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La relation de confiance entre les parents et les professionnels

APPROCHE CENTRÉE SUR LA FAMILLE (ACF) 1 Reconnaître que la famille est la constante dans la vie de l'enfant

8 S’assurer que l’élaboration des services est flexible, accessible, et qu’elle répond aux besoins des familles

6.1 La relation de confiance entre les parents et les professionnels

Dans cette partie, il nous semble important de situer le contexte d’intervention et l’état général de la situation de départ. Quelques jours avant la rentrée scolaire, nous avons un entretien téléphonique. Les parents étaient très inquiets quant au suivi de leur fils pour cette nouvelle année scolaire. Ils sont déçus des années passées et n’ont pas envie de revivre une année supplémentaire dans ces conditions. La situation est nouvelle pour moi et déjà, il faut tenter de rassurer au mieux les parents. Je me rends bien compte qu’il y a un climat de

Sébastien Python 29.06.2017 40 défiance vis-à-vis du corps enseignant. Je leur propose de s’essayer à une réflexion commune concernant cette année scolaire et de se rencontrer rapidement. Le ton de la voix change et un espoir de créer un lien avec cette famille semble soudain possible. La littérature acquiesce cette problématique où « tous les chercheurs et professionnels qui étudient les relations entre l’école et la famille sont en accord pour dire que ce lien ne va pas de soi (Prévot, 2008, p. 38).

Désireux de ne pas en rester là et de passer outre cette crainte des professionnels de la part des parents de Louis, je me suis attelé à obtenir un regard nouveau de leur part. Selon Perrier (2008), la pierre angulaire de la relation avec les parents est la confiance, mais souvent elle n’est pas atteinte. Au cours de cette année scolaire, il m’a paru essentiel de dépasser ce stade et de tenter de gagner la confiance des parents en investissant dans le relationnel, en dépassant le cadre des contacts formels régis par le système scolaire. « Les enseignants accordent une place centrale aux contacts formels avec les parents et négligent les contacts informels pourtant essentiels à une relation intégrant la construction d’un lien de confiance » (Francis, 2009, cité dans Francis & Join-Lambert Milova, 2011, p. 123). Une approche chronologique et temporelle est proposée. Il sera ainsi possible de constater des changements et une évolution de ce lien de confiance avec les parents. Il est peut-être fastidieux et prétentieux de vouloir mesurer la confiance, mais l’exercice en vaut tout de même la peine.

Début de l’année scolaire

Suite au premier contact téléphonique, je propose aux parents de se rencontrer rapidement, afin de commencer cette nouvelle année scolaire sur de bonnes bases et non sur des à priori qui risquent de biaiser le lien entre eux et les professionnels de l’école. Souhaitant ce premier rendez-vous dans un lieu neutre, les parents préfèrent que je vienne à domicile. Ils sont tout de même surpris par cette visite. C’est la première fois qu’un enseignant vient chez eux. Après les salutations d’usage la discussion s’oriente rapidement vers les désillusions du passé.

Nous sommes plutôt méfiants pour le moment, ne sachant pas vraiment ce qui va se passer par la suite.

Nous ne savons pas trop que croire, face à tout ce qui s’est déjà passé durant les années précédentes.

Sébastien Python 29.06.2017 41 Les professionnels n’inspirent pas les parents. Le regard posé sur leur enfant ne semble pas leur convenir. « Ils n’adhèrent plus forcément à tout ce que l’école véhicule et il leur arrive de plus en plus souvent d’émettre des doutes sur l’approche ou les compétences d’une enseignante ou d’un enseignant en particulier, ce qui n’arrivait que très rarement il y a 20 ou 25 ans » (Conseil supérieur de l’éducation, 1994, p.23 cité dans Goupil, 1997, p.8). Pourtant, en ce début d’année scolaire, un élan est réalisé pour tenter de les rejoindre et de créer un partenariat. En acceptant de me déplacer chez eux, j’espère contribuer positivement à l’évolution de ce lien de confiance. Selon Jourdan-Ionescu (2002), c’est un processus qui implique un travail en équipe où les rôles de chacun sont respectés (p.302). « Le partenariat ne s’improvise pas, il est la résultante d’un cheminement collectif où tous les partenaires reconnaissent l’importance de ce savoir mieux vivre ensemble et aussi de ce savoir mieux se réaliser ensemble » (Bouchard, 1998, p.31).

Nous avons de la difficulté à faire confiance en général.

Nous sommes déçus des années précédentes concernant le suivi scolaire de notre fils. Nous pensions que les choses n’allaient pas changer et que les problèmes

continueraient comme d’habitude.

Deux autres aspects ressortent de ces constats d’entretiens. Premièrement, le besoin de revalorisation du rôle de chacun selon Bouchard (1998) et de leurs compétences afin de participer à l’ancrage du sentiment de confiance. Pour coopérer et participer adéquatement au soutien d’un enfant en difficulté, la famille doit acquérir un sentiment de compétence et de confiance. Même si les relations entre les parents et les professionnels peuvent être pesantes, Bhérer (1993) cite, « établir tôt une relation de « partenaires » avec les parents, agir ensemble dans le même sens, faire équipe avec eux pour que l’enfant soit placé dans un contexte aimant, stimulant et adapté à ses besoins, voilà la meilleure façon de l’aider à se développer, à s’épanouir et à réduire les effets de son handicap ou de ses handicaps » (p. 6). Deuxièmement, la théorie d’Habermas, de l’agir communicationnel, fait surface dans le sous-entendu « les déceptions du passé » via l’agir stratégique de la part des professionnels. « La manipulation dans cet agir consiste à laisser croire à l’autre qu’on le considère comme un véritable partenaire et que nous avons à partager la décision dans une situation où la décision est déjà prise » (Bouchard, 1998, p. 27). « Ce que nous constatons est le fait que ces agirs sont

Sébastien Python 29.06.2017 42 trop souvent retenus par les enseignants dans des contextes où il serait plus pertinent de guider le parent ou d’agir en partenaire avec lui comme le prévoit l’agir communicationnel » (Bouchard, 1998, p. 28). Il va falloir changer de posture et s’ouvrir aux parents, comprendre leurs craintes, réaliser l’importance de leurs attentes vis-à-vis de l’école et aussi leur montrer mon intérêt face à leurs préoccupations. Lors de ces premiers mois de scolarité, mon intention s’est focalisée sur l’attention envers les parents, par des messages, des informations sur l’école, par une invitation à une représentation au cirque, sur la façon dont les évaluations se sont déroulées, afin de démontrer qu’il est possible d’agir différemment. J’ai essayé d’être attentif à leurs questionnements et à leurs requêtes concernant leur fils. Ma volonté est très clairement d’inverser la tendance et de promouvoir un climat de confiance avec les parents, en appliquant les principes de l’agir communicationnel. « L’agir communicationnel se rapproche des principes du partenariat en ce sens qu’il y a partage de la décision par consensus dans un rapport d’égalité entre les parties qui réciproquement se reconnaissent des ressources et des expertises complémentaires pour partager la décision » (Bouchard, 1998, p. 28).

Fin de l’année scolaire

Avant la fin de l’année scolaire, je propose aux parents une nouvelle rencontre afin que nous puissions ensemble faire le point sur l’année écoulée. Ils souhaitent que je vienne à nouveau à domicile, ce que j’accepte. Le climat est détendu et les échanges cordiaux. C’est en quelque sorte un bilan de fin d’année et certains aspects sont assez évocateurs de ce qui s’est passé.

Nous avons le sentiment d’avoir été plus écoutés, c’est mieux.

Nous sommes contents de pouvoir compter sur l’enseignant spécialisé et de vous avoir comme personne de référence en cas de doutes, de soucis ou d’incompréhensions.

Il est intéressant de constater l’influence des acteurs qui se mettent ensemble. « Le professionnel est appelé à considérer le parent comme un partenaire, comme son égal et comme un acteur important dans le partage des décisions. Il reconnaît que le contact avec le parent est rentable, productif et enrichissant du point de vue des savoirs » (Bouchard & Kalubi, 2006, p. 51). Le regard d’un professionnel et l’écoute ont aidé les parents à dissiper

Sébastien Python 29.06.2017 43 leurs doutes et leurs craintes vis-à-vis de la scolarisation de leur fils. Cette mise en relation a permis, dans ce cadre-là, de dépasser les à priori mutuels entre professionnels et parents. « Je peux témoigner du regard effrayé que portent les enseignants sur les parents de leurs élèves. … La méfiance et les soupçons des uns et des autres se soutiennent et s’alimentent sans cesse » (Ott, 2011, p. 133).

En cette fin d’année, les parents m’ont parlé d’un aspect qui les a surpris.

Nous avons l’impression d’être jugés dans notre rôle de parents alors que nous faisons beaucoup pour encourager et stimuler notre fils.

J’ai essayé de comprendre leur impression quant au regard, posé par les professionnels, sur l’encadrement et l’éducation de leur fils. Les parents ont toujours été exigeants vis-à-vis de l’école et du suivi des devoirs. Il est possible que l’image véhiculée ne soit optimale du côté des professionnels et engendre un climat de méfiance. « Il nous faut absolument passer ce clivage de l’équation « enfant handicapé = parents inadaptés » » (Chatelanat, 2003, p. 173). Le côté revendicateur des parents a certainement conditionné négativement l’attitude des enseignants qui se sont sentis jugés dans leurs compétences professionnelles.

« Mais ce qui est essentiel dans cette collaboration entre les parents et l’enseignant, c’est la prise en considération des compétences éducatives parentales (les valeurs, les attitudes, les comportements et les pratiques) et la reconnaissance du rôle de ces compétences (« empowerment ») dans l’éducation des enfants constituent des déterminants importants de la réussite scolaire » (Dunst, Trivette et Deal, 1988 ; Terrisse et Boutin, 1994, cité dans Terrisse et al. 2008). Il est essentiel d’être capable, selon Sanfaçon (2011), d’éliminer les jugements de valeurs et de se projeter au-delà de ce qui est visible (p. 21). Je les invite à oser faire confiance aux professionnels qui s’occupent de leur enfant et de prendre un peu de recul. « Ecouter les parents de façon attentive et chaleureuse, avec la conviction de travailler ensemble à la recherche de solution, est un autre pilier essentiel » (Sanfaçon, 2011, p. 21). Ce n’est pas parce que Louis a une mauvaise note à l’école que le programme n’est pas correctement adapté, ça peut arriver.

Sébastien Python 29.06.2017 44 Au cours de l’année scolaire, les parents ont dû à plusieurs reprises prendre des décisions ayant un impact sur le parcours scolaire de leur fils dans les années à venir.

Nous sommes rassurés de vous avoir à nos côtés lors de décisions à prendre.

Un changement de cursus scolaire, l’adaptation du programme de français, la suppression de la musique ont fait partie des décisions à prendre durant l’année. J’ai, à chaque fois proposé mon regard sur la situation et proposé des argumentaires, afin d’aider et de soutenir les parents dans ces démarches. « Les partenaires ont la conviction qu’une mise en commun des compétences et un partage des ressources permettent des réalisations qu’il serait difficile, voire impossible, d’accomplir seul » (Chatelanat, 2003, p. 175). Les parents de Louis ont apprécié l’accompagnement apporté lors de cette année scolaire, les aidant à faire des choix judicieux dépassant les perceptions émotionnelles invalidantes. « Ce partage des émotions, ce mouvement vers autrui, permet un instant de sortir de sa posture d’enseignant ou de parent pour explorer celle de l’interlocuteur, chacun comprenant émotionnellement ce que vit le partenaire éducatif » (Asdih, 2008, p.163).

Nous avons pu poser un autre regard sur le système scolaire et les enseignants, et leur faire un minimum confiance.

Nous avons besoin de temps pour faire confiance, ce n’est pas facile.

Les parents semblent désormais avoir un autre regard sur l’action du professionnel qu’est l’enseignant. C’est un ensemble qui est visé, l’institution scolaire dans sa globalité qui est cataloguée dans ses faits et gestes. La prise en compte des relations et des systèmes dans lesquels l’individu évolue est assez récente. « Ces partenariats se construisent autour de l’enfant, en prenant en compte une ou plusieurs des sphères de son écosystème. Même lorsque l’intervention vise les parents, c’est l’intérêt de l’enfant (ou de l’élève) qui est au centre des préoccupations : sa réussite, sa « bientraitance », son insertion scolaire et sociale, etc. Les actions s’intéressent aussi bien à l’amélioration des performances, scolaires par exemple, qu’aux compétences des acteurs ou à la pacification des tensions, au climat de confiance instauré » (Asdih, 2008, p. 234). « Cette perspective, qui s’inscrit dans le cadre des approches écosystémiques issues du modèle écologique de Bronfenbrenner, prône la prise en compte,

Sébastien Python 29.06.2017 45 dans toute intervention, de l’ensemble des relations entre les différentes sphères de l’écosystème de l’individu » (Terrisse, 2008, p. 55), et dans le cadre scolaire, « cette perspective oblige donc les enseignants et tous les autres intervenants à modifier leurs pratiques, notamment en développant des relations de collaboration avec les parents et entre eux, en reconnaissant leurs compétences mutuelles, et à acquérir de nouvelles connaissances » (Terrisse, 2008, p. 56).

Le rôle de l’enseignant spécialisé nécessite quelques changements dans la pratique relationnel avec les parents. « Les enseignants accordent une place centrale aux contacts formels avec les parents et négligent les contacts informels pourtant essentiels à une relation intégrant la construction d’un lien de confiance » (Francis, 2009, cité dans Francis & Join-Lambert Milova, 2011, p. 123). Le dépassement du cadre strictement scolaire semble avoir un impact positif sur les parents. Il n’est pas aisé pour l’enseignant de s’exposer aux parents et de perdre sa zone de confort. Le risque de vulnérabilité est accru et Ott (2011) « évoque le regard effrayé que portent les enseignants sur les parents de leurs élèves » (p. 133). Une nouvelle perspective a été tentée afin de favoriser la relation de confiance entre les parents et les professionnels. En s’impliquant dans une posture professionnelle différente et en incitant les parents à s’oser à un regard nouveau sur l’école, l’émergence d’un lien de confiance, entre les parents et les enseignants, semble être un objectif atteignable.