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La remise en cause progressive du caractère volontaire du télétravail comme source d’insécurité

nécessitant un encadrement spécifique

SECTION 1 : Les enjeux liés au contrôle du temps de travail des télétravailleurs

I) La remise en cause progressive du caractère volontaire du télétravail comme source d’insécurité

Le caractère volontaire constitue, historiquement, la clef de voute du télétravail. L’idée centrale de ce nouveau mode d’organisation est que celui-ci ne pourra, en aucun cas, être imposé à l’une ou l’autre des parties au regard, notamment, des conséquences qui en découlent. Ce principe a successivement été rappelé, d’une part, par les partenaires sociaux dans la conclusion de l’ANI du 19 juillet 2005, puis par le législateur à chaque modification opérée sur l’article L.1222-9 du Code du travail. Présentement, le Code du travail maintien le caractère volontaire de la mise en œuvre du télétravail. Or, il existe une certaine ambiguïté en la matière qui tend à remettre en cause le caractère volontaire du salarié comme de l’employeur.

La loi du 29 mars 2018 laisse entrevoir la possibilité pour les entreprises d’aller à l’encontre du caractère volontaire du télétravail par l’ajout d’une mention au sein de l’article L.1222-9

70 du Code du travail126. En effet, il est prévu que l’accord collectif ou, à défaut, la charte unilatérale précise « les conditions de passage en télétravail, en particulier en cas d'épisode

de pollution mentionné à l’article L.223-1 du code de l’environnement, et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail »127. Aussi, par cet ajout, le législateur incite les entreprises à envisager l’ensemble des conjectures permettant de proposer voir même d’imposer le télétravail aux collaborateurs. L’article L.223-1 du Code de l’environnement, visé par cette disposition, se réfère, en effet, à la possibilité donnée au préfet de prendre « les mesures propres à limiter l’ampleur et les effets de la pointe de pollution sur

la population »128. Dès lors, il est possible de prévoir, par accord collectif ou charte unilatérale, les cas où le salarié se trouverait dans l’incapacité de se rendre sur son lieu de travail.

Jusqu’à lors seul l’article L.1222-11 du Code du travail, introduit le 22 mars 2012 par le législateur, prévoyait cette hypothèse. En effet, il est prévu qu’« en cas de circonstances

exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ». Ces dispositions reviennent à prévoir, par avance, l’acceptation expresse du

salarié de travailler à son domicile.

Cette possibilité se justifie alors par des éléments nécessaires et indispensables à la sauvegarde des intérêts légitimes de l’entreprise. Depuis toujours, les juges montrent une extrême sévérité à l’égard des clauses portant atteinte au respect de la vie personnelle du salarié. Aussi, les entreprises ne doivent pas voir dans ces nouvelles dispositions un moyen d’imposer l’immixtion de la vie professionnelle dans le domicile du salarié à tort et à travers. Par ailleurs, la rédaction des articles n’impose pas aux collaborateurs d’exécuter leur prestation de travail depuis leur domicile mais uniquement de télétravailleur. La nuance est importante puisqu’en effet l’exercice du télétravail n’est pas limité au domicile du salarié. Il

126 LOI n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017- 1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social

127 C.trav., art. L.1222-9 128 C.env., art. L.223-1

71 peut, en effet, s’exercer dans tout autre lieu adapté, notamment les lieux dédiés tels que les centres de co-working qui se démultiplient depuis quelques années.

Cette formulation interroge, et l’on entrevoit distinctement la volonté grandissante de s’émanciper des cadres existants. Le télétravail devient-il, lors de circonstances exceptionnelles telles que des pics de pollution ou des périodes de canicules, un droit ou un devoir ? Dans cette hypothèse, quid du refus du salarié ? Lorsque le télétravail est nécessaire à la poursuite de l’activité de l’entreprise, le refus du salarié d’y avoir recours pourrait être envisagé, de fait, comme un manquement à son obligation de loyauté et de bonne foi. Toutefois, les dispositions actuelles applicables en la matière ne font aucunement référence cette hypothèse. Aussi, la voie est laissée aux juges d’en définir les contours. Les entreprises devront, dès lors, prendre garde : le télétravail volontaire reste le principe, l’imposer demeure risqué.

Outre la remise en cause de la volonté des salariés, le télétravail semble être devenu un droit pour les salariés, remettant ainsi en cause l’acceptation même de l’employeur. L’idée d’un droit au télétravail pour les salariés émerge progressivement depuis les ordonnances du 22 septembre 2017. Ce doute est également confirmé par la Ministre du Travail elle-même. En effet, Madame Muriel PENICAUD, dans un tweet posté lors des épisodes neigeux de l’hiver dernier, invitait « les entreprises et les salariés à opter demain pour le télétravail. Les

ordonnances de septembre 2017 ont créé un droit au télétravail pour les salariés. Un accord une charte ou un échange d’emails suffisent pour l’instaurer ». La formulation interroge et

inquiète les entreprises.

En effet, les ordonnances sont venues modifier l’article L.1222-9 du Code du travail en ajoutant que « l'employeur qui refuse d'accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui

occupe un poste éligible à un mode d'organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, motive sa réponse ». Le projet d’ordonnance

prévoyait initialement la possibilité pour le salarié de solliciter auprès de son employeur le bénéficie du télétravail pour « faire face à des contraintes personnelles ». Cette disposition a disparue, sans doute, afin de ne pas perdre de vue l’objectif premier de cette réforme de lever les freins persistants au déploiement de ce mode d’organisation de travail. En revanche, le refus de l’employeur d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié éligible doit, présentement, être motivé. Aussi, en cas d’absence de motivation ou si celle-ci est

72 insatisfaisante, le contentieux serait inévitable129. L’enjeu est alors d’encadrer strictement les critères d’éligibilité de l’accord collectif ou de la charte unilatérale relative à la mise en œuvre du télétravail. Outre l’obligation de motiver un éventuel refus, le doute demeure concernant la possible reconnaissance d’un réel droit au télétravail pour les salariés permettant ainsi d’aller à l’encontre du caractère volontaire de l’employeur.

Présentement, le caractère volontaire de chacune des parties demeure bien que le doute subsiste. En revanche, l’insécurité juridique relative à la survenance d’un accident de travail reste totale pour les entreprises.

II)

L’insécurité juridique relative à la survenance d’un accident de