à l’ordre du jour de la séance du CNESER du 11 juin 2019.

40 Rapport d’information du 25 juillet 2018 en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du financement public de la recherche dans les universités.

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Encadré 1 : L'exemple de la recherche « Safire »

L'exemple de Safire, dont le directeur a été entendu par la section, est illustratif de ce qui se passe aujourd'hui dans la recherche. Cette unité mixte de service créée en 2005, qui associe le CNRS, Météo-France et le Cnes41, et qui réalise des travaux scientifiques dont le contenu répondant à des enjeux à la fois fondamentaux scientifiquement et d'intérêt général, subit des contraintes gestionnaires contre-productives et chronophages ainsi qu'une érosion de ses effectifs. Alors même qu'elle est inscrite dans des programmes européens et internationaux, l'unité ne parvient pas malgré le montage de demandes de financements auprès de plusieurs guichets, à obtenir les 20 millions d'euros qui lui permettraient l'acquisition d'un jet d'occasion pour son projet « Anvole ». Paradoxe budgétaire : les tutelles soutiennent l'unité en moyens de fonctionnement, mais ne sont pas autorisées dans le fonctionnement qui prévaut aujourd'hui, à contribuer à l'investissement. Cette unité dont l'activité est reconnue comme utile socialement, se retrouve tributaire d'une décision des guichets de financements. Les personnels passent leur temps à chercher des financements, sans avoir la certitude, même en satisfaisant à tous les critères, de décrocher une dotation. Alors qu'elle est en mesure de proposer des services clés en main pour une recherche aéroportée, cette unité de recherche peut se voir écartée. Une telle décision aurait bien évidemment un impact profond et irréversible pour toute la recherche française liée à ces travaux aéroportés et constituerait un affaiblissement de la France en Europe et dans le monde sur ce créneau.42

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2. Le faible budget de l'ANR, son extrême sélectivité et l'insuffisance des montants de préciputs, s'ajoutent à cette situation déjà préoccupante

Après avoir connu une période de baisse chronique avec un seuil minimal à 527 millions d'euros en 2015, le budget d'intervention de l'ANR a été progressivement réévalué et porté à 708 millions d'euros en 201943, contre 2 milliards d'euros pour Deutsche forschungsgemeinschaft allemande. Parallèlement, le taux de sélection de plus de 20 % à la création de l’ANR, a chuté à 16,5 % en 2013, puis à 10,6 % en 2014 pour s’établir aujourd’hui à une quinzaine de pour cent, contre 30 % en moyenne dans les pays OCDE. Ils ont été qualifiés « d’hasardeux » par de nombreux auditionnés pour qui ils relèvent de la « loterie ». Le SNCS FSU44 et le SNTRS CGT45 ont pour cette raison rappelé leur proposition de suppression de l'ANR lors de leur entretien du 20 février.

En outre, le règlement financier de l’ANR mis à jour en juin 2018, fixe la part du préciput46 à seulement 11 % alors que dans le cadre des financements européens relevant du programme Horizon 2020, les universités et les organismes de recherche reçoivent un taux forfaitaire de 25 %. En théorie, ces montants doivent permettre d’améliorer la qualité de l’environnement de travail offert aux équipes et laboratoires de recherche hébergés par les établissements qui accueillent les équipes ayant remporté l’appel d’offres, et servir la mise en œuvre de politiques scientifiques ; la mobilisation de ces ressources peut aussi faire l’objet d’appels à projets internes.

Mais en pratique, ils ne permettent souvent pas aux établissements de recherche de couvrir les frais induits par la gestion des projets retenus, comme le note le CNRS47. Ces projets pourraient même représenter une perte financière pour les établissements.48

Ce système de financement assis en très grande majorité sur des AAP, mobilise en effet un temps de travail supplémentaire (préparation des dossiers, évaluation et sélection, suivi administratif et financier des projets sélectionnés) estimé à plus de

43 L’ANR est également chargée de gérer et de suivre la mise en œuvre des grands programmes d'investissement de l'État dans le champ de l'enseignement supérieur et de la recherche (programmes d’investissements d’avenir – PIA) dont l’ANR s’est vu confier la gestion de près de 26 milliards d'euros (sur un total de 57 milliards d'euros) en 2019.

44 Syndicat national des chercheurs scientifiques - Fédération syndicale unitaire.

45 Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique - Confédération générale du travail.

46 L’article L 329-5 du code la recherche prévoit un mécanisme, dit « préciput » ou « overhead », qui consiste à réserver une partie du montant des aides allouées par l'ANR, aux établissements hébergeant les équipes ayant remporté l’appel d’offres, pour financer leurs frais de fonctionnement.

47 CNRS, « La recherche publique en France en 2019 : Diagnostic et propositions du Comité national », juillet 2019.

48 Ce constat est largement partagé par les rapports récents des institutions de contrôle de l'utilisation des fonds publics (Cour des comptes, IGAENR, etc.).

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1,5 milliard d’euros par la commission d’études spécialisées du Cneser, montant sensiblement équivalent aux crédits sur AAP...

3. Des conséquences néfastes pour tout le système

de recherche, en particulier pour la recherche fondamentale

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