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Refus des soins, souffrance existentielle associée

10. Soins pour les professionnels de santé

5.3 Questions posées pour la mise en œuvre de la sédation

5.3.3 Refus des soins, souffrance existentielle associée

La réponse à la demande de sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, chez un patient atteint de maladie grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une douleur réfractaire, est un droit inaliénable qui dans la pratique ne dispense en rien le clinicien de :

l’analyse des causes de la souffrance qui génère cette demande (puisque son caractère réfractaire implique d’avoir mobilisé pour la traiter des ressources adaptées) ;

la prise en compte de l’intentionnalité sous-jacente à la demande de sédation, notamment lorsque la sédation suit une demande de limitation des traitements.

Refus de soins

Dans son avis n°121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souligne que, dans le cas de personnes malades ou polyhandicapées atteintes d’une affection grave et incurable et qui demandent de façon réitérée et éclairée l'arrêt d’un traitement vital ou celui de l’hydratation et de la nutrition, « de telles décisions ne se conçoivent qu’au terme d’échanges répétés et de processus de délibération collective entre la personne malade et toutes les personnes intervenant dans le soin et les traitements » (31).

La Société française de psycho-oncologie (SFPO) et l’Association francophone pour les soins oncologiques de support ont proposé un référentiel sur le refus de soins en oncologie, le refus de « soin à visée de maintien d’une ou de plusieurs fonctions vitales défaillantes » faisant partie de la liste des refus étudiés (32).

L’analyse de la situation doit répondre aux principes suivants :

comprendre le refus comme une situation dynamique, adaptative, évolutive et non un acte définitif venant marquer la fin de la relation de soin ;

contextualiser (refus de quoi, quand, auprès de qui, dans quel contexte, pourquoi, etc) ; maintenir et rétablir une relation de confiance dans une reconnaissance mutuelle, ne pas émettre de jugement et ne pas exercer de pression ni risquer une culpabilisation ;

rechercher l’existence d'une personne de confiance et d’éventuelles directives anticipées (en phase palliative).

La démarche analytique porte sur :

l’information donnée au patient : vérifier la compréhension de l’information, claire, sans discordance entre les professionnels (importance des échanges et décisions multidisciplinaires), faire reformuler, vérifier si besoin la compréhension de la famille ;

la compréhension des enjeux par le patient : risques encourus, alternatives thérapeutiques ; prendre en compte le système de valeurs du patient, les représentations associées aux soins ;

le discernement : rechercher s’il existe des symptômes physiques non contrôlés, des troubles cognitifs ou psychiatriques dont la sévérité serait susceptible d’altérer les capacités de discernement ou dont le traitement adapté pourrait modifier l’évaluation de la situation par le patient ;

le contexte : social (isolement, …), familial, culturel et psychologique ; rechercher un appui, une médiation (proche, médecin traitant, autre professionnel) et orienter vers un psychologue pour offrir un espace de parole et de soutien et aider à évaluer la situation globale.

Face à cette situation, il est important :

de donner du temps, laisser la possibilité au patient de changer d’avis ; de réévaluer, reformuler et chercher un compromis, une médiation ;

de discuter en équipe pluridisciplinaire afin d’arriver à un consensus et à une cohérence ; d'inscrire le soin dans un projet d’accompagnement du patient et de son entourage ; de tracer l’ensemble du processus : information donnée, discussions, décision ;

d'expliquer la situation à la famille, l’entourage et les aidants dans le respect du secret médical.

Dans le cas du majeur protégé (tutelle, curatelle), son refus doit être respecté sauf si son discernement est altéré. On recherchera alors le consentement du tuteur et, sauf si l’urgence le rend impossible, celui du juge des tutelles. En situation d’urgence, le médecin délivre les soins indispensables.

En cas de refus du tuteur ou du représentant de l’autorité parentale, le médecin peut selon les conséquences possibles du refus saisir l’autorité judiciaire (procureur de la République). En situation d’urgence, il délivre les soins indispensables.

Souffrance existentielle et syndrome de démoralisation

La souffrance est une notion globale, particulièrement en fin de vie : Cicely Saunders a défini la

« total pain » en cancérologie qui regroupe la douleur psychologique, sociale, émotionnelle et spirituelle (33), concept qui a été repris par d’autres spécialistes (34). La souffrance physique, psychologique et la souffrance existentielle sont étroitement intriquées.

Robinson et al ont publié une revue de synthèse sur le syndrome de démoralisation en fin de vie (35). Il est caractérisé par un désespoir et un vécu d'impuissance dus à une perte de sens et de but. La faible estime de soi et les sentiments dépressifs conduisent à une détresse psychologique ou existentielle. La souffrance psychique en fin de vie a été décrite comme une

gamme très large d’éprouvés subjectifs, plus ou moins verbalisables, souvent entremêlés, où peuvent se rencontrer l’épuisement, la perte de tout espoir, la sensation d’inachevé, le sentiment d’irréalité, l’angoisse de la séparation ou de l’abandon, ou encore la peur des circonstances de la mort (peur d’étouffer, par exemple), la douleur de faire souffrir ses proches, le sentiment de dépossession, d’exclusion sociale ou de perte de dignité. Les auteurs ont étudié une échelle de démoralisation (Demoralization Scale II) redéfinie avec 16 items chez 211 patients ayant un cancer (189), une maladie cardiaque (12), neurologique (9) ou rénale (1) évolutive et à un stade avancé. La comparaison et la corrélation aux autres échelles [McGill Quality-of-Life Questionnaire, Patient Health Questionnaire (PHQ-9), Schedule of Attitudes Toward Hastened Death, Will-to-Live rating, Memorial Symptom Assessment Scale (MSAS)] ont montré qu’elle avait de bonnes propriétés psychométriques et qu’elle permettait une mesure adéquate de la démoralisation, permettant notamment de la différencier de la dépression (35).

« Souhait de hâter sa mort »

Même si la sédation profonde et continue n’a pas pour effet de hâter la mort, elle aboutit à une rupture définitive de la vie psychique. La loi française étant récente et unique (pas d'équivalent à l’étranger), il n’y a pas de données publiées liant ces deux aspects. Néanmoins, les experts considèrent que le lien est cliniquement manifeste et que le désir de hâter la mort peut être une des motivations pour demander une sédation.

Deux revues de synthèse ont été publiées sur le souhait de hâter sa mort par Monforte-Royo et al.

Dans une première revue qui a inclus 282 études cliniques, les auteurs formulent les conclusions suivantes (36) :

les facteurs responsables de ce souhait de hâter sa mort sont multiples : les symptômes physiques (douleur, souffrance physique, fatigue, dyspnée, etc.), la détresse psychologique (perte d’espoir, peur de la douleur, de la maladie au stade avancé avec détérioration physique, perte d’autonomie, solitude) ou des troubles psychiatriques (dépression, anxiété, détresse émotionnelle sévère), des facteurs sociaux (impression d’être un poids pour les autres, physiquement et financièrement, perte de soutien social) et enfin de nombreux facteurs réunis sous le terme « souffrance psycho-existentielle » (perte d’autonomie, de rôle social, souhait de contrôler quand et comment mourir, perte de sens) ;

l’instabilité temporelle : les patients qui expriment le désir de hâter leur mort ne veulent pas forcément mourir : cela peut correspondre à un appel à l’aide. Ce souhait est fluctuant et instable chez les personnes qui ont une maladie grave.

Dans une deuxième étude méta-ethnographique (37), les études qualitatives du point de vue des patients sont analysées : 7 études ont été sélectionnées, réunissant 155 patients. Six thèmes ont été identifiés dans la signification de « vouloir hâter sa mort » : la réponse à une souffrance physique, psychologique, spirituelle, la perte de sens, la peur de mourir, le désir de vivre mais pas de cette façon, la fin de la souffrance, un contrôle de sa vie, ces différents aspects étant souvent associés.

Le Wish To Hasten Death (WTHD) a donc un caractère dynamique et évolutif.

Un groupe d’experts internationaux a établi une définition du WTHD par consensus formalisé (méthode Delphi) : le WTHD est « une réaction à la souffrance, dans un contexte d’engagement du pronostic vital, où le patient ne voit d'autre porte de sortie que d'accélérer sa mort. Ce souhait peut s'exprimer spontanément ou lors d'un échange où la question est posée. Il doit être distingué de l'acceptation d'une mort proche ou d'un souhait de mourir naturellement même le plus tôt possible. Le WTHD peut surgir en réponse à un ou plusieurs facteurs : des symptômes physiques (présents ou attendus), une détresse psychologique (dépression, désespoir, peurs, etc.), une souffrance existentielle (par exemple perte de sens de la vie) ou sociale (sentiment d'être un fardeau ...) » (38).

Des échelles ont été développées pour estimer la prévalence de ce souhait : la revue de la littérature de Bellido-Perez et al a identifié 50 articles sur l’évaluation du WTHD ; parmi les 7 outils de validation identifiés, Desire for Death Rating Scale ou Schedule of Attitudes toward Hastened Death ont été retrouvés dans 48 des 50 articles. Cette dernière échelle a été la plus utilisée, notamment chez des patients ayant une sclérose latérale amyotrophique, un cancer ou un syndrome d’immunodéficience acquise (39). Mais l’hétérogénéité du concept et l’absence de définition standardisée rendent la comparaison des études difficile.

La souffrance psychique et la souffrance existentielle peuvent être étroitement associées à la souffrance physique, constituant alors un état de souffrance globale du patient. Elles peuvent contribuer à rendre une souffrance physique intolérable. L’évaluation de la souffrance doit être multidimensionnelle et intégrer à l’évaluation des symptômes physiques et psychiques l’appréciation subjective par le patient de sa situation (respect des valeurs, perte de repères, dignité et estime de soi, etc.), ainsi qu’une dimension sociale et relationnelle (vécu d’abandon, rupture de la relation de soins, etc.).

Le désir de hâter sa mort est dynamique et évolutif. Il peut être favorisé par un état de souffrance physique ou psychologique et se modifier avec le traitement de celles-ci.