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Chapitre 6 Transport de macrocycle et relargage

6.2. Relargage : tests préliminaires

La méthode envisagée pour le relargage fut la digestion par une enzyme. Les nombreux liens amide présents sur l’axe parapluie mais pas sur la roue sont des candidats potentiels pour la reconnaissance d’une enzyme. Le clivage d’un ou plusieurs de ces liaisons, par une enzyme capable de couper les liens amide, serait suffisant pour laisser échapper la roue. De plus, ce processus est biologiquement compatible.

6.2.1. Choix de l’enzyme

L’étape la plus ardue fut de trouver une enzyme capable de reconnaître et digérer le rotaxane parapluie. Car, malgré les nombreux liens amides, ce système complètement synthétique ne contient aucun acide aminé, motif reconnaissable par l’enzyme. Les enzymes sont des protéines très puissantes et efficaces, mais aussi très spécifiques. C’est pour cela, que pour cette tâche, des enzymes à large spectre ont été choisies : l’α- chymotrypsine et la trypsine. Ces deux enzymes font partie de la famille des protéases à sérine issues du pancréas. Elles sont capables d’hydrolyser les liens impliquant un groupement carboxyl (ester>amide>peptide).187 Leur site actif est constitué par une triade catalytique : Asp102-His57-Ser95. La Ser95 et l’His57 jouent toutes deux un rôle

important, respectivement de base générale et de nucléophile, tandis que l’Asp102 ne joue pas de rôle direct dans le mécanisme mais contribue à orienter l’His57.188

Elles clivent les liens peptidiques par une réaction d’hydrolyse. Le mécanisme de l’α-chymotrypsine est décrit dans la Figure 6.2. Dans un premier temps, l’approche du substrat est favorisée par les interactions avec le sous-site puis la Ser195 déprotonnée par l’His57 attaque le carbonyle. Par élimination, l’amine est libérée et une molécule d’eau entre en jeu. Par addition-élimination, elle prend la place de la Ser 195. Ainsi l’acide carboxylique formé est libéré et laisse la place à une autre molécule de substrat.

Figure 6.2. Mécanisme d’hydrolyse de la triade catalytique de l’α-chymotrypsine.189

La principale différence entre ces deux enzymes se situe au niveau du sous-site voisin de la triade catalytique. Celui-ci présente des caractéristiques différentes qui vont être la clé de la spécificité de l’enzyme. Alors que la trypsine présente un sous-site profond et négativement chargé, l’α-chymotrypsine a un sous-site profond et hydrophobe.188 De ce fait, les chaînes latérales du lien amide vont jouer un rôle important dans la reconnaissance par l’enzyme. Habituellement l’α-chymotrypsine va préférer cliver des liaisons d’acides aminés Trp, Tyr ou Phe, et plus faiblement Leu, Ile et Met, pendant que la trypsine préfèrera les liaisons des Lys ou Arg.187 En inspectant la structure de notre rotaxane, les trois liens amides sont situés soit à côté de chaînes hydrophobes (chaîne alkyl ou noyau

aromatique). De plus, une charge positive est aussi présente même si elle reste loin et surtout encombrée par la roue.

6.2.2. Essais expérimentaux et résultats

Des essais de digestion ont été mis en œuvre. Le rotaxane parapluie 3.39 a été mis en présence de l’une des enzymes et la solution fut ensuite analysée par LC-MS. Chaque partie du rotaxane, l’axe parapluie 2.24 et la roue 3.36, ont aussi été testées dans les mêmes conditions afin de vérifier qu’elle ne fut pas digérée par l’enzyme (la roue) ou déterminer quels étaient les fragments qui en résultèrent (l’axe parapluie).

En premier lieu, l’utilisation d’enzymes ancrées sur des billes de polymères a été préférée pour faciliter la séparation de l’enzyme et donc l’analyse LC-MS par la suite. Ainsi, seule la solution surnageante fut analysée pendant que l’enzyme resta attachée aux billes. L’α-chymotrypsine attachée à des billes de carboxyméthyl cellulose fut testée avec

3.39, 2.24 et 3.36 à 1 μmol par unité d’α-chymotrypsine à température ambiante pendant 30

min. Les résultats de LC-MS n’ont pas permis d’observer de relargage par digestion. Le rotaxane et l’axe parapluie ont été retrouvés majoritairement dans leur solution respective. En refaisant la même expérience en chauffant à 37°C pendant 30 min pour favoriser le mouvement moléculaire et favoriser la reconnaissance par l’enzyme, les résultats sont restés identiques. Ceci peut être expliqué par le manque d’espace autour des enzymes attachées à une surface. Vu la taille des rotaxanes et axe parapluie, il est compréhensible qu’ils n’aient pas eu accès au site actif de l’enzyme immobilisée. De surcroît, un autre problème est survenu pour ces séries d’expériences. Les échantillons des solutions contenant initialement la roue 3.36, révélaient une faible quantité de roue. Ce résultat peut être justifié par la faible solubilité de la roue dans cette solution principalement aqueuse. La séparation des billes se faisant par centrifugation, les particules solides de roue ont aussi pu se déposer au fond.

Pour remédier à ces problèmes, des enzymes solubilisées dans une solution tampon ont été finalement choisies. Des conditions standards ont été mises en œuvre pour les tests avec l’α-chymotrypsine190 et la trypsine191. L’axe parapluie 2.24, la roue 3.36 et le rotaxane

parapluie 3.39 ont été à nouveau testés à 2,8 μmol par unité d’α-chymotrypsine et à 6,5 nmol par unité de trypsine à température ambiante. La durée de digestion a été augmentée à 2 h. Avec les deux enzymes, les chromatogrammes sont comparables pour chacun des composés. Dans tous les cas, les composés initiaux sont les produits majoritaires. Très peu de produit a été digéré, s’il y a eu digestion. En regardant de plus près les chromatogrammes du rotaxane parapluie 3.39, la roue 3.36 fut détectée dans un des pics minoritaires. Le rapport de surface des pics roue libre/rotaxane est de 2,4% et de 1,7% pour l’α-chymotrypsine et la trypsine respectivement. Les deux résultats sont proches, mais la α- chymotrypsine, donnant un rapport légèrement supérieur et surtout étant moins coûteuse, a été choisie.

Un contrôle a été fait dans les mêmes conditions avec dix fois plus de solution d’enzyme pour vérifier le relargage, amenant à 0,28 μmol par unité d’α-chymotrypsine. Malheureusement, cet échantillon a présenté encore moins de roue, à peine détectée. Un des problèmes ayant pu subvenir est le manque de solubilité du rotaxane parapluie. En augmentant la proportion de solution aqueuse en augmentant le volume de solution d’enzyme, la solution est devenue légèrement opaque, probable signe de précipitation du rotaxane parapluie. Pour remédier à ce problème, la solution d’α-chymotrypsine a été concentrée afin de garder les mêmes proportions eau/méthanol. Pour s’assurer que la roue était bien issue d’un relargage et non d’une certaine quantité de roue libre initialement présente dans l’échantillon, un contrôle a été fait en absence d’enzyme. En extrayant la masse de la roue des deux chromatogrammes obtenus, et par comparaison, on a noté quasiment vingt fois plus de roue en présence d’enzyme, validant le relargage de la roue par digestion enzymatique.

Le mécanisme d’action enzymatique sur le rotaxane parapluie est à éclaircir. L’analyse des chromatogrammes LC-MS n’a pas permis l’identification sans équivoque de fragments précis du rotaxane afin d’identifier les sites de clivage. Ceci dit, cela ne peut être qu’un des liens amides étant donné l’enzyme choisie. Le lien benzylique est le plus probable compte tenu de la spécificité de l’α-chymotrypsine.