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La relativisation pratique de la divisio droit public/droit privé comme preuve du pragmatisme de l’idée de ratio divisio

Eisenmann expliquait que la summa divisio ne peut être justifiée qu’à condition que soient identifiables deux méta-disciplines juridiques étudiant chacune un ensemble de règles juridiques reliées par un objet spécifique : d’une part, les règles applicables aux rapports entre particuliers ; d’autre part, les règles régissant les relations entre l’administration et les administrés, ou entre les gouvernants et les gouvernés2. En revanche, ajoutait-il, si les juristes prétendent « découvrir à cette notion d’ordre, d’esprit concret et utilitaire, un sens et des racines infiniment profonds » et en faire deux types différents par leurs caractères primordiaux, alors ladite summa divisio devient non pertinente3. Aussi s’agit-il, pour évaluer la prégnance concrète de la séparation droit public-droit privé, de comparer les contenus objectifs des deux droits, soit la matière substantielle des règles, en posant la question « est-ce la même règle ou deux règles différentes qui s’appliquent selon que la situation envisagée intéresse des rapports entre particuliers ou des rapports entre personnes publiques et particuliers ? ». Or Eisenmann notait déjà, il y a soixante ans, que de nombreuses activités publiques étaient soumises à des règles matériellement identiques à celles applicables aux activités privées et que des politiques similaires guidaient l’action du législateur dans les deux sphères4.

1 Cf. Ch. EISENMANN, « Droit public, droit privé », art. préc., p. 903 s.

2 Ch. EISENMANN, « Droit public, droit privé », art. préc., p. 960.

3 Ibid., p. 961.

4 Ibid., p. 978. En outre, il remarquait que la responsabilité en droit public n’était guère encadrée par un droit spécial différent par ses caractères et ses principes essentiels de la responsabilité de droit privé (cf.

J.-C. VENEZIA, « Les idées de Charles Eisenmann en matière de responsabilité de l’administration », in

Le seul argument réellement susceptible d’être irréfragable parmi les thèses négatrices de la divisio ou, a fortiori, parmi celles réfutant la summa divisio est bien celui-ci : l’opposition du droit public et du droit privé ne peut être admise et consacrée par la littérature doctrinale qu’à condition que le droit positif comporte des différences substantielles entre les règles propres à l’un et celles propres à l’autre. Si cette distinction s’avère n’être qu’une séparation conceptuelle, ne reposant sur rien de concret parmi le droit pratiqué, si à des situations publiques et privées sont appliquées de mêmes règles de fond et de procédure, alors elle mérite d’être écartée au profit d’autres analyses plus pragmatiques. Or on remarque de plus en plus l’ « extrême perméabilité de la frontière entre droit public et droit privé qui conduit à l’unité du système juridique »1 ; sont de moins en moins rares les auteurs à affirmer que, « à bien des égards, le droit public se privatise et le droit privé se publicise »2. Dans son rapport public de 2008, le Conseil d’État soulignait combien le contrat est devenu un « mode d’action publique et de production de normes » courant pour les autorités publiques qui ne sont plus, dès lors, que des « parties » contraintes de « négocier »3, loin des caractères habituellement attachés au droit public.

Les courants néolibéraux, qui se sont développés à partir des années 1970, concomitamment à la crise de l’État-providence, reprochent au droit administratif son unilatéralité qui en ferait un droit synonyme d’inégalité, de privilège et de domination de l’État sur la société4. Ce modèle de régulation verticale serait aujourd’hui frappé par l’obsolescence ; et d’aucuns voient dans l’existence d’une juridiction administrative un « legs de l’histoire dont la seule justification repose sur la difficulté de l’administration à se soumettre au droit »5. La raison d’être des tribunaux administratifs se trouve ainsi mise en cause et est interrogée la possibilité

« de réduire, à défaut de pouvoir le supprimer, l’espace du droit administratif, en étendant la sphère d’application du droit privé, ainsi que [celle] de rapprocher progressivement le droit administratif du droit privé, en supprimant certains privilèges d’un autre âge »6. Pareilles remarques visent notamment les juridictions administratives, lesquelles se caractérisent par un ensemble de particularismes clairement hérités de l’histoire. Or les influences et pressions conjointes de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe obligent à réduire largement le nombre et la qualité de ces particularismes et à rapprocher les statuts de la juridiction

P. AMSELEK, dir., La pensée de Charles Eisenmann, Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 1986, p. 207 s.).

1 É. DESMONS, « Droit privé, droit public », art. préc., p. 523.

2 X. LABBÉE, Introduction générale au droit. Pour une approche éthique, op. cit., p. 12.

3 EDCE 2008, Le contrat comme mode d’action publique et de production de normes ; cf. aussi L. CLERC, La validité des contrats administratifs, th., Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, 2007.

4 Cf. J. CHEVALLIER, L’État post-moderne, 3e éd., Paris, LGDJ, coll. Droit et société, 2008, p. 75.

5 Ibid.

6 Ibid.

administrative et de la juridiction judiciaire. En particulier, la Cour de Strasbourg

« admet que, par rapport aux juridictions de l’ordre judiciaire, la juridictio n administrative française présente un certain nombre de spécificités qui s’expliquent par des raisons historiques, [son institution ayant été] l’une des conquêtes les plus éminentes d’un État de droit »1 ; mais elle insiste surtout, et de façon récurrente, sur le fait que cela ne saurait conduire à remettre en cause les garanties fondamentales que tout justiciable est en droit d’attendre d’une juridiction. Dans le même temps, le juge administratif est amené, suivant la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, à aligner ses rouages sur les canons de la justice judiciaire. Il en va ainsi lorsque ladite Cour oblige à consacrer l’indépendance des magistrats administratifs ou à renforcer l’efficacité du contrôle juridictionnel par l’attribution du pouvoir d’injonction qui avait toujours été refusé2 et par l’institution d’un véritable référé3.

Partant, la question du maintien du dualisme des juridictions, source de complexité et d’incompréhension pour les justiciables, est posée et des travaux portant sur les règles de répartition du contentieux, voire d’unification de celui-ci, sont menés. Dès lors que la spécificité du droit administratif est en voie d’extinction, l’existence d’un juge ad hoc ne semble plus légitime et il faut, a minima,

« s’interroger sur son avenir »4 autant que sur l’avenir de la divisio. Dans le même temps, la Cour de cassation a pu considérer que le juge judiciaire est en droit de se prononcer sur le fond d’un litige impliquant la puissance publique, cela en appliquant les règles de droit public propres à la mise en cause de la responsabilité de l’État5. L’existence de règles exceptionnelles applicables aux relat ions juridiques de l’État n’est, dans ce cas, pas mise en doute ; en revanche, le dualisme juridictionnel se voit sensiblement battu en brèche, ce qui n’est pas sans conséquence pour une part la pertinence de la divisio. Et le contentieux grandissant propre aux autorités administratives indépendantes contribue à brouiller toujours plus la répartition des compétences. Aussi différents auteurs questionnent-ils l’avenir des deux ordres de juridictions6 et notent-ils que, souvent, le juge administratif applique le droit civil, dès lors qu’il n’est pas utile de forger une règle

1 CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France.

2 Loi du 8 févr. 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

3 Loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives.

4 J.-B. AUBY, « La bataille de San Romano. Réflexions sur les évolutions récentes du droit administratif », AJDA 2001, p. 912.

5 « La cour d’appel avait le droit et le pouvoir de se référer aux règles de droit public » (Cass. civ. 1ère, 23 nov. 1956, Trésor public c./ Giry).

6 A. VAN LANG, « Le dualisme juridictionnel pourrait-il disparaître ? », in B. BONNET, P. DEUMIER, dir., De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé, op. cit. ; Ch. CHARRUAULT, « Juge administratif et juge judiciaire : dualité ou unité ? », in B. BONNET, P. DEUMIER, dir., De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé, op. cit.

ad hoc1, tandis que le juge judiciaire est chaque jour davantage amené à appliquer le droit administratif2. In fine, le dualisme des droits n’aurait que peu à voir avec la dualité juridictionnelle ; il aurait davantage une valeur idéologique qu’instrumentale3. Il faudrait alors parler de « deux summa divisio », ce qui reviendrait à commettre une contradictio in adjecto.

On relève également que l’extension de la responsabilité pénale en matière administrative et la tendance du juge administratif à appliquer le droit pénal plutôt que le droit administratif participent elles aussi de la remise en cause de la divisio4 en même temps que de « la banalisation de l’État »5 et de l’action administrative6. Et puis, plus finement, il est permis de considérer que ce sont toujours des juges publics qui statuent en appliquant des lois publiques ; le droit privé ne serait alors que le droit de l’arbitrage et de la médiation7. Suivant l’article 2060 du Code civil, le droit public correspondrait aux matières d’ordre public, sur lesquelles « on ne peut compromettre », tandis que le droit privé coïnciderait avec celles laissées à la libre appréciation des parties, à l’autonomie de la volonté et à l’ « individualisme juridique »8. L’ordre public est clairement une notion qui irrigue tant le droit public que le droit privé ; à moins de considérer ainsi que le droit public correspond au droit impératif.

Par ailleurs, ceux qui discutent la congruence de la divisio et, a fortiori, celle de la summa divisio font remarquer que de nombreuses matières peuvent être et sont enseignées tant par des publicistes que par des privatistes9. Le droit de l’Union européenne10, le droit des libertés fondamentales, le droit de l’environnement, le droit de la communication ou encore le droit de l’informatique11 ne seraient que

1 B. PLESSIX, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, th., Université Paris II - Panthéon-Assas, 2001.

2 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, 5e éd., Paris, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2012, p. 358.

3 F. X. TESTU, « La distinction du droit public et du droit privé est-elle idéologique ? », art. préc., spéc.

p. 353.

4 J.-C. FROMENT, « Remarques sur les enjeux et la portée d’une “criminalisation” du droit administratif », RDP 2001, p. 555 s.

5 J.-B. AUBY, La globalisation, le droit et l’État, 2e éd., Paris, LGDJ, coll. Systèmes, 2010, p. 215.

6 J. CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit., p. 75.

7 A. SÉRIAUX, Le Droit. Une introduction, op. cit., p. 392.

8 E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé. Contribution à l’étude critique de l’individualisme juridique, Paris, Rousseau, 1912.

9 Cf. É. PICARD, « Pourquoi certaines branches du droit échappent-elles à la summa divisio ? », in B. BONNET, P. DEUMIER, dir., De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé, op. cit.

10 F. PICOD, « Le droit de l’Union européenne est-il soluble dans la summa divisio ? », in B. BONNET, P. DEUMIER, dir., De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé, op. cit.

11 J. HUET, « La modification du droit sous l’influence de l’informatique, aspects de droit privé », JCP 1983, I, p. 3095 s. ; H. MAISL, « La modification du droit sous l’influence de l’informatique, aspects de droit public », JCP 1983, I, p. 3101 s.

quelques exemples de ces « discipline[s] non-autonome[s] située[s] au carrefour de plusieurs droits »1. Ces ensembles normatifs, peut-être parce qu’ils sont récents ou émergents, ne connaissent pas ou seulement partiellement le clivage catégorique public-privé. On parle de « droits mixtes »2, de « droits transversaux »3 ou encore de

« droits de troisième génération »4. Mais la relativité de la divisio se remarque également chez des matières plus classiques, à l’instar du droit du travail5 ou, plus encore, du droit pénal6. Concernant ce dernier, on note depuis longtemps que son but est de réprimer des comportements gravement fautifs pouvant porter atteinte à l’intérêt public comme à des intérêts privés ; ou qu’il peut être rattaché au droit privé car son exercice dépend des juridictions judiciaires, tandis que, par nature, il se rapproche davantage du droit public en ce qu’il organise, pour une part, les relations entre l’État et ses citoyens en prévoyant la répression de comportements nuisibles à la société. Et certains auteurs de proposer de positionner le droit pénal en tant que troisième branche de la summa divisio, à côté des droits public et privé7 ; celle-ci ne serait donc pas binaire mais ternaire.

Quant à l’introduction récente, parmi le droit positif français, de la question prioritaire de constitutionnalité, elle oblige les juristes privatistes à étudier les textes de valeur constitutionnelle. L’adage formulé par Carbonnier selon lequel « à la société civile le Code civil, à l’État la Constitution » semble avoir vécu. Cette nouvelle procédure, qui s’applique pareillement aux contentieux relevant du Conseil d’État et à ceux qui relèvent de la Cour de cassation, est parfaitement transfrontière.

Plus largement, Dominique Rousseau observe « la constitutionnalisation du droit civil qui est peut-être tout autant une civilisation du droit constitutionnel »8. Sur ce point, il est remarquable que François Terré et Yves Lequette placent en tête des

« grands arrêts de la jurisprudence civile » la décision « liberté d’association » du Conseil constitutionnel9. La « fusion des droits » ainsi décrite tend évidemment à mettre fortement en doute toute pertinence de la séparation des disciplines publiques et privées.

1 D. DE BELLESCIZE, L. FRANCESCHINI, Droit de la communication, 2e éd., Paris, Puf, coll. Thémis droit, 2011, p. 1.

2 X. LABBÉE, Introduction générale au droit. Pour une approche éthique, op. cit., p. 12.

3 É. DESMONS, « Droit privé, droit public », art. préc., p. 520.

4 Ibid.

5 N. FONT, Le travail subordonné entre droit privé et droit public, Paris, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, 2009.

6 M. KÖHLER, « Le droit pénal entre public et privé », Arch. phil. droit 1997, p. 199 s. ; D. SALAS, « État et droit pénal. Le droit pénal entre Thémis et Dikè », Droits 1992, n° 15, p. 77 s.

7 P. DEUMIER,Introduction générale au droit, 2e éd., Paris, LGDJ, coll. Manuel, 2013, p. 10.

8 D. ROUSSEAU, « Les grandes mutations du droit constitutionnel », Conférence à l’École doctorale de sciences juridiques de Grenoble, 3 mars 2010.

9 H. CAPITANT, Y. LEQUETTE, F. TERRÉ, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. I, 12e éd., Paris, Dalloz, coll. Grands arrêts, 2006.

La relativité de la divisio public-privé apparaît encore patente dès lors que le regard est posé sur les systèmes juridiques d’autres pays dont les institutions juridiques sont de tradition occidentale. Le droit français et beaucoup de droits romano-germaniques (Allemagne, Italie, Belgique, Suède, Finlande, Colombie ou Uruguay) distinguent clairement droit public et droit privé et comportent une hiérarchie spéciale de juridictions administratives. Mais, parmi les systèmes d’essence juridique romano-germanique, il se trouve également nombre de pays qui ignorent les tribunaux administratifs (Norvège, Danemark, Brésil ou Mexique), alors que d’autres soumettent en dernier ressort les affaires administratives à une chambre spéciale de leur juridiction suprême (Espagne, Suisse et beaucoup d’États africains francophones). Surtout, il en va très différemment, et depuis longtemps1, dans les pays de droit anglo-saxon où les manuels de « jurisprudence », c’est-à-dire de théorie générale du droit, ne connaissent pas la distinction entre private law et public law2. Le common law, selon ses spécialistes, ne tolère pas les divisions internes et ne souffre guère de segmentations entre plusieurs droits autonomes ou, du moins, particularisables3. Il n’y a, au Royaume-Uni, nul dualisme des ordres de juridictions, nulle juridiction spéciale, le juge ordinaire pouvant connaître de tout contentieux, et la séparation la plus nette semble être celle du droit criminel par rapport au droit commun4. L’égalité devant le droit a, en Angleterre, été poussée jusqu’à ses plus extrêmes conséquences : la soumission universelle de toutes les classes sociales du royaume à un seul et même ensemble de règles, ainsi que l’absence de normes, d’institutions et de cours ou tribunaux dérogatoires5. Il est remarquable que, en 1935, le Lord Chief Justice of England écrivait, à propos de l’expression

« administrative law », qu’elle n’est que du « continental jargon »6. A été expliqué, précédemment en cette étude, combien la divisio est relative historiquement, c’est-à-dire temporellement, verticalement ; elle l’est au moins tout autant géographiquement, horizontalement.

Certainement, dans nombre de domaines, les pays anglo-saxons développent-ils des modèles plus souples — moins rigides — que la France ou l’Allemagne.

Peut-être accueilleraient-ils plus aisément la notion de « ratio divisio », dans l’hypothèse où leurs droits positifs le permettaient. Si la Grande-Bretagne place depuis longtemps le concept d’État au centre de sa pensée politique, le processus

1 V., par exemple, A. V. DICEY, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, Londres, McMillan, 1885.

2 M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’État, op. cit., p. 183.

3 Cf. J. A. JOLOWICZ, Droit anglais, 2e éd., Paris, Dalloz, coll. Précis, 2000, spéc. p. 56 s. ; D. BARANGER,

« Angleterre (culture juridique) », in D. ALLAND, S. RIALS, dir., Dictionnaire de la culture juridique, op.

cit., p. 55.

4 D. BARANGER, « Angleterre (culture juridique) », art. préc., p. 55.

5 Cf. É. ZOLLER, « Rule of law », in D. ALLAND, S. RIALS, dir., Dictionnaire de la culture juridique, op.

cit., p. 1379 s.

6 Cité par R. BRAZIER, S. A. DE SMITH, Constitutionnal and Administrative Law, 6e éd., Londres, Penguin, 1989, p. 525.

d’institutionnalisation et de différenciation par rapport à la société civile a néanmoins été beaucoup moins profond qu’ailleurs. Quant aux États-Unis, pays au sein duquel toute conception absolutiste de la souveraineté a été d’emblée rejetée par les Pères fondateurs, ils n’ont jamais connu de véritable ébauche de cloisonnement entre droits public et privé1. Francis Bacon distinguait bien un jus publicum et un jus privatum ; mais ses réflexions ont été balayées, tout comme l’idée d’une raison d’État relevant de règles exceptionnelles et protégée par une ample immunité2. Aussi, aujourd’hui, les études en langue anglaise consacrées à la divisio droit public-droit privé sont-elles quasi-inexistantes3. Le refus d’opposer ces deux versants du monde juridique n’a cependant pas interdit la reconnaissance d’une certaine spécificité de l’action administrative et l’évocation explicite de la divisio par le Chambre des lords dans certaines décisions demeurées célèbres4. Le développement des structures administratives au cours du XXe s. a mené à la reconnaissance d’un certain degré d’autonomie des règles gouvernant le fonctionnement des administrations5. Ainsi une procédure particulière destinée à simplifier l’accès au recours judiciaire contre l’administration a-t-elle été mise en place et rendue obligatoire dans tous les cas où est en cause un intérêt public6. Il n’en demeure pas moins que la divisio reste très largement inconnue du common law qui retient surtout l’assujettissement de tous au droit commun, y compris les fonctionnaires et y compris la Couronne qui, en 1947, a perdu son immunité vis-à-vis des actions en responsabilité pour lesquelles elle doit être traitée « comme si elle était une personne privée »7. La distinction est parfois utilisée par la doctrine anglo -saxonne dans un but didactique, comme jadis Gaius et Ulpien le faisaient ; néanmoins, le droit positif ne la connaît qu’à de très rares occasions. En somme, le common law n’est quasiment composé que de transdroit ; il ne s’y trouve guère, par exemple, de droit public des contrats autre que le droit commun des contrats.

Enfin, mais cela risque de très vite devenir le premier argument au soutien de la relativité de la divisio, est observé le « dépassement » ou, du moins, le

1 Cf. T. CHOPIN, La République « une et divisible ». Les fondements de la fédération américaine, Paris, Plon, coll. Commentaire, 2002.

2 D. BARANGER, « Angleterre (culture juridique) », art. préc., p. 55-56.

3 V. toutefois W. M. EVANS, « Public and Private Legal Systems », in W. M. EVANS, dir., Law and Sociology. Exploratory Essays, Glencoe, The Free Press of Glencoe, 1962, p. 165 s. ; J. ALLISON, A Continental Distinction in the Common Law. A Historical and Comparative Perspective on English Public Law, Oxford, Clarendon Press, 1996 ; D. OLIVER,Common Values and the Public-Private Divide, Londres, Butterworths, 1999.

4 Notamment l’arrêt O’Reilly vs. Mackman de 1983.

5 D. BARANGER, « Angleterre (culture juridique) », art. préc., p. 56.

6 Application for Judicial Review, 1978.

7 Crown Proceedings Act, 1947.

« déplacement » de celle-ci sous l’effet du « droit de la globalisation »1. On remarque pêle-mêle que « l’univers juridique de la globalisation n’est pas ouvert à la distinction du droit public et du droit privé »2, que s’insinue le flou dans la séparation des entités publiques et privées, que la singularité du public s’évanouit en

« déplacement » de celle-ci sous l’effet du « droit de la globalisation »1. On remarque pêle-mêle que « l’univers juridique de la globalisation n’est pas ouvert à la distinction du droit public et du droit privé »2, que s’insinue le flou dans la séparation des entités publiques et privées, que la singularité du public s’évanouit en

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